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« L’enfant veut un monde qui ait du sens »

L’école fait-elle aimer le monde aux enfants ? Ce n’est pas sûr, disait le philosophe Jean-Noël Dumont lors de son récent passage à Genève. Pour lui, l’enfant n’a le goût de grandir que dans un monde qui a du sens.


© Hugo Rivero

Dire à un enfant : « Ce monde, ce n’est pas moi qui l’ai fait, j’y suis pour rien », c’est refuser son rôle d’éducateur. C’est faire de ce monde quelque chose d’absurde. Un monde où l’on n’a pas envie de grandir », affirme le philosophe Jean-Noël Dumont. Ce grand défenseur de la liberté d’enseignement en France, directeur du Collège supérieur de Lyon, participait à un séminaire organisé par des ONG spécialisées dans le droit à l’éducation qui avait lieu en octobre dernier aux Nations Unies à Genève.

Pour éduquer, continue Jean-Noël Dumont, il faut présenter à l’enfant un univers cohérent et unifié, un monde dont on « assume la responsabilité ». Dont on puisse assurer : « Oui, tu vas voir, ce monde est beau et il vaut la peine d’y vivre. »

Le plafond de verre
Or justement, la crise du sens que nous traversons ébranle sérieusement la cohérence du monde, dit le philosophe. Et ce déjà dans les salles de classe. Premièrement par la fragmentation de la connaissance : car l’école actuelle n’apprend devant les choses qu’à poser la question du « comment », héritière qu’elle est du positivisme qui a banni la question du « pourquoi ».
Les grandes questions du cœur humain (Pourquoi sommes-nous sur terre ? Qu’est-ce que le bonheur ?) n’ont pas leur place à l’école, car on les considère comme dépassant les capacités de la raison. « C’est un plafond de verre qu’on impose à l’intelligence ! – s’insurge le philosophe – Sous couvert de rationalisme, on ne fait pas confiance à la raison pour chercher la vérité. » L’abandon de la recherche du sens ne serait donc pas due à une crise de la foi, mais bien à une crise de l’intelligence.

Un monde désenchanté
Cette fragmentation a des conséquences très pratiques, assure Jean-Noël Dumont : « Si le “pourquoi” est éliminé, à quoi bon étudier la chimie, la littérature, les mathématiques ? – interroge-t-il. Si, à la fin de la journée, l’enfant n’a en tête que : “l’homme n’est que ci, le monde n’est que ça, il n’y pas vraiment de différence avec l’animal”, il est normal qu’il termine son après-midi devant la télévision. » Une vision du monde désenchantée ne serait donc pas éducative.
La diversité culturelle est, pour le philosophe, un autre élément de la crise du sens. Un monde sensé est un monde unifié : en cela, le mélange des cultures et des valeurs représente un véritable défi. On a tendance à y répondre par la neutralisation de l’espace public ; c’est-à-dire que l’Etat se pose en arbitre neutre au-dessus des différentes opinions (raison pour laquelle les symboles religieux n’auraient plus leur place en classe, selon certains, ndlr).
Jean-Noël Dumont affirme que cette posture induit un scepticisme profond : car le sens est ramené à la périphérie, à une question de goûts et de couleurs. L’important est que l’ordre public soit respecté, le reste est secondaire.
Est-il souhaitable d’un point de vue éducatif que l’école fasse preuve d’une telle neutralité, et n’engage pas les enfants à s’interroger sur le sens de la vie, se demande le philosophe ? « Si les éducateurs adoptent une position neutres devant les choses, sauront-ils apprendre aux enfants à s’émerveiller devant le monde ? Les mathématiques sont nées de la contemplation, rappelle-t-il. Aujourd’hui, elles sont transmises comme des procédures à appliquer. Dans la neutralité, on ne peut transmettre que des procédures. »

Le manque de visions
Le sens de la vie, on peut se demander ce que cela viendrait faire à l’école. Mais à l’heure où l’on accuse les traders d’être des mathématiciens qui réduisent le monde à leurs équations, sans souci des conséquences réelles de leurs transactions, où l’on déplore le manque de visionnaires politiques pour construire l’Europe des valeurs, pour concurrencer celle des marchés, et où le suicide est, en Suisse, l’une des premières causes de décès chez les jeunes de 15 à 24 ans, la question de savoir si l’éducation doit se borner à la transmission d’informations ou si elle doit engager les enfants à aimer le monde mérite au moins d’être posée.

 

Le Collège supérieur de Lyon
Jean-Noël Dumont « a toujours voulu que la philosophie ne reste pas dans les salles de classe », peut-on lire sur le site internet du Collège supérieur de Lyon, qu’il a fondé en 1999. L’institut se veut « un centre de réflexion et de formation pour tous », et propose des conférences tout public sur des thèmes aussi divers que la vie professionnelle, la politique ou la science, abordés avec l’éclairage de la philosophie et de l’héritage chrétien. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont Les catholiques et la démocratie, paru cette année (Ed. de l’Emmanuel) et Le sens du plaisir (Ed. Peuple libre).
 

Article paru dans l'Echo Magazine du 6 décembre 2012

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