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Un bonheur qui ne vient pas d’ici

De Simon Delannoy.

Puis, nous sommes allés voir la Señora Carmen. Je ne vous ai jamais parlé de la Señora Carmen et pourtant c’est une des amies les plus importantes pour moi.

La Señora Carmen a près de soixante-dix ans et souffre constamment dans presque tout son corps. Elle n’aime pas les fêtes car son mari boit, alors elle prend peur et s'angoisse. La Señora Carmen a eu une vie assez difficile, elle s’est constamment battue pour ses frères et sœurs et pour ses enfants. C’est pour moi une femme extraordinaire. Parfois, elle nous raconte que lorsqu’elle vivait avec ses parents dans une « media agua » (une cabane de bois d’une pièce ou deux avec tout juste l’électricité), quand ses parents voulaient battre leurs autres enfants, comme elle était la plus âgée, elle s’interposait en disant « Pourquoi vous voulez battre les plus petits, frappez-moi si vous voulez frapper quelqu’un ». Aujourd’hui, elle garde quelques cicatrices sur la tête qu’elle m’a montrées la dernière fois que je suis allé chez elle. Elle a un amour particulier pour moi, elle m'appelle "mi hijo", "mon fils". Et je crois que c'est réciproque !

Quand nous sommes arrivés chez elle, elle n’arrivait pas à nous parler car l’angoisse lui avait coupé la voix. Son mari, don Juan était là aussi. Ils nous ont reçus chaleureusement, comme à chaque fois que nous allons chez eux. Ils nous font toujours asseoir en nous servant quelque chose ou en nous donnant un fruit car Juan travail au marché. Nous avons cherché sur la radio pour mettre la chaîne nationale où passent les musiques de cueca. Alors nous avons commencé à danser. C’était beau de les voir si heureux. Ils tapaient dans leurs mains au rythme de la musique en nous donnant quelques conseils. J’étais surpris de les voir si touchés du fait que nous nous intéressions à eux et que nous aimions leur culture. Juan a dansé avec nous, je voulais inviter la Señora Carmen mais son bras la faisait souffrir.
Puis nous avons joué de la guitare en chantant. C’était à la fois un moment très simple et en même temps il y avait quelque chose de magique : toute cette musique, ces rires, ce bonheur que nous pouvions goûter à ce moment, me donnaient la sensation d'être dans un autre monde, comme si je ne comprenais pas ce qui se passait mais qu'importe, on n’a pas besoin de tout comprendre. En partant, ils nous ont remercié de nombreuses fois… jusqu'à dire que cela ne venait pas d’ici, que deux jeunes qui venaient mettre de la joie dans le cœur des hommes, deux jeunes qui venaient chanter et danser, qui arrivaient par surprise au milieu d’une après-midi, cela ne venait pas d’ici. C’est don Juan, le mari de la Señora Carmen qui nous a dit cela. J’étais très touché car pendant longtemps je le sentais assez distant avec nous lors nos visites. La Señora Carmen nous a donné un sac de fruits en nous remerciant et en nous disant qu’ils étaient seuls pour passer les fêtes, qu’elle était heureuse que nous soyons venus.
Je suis parti avec encore cette sensation que quelque chose de magique s’est passé durant cette visite.
 


© Points-Cœur, Chili

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