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« Detachment » ou une plongée au cœur de l’âme

de Marie Cousin et Geoffroy Pozzo di Borgo    12 mars 2012
Culture – Cinéma – Temps de lecture : 3 mn

Il y a bien des raisons pour se soucier d’autrui. Fuir sa propre souffrance en est une. Henry Barthes, le héros du film « Detachment », sur les écrans depuis le 1er février, est professeur suppléant dans la banlieue de New York. Il remplace au pied levé des confrères usés par la violence et le manque de respect. Pourtant, il n’a pas le profil du super éducateur déjà vu et revu au cinéma. Il est doux, sensible, et il annonce la couleur dès son premier cours : « je ne suis pas ici pour vous apprendre quelque chose ; je suis ici pour que vous soyez encore là lorsque votre professeur reviendra. ».

Malgré sa sensibilité et son souci des autres, Henry plane loin au dessus de la mer d’ingratitude dans laquelle se noient ses collègues. Il n’est pas là pour longtemps, il le sait. Cette situation le protège à la fois de la perspective vertigineuse de finir sa vie dans cet établissement nauséabond, et des liens qui pourraient éventuellement s’y nouer, autant avec  la charmante professeur rousse du bout du couloir qu’avec  les élèves surpris de se sentir enfin regardés.

Oui, Henry entretient le mystère de cette sollicitude qu’il manifeste envers ceux qui souffrent. Un soir de déprime, il rencontre dans la rue Erica, une adolescente obligée de se prostituer pour vivre. Bouleversé, il l’accueille chez lui au mépris des lois fédérales et des dogmes éducatifs. Lui si distant au collège, le voici qui accepte de partager l’intimité de son quotidien avec cette fille qui pourrait être l’une de ses élèves, mais qui justement ne l’est pas, permettant ainsi une rencontre en profondeur entre le mercenaire-éducateur et la Cendrillon des rues.

Se raccrochant à lui comme un bébé nageur au professeur de natation, Erica met à jour le paradoxe d’Henry : d’un côté l’histoire de celui-ci, la disparition violente et précoce de sa mère, la sénilité de son grand-père, seule famille qui lui reste, le poussant à trouver le sens de sa vie dans la relation d’aide ; d’un autre, la crainte de sa propre violence et son isolement affectif venant endiguer ses sentiments et l’obligeant à vivre le « détachement ».

Si Erica oblige Henry à sortir de sa réserve, ce n’est pas le cas de Meredith, une élève de sa classe de littérature. Souffrant d’obésité et de mal-être, l’adolescente cherche dans le regard du jeune professeur la lumière de sa propre valeur, niée par son entourage. Happé par la peur de voir ses sentiments aller au-delà de la relation d’aide, Henry finit pourtant par retrouver sa distance factice et protectrice. Tandis que confronté à la détresse urgente d’Erica, il baisse sa garde et accepte de lui dévoiler les blessures de sa vie, Henry fuit le malaise sourd de Meredith, l’abandonnant à ses pulsions morbides.

La conclusion du film interroge : si un intérêt plus apparent que réel pour l’autre suffit à le faire avancer, face à des personnes profondément blessées le résultat n’est pas là. Henry nous rappelle combien nous avons besoin d’accueillir nos faiblesses, d’accepter dans notre histoire autant les parts de lumière que de ténèbres, afin de rencontrer l’autre en vérité. Sans un réel don de soi à l’autre, nous ne pouvons l’aider, et encore moins l’aimer. Si je n’accepte pas que l’autre me regarde dans tout ce que je suis, quitte à remettre en cause le lien qui nous unit, il ne peut se sentir véritablement reconnu et aimé

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