Après un sixième plan de sauvetage et de nouvelles nuits d'émeutes à Athènes la situation financière et politique de ce pays semble de plus en plus incontrôlable. Depuis deux années l'Europe se penche au chevet de la Grèce et n'a toujours pas trouvé la formule miracle pour mettre un terme à la crise et repartir sur de nouvelles bases. Et si l'expérience et les erreurs commises en Amérique latine pouvaient aider les européens aujourd'hui?
« Les crises financières, nous on connait! » pourrait dire un sud américain aux experts européens. En effet depuis 1980 l'Amérique latine a souffert pas moins de 38 crises économiques et financières. Ceux qui ont traversé cette période se souviennent de l'hyperinflation, des énièmes plan de sauvetage du FMI et de la Banque Mondiale, des privatisations, des plans de rigueur budgétaire, des baisses de salaires, des faillites des banques…
Le défaut (refus de payer la dette extérieure) de l'Argentine vient tout juste de fêter ses 10 ans. La presse de ce pays d'ailleurs ne manque pas de souligner les nombreux parallèles entre l'économie de l'époque et celle de la Grèce aujourd'hui. Pour les argentins il n'y a par exemple aucune doute quant à l'inutilité à moyen et long terme des plans de refinancement. C'est un peu comme verser de l'eau dans un réservoir percé: l'illusion de l'avoir rempli ne dure en général pas très longtemps. La Grèce en est à son sixième plan et 50 milliards de Dollars promis sur les 240 serviront d'ailleurs à honorer les échéances des précédents prêts.
Pas besoin d'être passé par Harvard pour voir que lorsqu'un pays s'endette pour payer ses dettes il ne fait que repousser la déclaration d'insolvabilité. Avec un déficit primaire (hors paiement des intérêts de la dette) de 5 à 6 % du PIB en 2011 le pays continue à fabriquer de la dette, le trou du réservoir est loin d'être bouché. L'Amérique Latine ne peut donc regarder qu'avec un certain scepticisme les hausses de bourse qui saluent le dernier plan grec. Même si les banques abandonnent 100 milliards d'euros de créance (ce qui fait passer le l'endettement de 165 à 120% du PIB), un tel niveau reste insupportable pour un pays qui n'entame aucune réforme structurelle de son économie, qui se contente de lorgner les dépenses et augmenter les recettes, qui fait très peu pour dégraisser son énorme secteur public (20% des grecs sont fonctionnaires), qui n'entame aucune réforme contre les causes profondes de la crise: la corruption, le clientélisme, la fraude fiscale…
Un argentin ne manquerait sans doute pas de souligner qu'il est impossible à long terme d'avoir une monnaie trop appréciée par rapport à son économie. La parité forcée un peso argentin = un dollar a été fatale à l'économie argentine vers la fin des années 1990. Elle a entrainé une chute des exportations et du tourisme, une hausse des importations, une incitation au consumérisme et à l'endettement, une démotivation de l'investissement industriel…des pays comme le Brésil, le Pérou ou le Chili eux n'ont jamais suivi ce type de chemin et ont au contraire rapidement laissé flotter leur monnaie une fois stabilisée au début des années 1990.
On se souvient de l'orgueil britannique qui après la première guerre mondiale a voulu rétablir la parité livre/dollar (« la livre peut enfin regarder le dollar en face » disait les journaux en 1925) pour finalement y renoncer face à l'ampleur de la crise de 1929. Pour avoir voulu garder cette parité trop longtemps les argentins ont eu à subir une des pires crises de leur histoire. Les grecs et l'Union européenne sauront elles avoir l'humilité d'évaluer en toute liberté si l'amarrage de la Grèce à l'euro en 2003 fut prématuré? S'il est bon de continuer comme cela? Si la sagesse ne vaut elle pas mieux d'accepter l'échec et donc de revenir en arrière?
Une autre leçon de l'histoire des crises que l'Argentine pourrait offrir à l'Europe c'est un chemin pour sortir de ce qui parait un cercle vicieux: plus de dette entrainant l'austérité (plus d'impôt et moins de dépenses) qui à leur tour freine la croissance et donc fait chuter les recettes, déséquilibre le budget, augmente la dette…etc… . En 2003 le gouvernement argentin qui avait déclaré le pays en cessation de paiement (le fameux « défaut », le pays a donc cessé brutalement d'honorer ses engagements financiers) a demandé au FMI et aux autres institutions qu'on leur donne du temps afin de pouvoir renouer avec la croissance. Le gouvernement disait simplement: « la seule façon d'honorer une partie de nos dettes c'est d'arrêter de les rembourser, d'arrêter de payer les intérêts, et avec cet argent de stimuler la croissance ».
Le contexte favorable de 2003 a permis à l'Argentine de renouer avec les exportations et de rééquilibrer les comptes. Puis une solution fut proposée aux créanciers: le remboursement partiel de la dette (30 à 40% de la créance). Beaucoup perdirent de l'argent mais certains créanciers trouvèrent mieux de récupérer 30% de leur mise que rien du tout. Une fois la croissance reprise le pays a pu de remettre à honorer les grosses tranches dette vis à vis du FMI. Et retrouver une certaine marge de manoeuvre et indépendance financière.
Bref lorsque le pays est asphyxié par la dette il n'y a pas 36 solutions: ou les créanciers perdent tout en voulant tout récupérer ou alors ils acceptent de perdre une partie et de ne récupérer qu'une tranche de leur mise. Là aussi il y a peut être une petite leçon d'humilité à prendre: reconnaître qu'acheter des titres grecs était trop risqué, le pays étant structurellement insolvable. La responsabilité n'est pas que du côté de l'emprunteur elle est aussi du côté du prêteur. Certaines banques en France ont été déclaré co responsables de faillites d'entreprises lorsqu'elles ont continué à leur prêter de l'argent en sachant que l'entreprise allait à la faillite. Et ont du mettre la main à la poche pour liquider le passif. L'UE et le FMI ont donc une certaine responsabilité dans l'état d'asphyxie financière actuelle de la Grèce. Qui au sein de ses institutions croit sérieusement que la Grèce pourra rembourser des prêts à 16% d'intérêts par an?
Bien sûr reconnaître un défaut grec, reconnaitre la nécessité d'un décrochage de la monnaie, reconnaître que des réformes structurelles de l'économie grecque sont nécessaires, reconnaître enfin qu'entrer si vite « dans le premier monde » était une illusion, tout cela ne pourra se faire sans une certaine humilité, sans un certain renoncement à ses idées d'hier, à ses projets. La vertu d'humilité cependant ne semble pas aussi étrangère que cela au sein du monde économique actuel…
La grosse différence, n'est-elle pas dans le fait que le Grèce est lié à l'Europe par l'Euro ?
C’est en effet une différence importante. Mais le problème reste identique que pour l’Argentine de la fin des années 1990 : une monnaie en décalage avec l’économie réelle. La différence tient donc surtout du fait que de par son ancrage à l’euro les grecs peuvent compter sur le soutien de l’UE qui veut à tous prix éviter un effet domino en cas de défaut officiel du pays. La question c’est : est ce que cette aide sera suffisante pour remettre la Gréce à flot, combler les déficits, payer les dettes qui arrivent à échéance, continuer à emprunter, renouer avec la croissance? La situation actuelle semble montrer que non et que le scénario argentin se profile de plus en plus pour la Grèce.
Je pense que la situation de la Grèce est différente de celle de l'Argentine, parce qu'on l'a laissée entrer dans la zone euro. Si la Grêce sort de cette zone, sa monnaie sera dévaluée d'au moins 30% et sa dette extérieure augmentera d'autant. L'Union Européénne craint qu'une faillitte de ce pays n'entraine une méfiance accrue des créanciers vis à vis des autres membres fragiles de l'union: Portugal, Irlande, Espagne…La seule solution semble être d'obliger les Grecs à rembourser tout en obtenant des banques qu'elles renoncent à une partie de leurs créances. Je connais mal la situation argentine, mais je suppose qu'elle detenait des possibilités de croissance que n'a pas la Grèce.
Je suis d’accord avec votre dernière affirmation. L’Argentine a toujours eu de nombreux atouts pour sa croissance comme des ressources naturelles et agricoles, une main d’oeuvre formée, un bon niveau d’éducation, un contexte international favorable en 2003. Mais la Grèce n’est pas non plus sans atouts : flotte maritime, proximité de l’Europe (avec l’aide des fonds structurels), tourisme. Les situations sont bien évidemment différente mais convergent vers une solution de sortie de crise qui me parait proche de ce que vous affirmez: un moratoire pour une durée indéterminée sur le service de la dette et son remboursement. Ce qui équivaudra à un défaut même si cette phrase semble être tabou tant l’effet psychologique pourrait inciter à un effet domino sur d’autres pays. A mon humble avis les marchés ne sont pas aussi fous qu’on le prétend. Ils savent faire la différence entre un simple replâtrage et un vrai plan de sauvetage, entre un énième refinancement et une vraie réforme structurelle même si elle doit passer par une conversion à la réalité: ce pays fabrique de la dette et ne peut plus rembourser. On ne peut plus continuer à lui prêter à des taux exorbitants pour lui permettre de rembourser à temps ses traites.
Sur le principe de l'humilité, je suis d'accord: Je suis allé en grèce avant la crise, et je n'avais jamais vu autant de bijouteries, grands hotels et autres voitures de luxe conduites par des grecs qui paraissaient sortir de films sur la camora!!
Personnellement, j'ai l'impression qu'on essaye de prolonger une partie de monopolie où tous les terrains sont déjà pris…
peut être qu'on réalisera un jour que le bonheur n'est pas dans les BM, Mac, ecrans plats, ou autres appartements climatisés? ou alors j'ai loupé trop d'épisodes?
Au par avant je croyais que les grecs étaient un peuple qui savaient vivre au rythme de la vigne et de l'huile d'olive…? ce que je veux dire, c'est que je pense que chaque pays devrait pouvoir cultiver un art de vivre qui lui soit propre, et qui lui appartienne sans avoir à dépendre du monde entier…
Nous avons découvert ces dernieres années des choses surprenantes au sujet de la Grêce. Par exemple que les biens immobiliers ne devaient pas être obligatoirement assurés, comme chez nous. Ou encore qu'il n'existe pas de cadastre, donc pas de base pour établir un impôt foncier. Il est curieux qu'on aie admis la Grêce dans l'UE sans davantage de conditions.
un pays "qui n'entame aucune réforme contre les causes profondes de la crise: la corruption, le clientélisme, la fraude fiscale…"
oui, la grèce doit certainement se résoudre à entamer de grandes réformes (et je crois que cela concerne notamment le statut de l'église, énorme propriétaire terrien qui ne paie pas d'impot).
Mais, sans être economiste, je crois que la cause profonde n'est pas a chercher de ce coté là…
C'est un peu comme de dire que le déficit de la France est causé par le trou de la sécurité sociale (qui représente a peine 10 % de notre dette!)
Une excellente conférence sur le sujet:http://www.youtube.com/watch?feature=player_detailpage&v=TLjq25_ayWM