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Mariage homosexuel : la position du grand rabbin de France

d'Arnaud de Malartic   21 janvier 2013
Temps de lecture 8 mn

Elu grand rabbin de France en janvier 2009, Gilles Bernheim a récemment rendu public un essai très détaillé intitulé « Mariage homosexuel, homoparentalité et adoption : Ce qu'on l'oublie souvent de dire [1]. Que nous apprend ce document ?

1. Tout d'abord la plus haute autorité du judaïsme français met les choses au point au sujet de la légitimité de son discours. Ce dernier n'est pas le reflet d'une position construite au nom de principes religieux d'une minorité de croyants cherchant à s'imposer face à une majorité de non croyants. Gilles Bernheim entend « argumenter par rapport à la culture et à la civilisation française ». [2] A l'Assemblée Nationale il récuse tout « front des religions » contre la loi et parle « en tant que philosophe ». 

2. Le principal argument contre cette loi c'est, à son sens, qu'« on ne peut donner le mariage à tous ceux qui s'aiment ». Pour Gilles Bernheim, accepter le mariage « pour tous » n'est aucunement apporter un remède à une situation inégalitaire.
« Il est convenu, on entend dire, que les homosexuels sont victimes de discriminations, doivent avoir comme les hétérosexuels le droit de se marier, mais ce que l'on oublie souvent de dire c'est que l'argument du mariage pour tous ceux qui s'aiment ne tient pas. Ce n'est pas parce que des gens s'aiment qu'ils ont systématiquement le droit de se marier qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels. Au nom de l'égalité, de la tolérance, de la lutte contres les discriminations, on en peut donner droit au mariage à tous ceux qui s'aiment ». [3]

Dans son essai Gilles Bernheim entre plus dans le détail : « Par exemple un homme ne peut pas se marier avec une femme déjà mariée, même s'ils s'aiment. De même, une femme ne peut pas se marier avec deux hommes au motif qu'elles les aiment tous les deux et que chacun d'entre eux veut être son mari. Ou encore un père ne peut se marier avec sa fille même si leur amour est uniquement paternel et filial ». Par conséquent : « le mariage pour tous est uniquement un slogan car l'autorisation du mariage homosexuel maintiendrait des inégalités et des discriminations à l'encontre de toux ceux qui s'aiment mais dont le mariage continue d'être interdit ». [4]  

3. A propos de l'ouverture à l'adoption : « Le droit à l'enfant n'existe pas. Il n'existe pas de droit à l'enfant, pas plus chez les homosexuels que chez les hétérosexuels. Personne n'a droit à avoir un enfant, au prétexte qu'il désire avoir un enfant (…). L'enfant n'est pas un objet de droit mais un sujet de droit. Parler de « droit à l'enfant » relève d'une instrumentalisation inacceptable. Si quiconque veut l'enfant a droit à l'enfant, alors l'enfant devient un enfant-objet.
Dans le débat actuel, l'enfant en tant que personne, en tant que sujet est absent des propos de ceux qui réclament l'adoption par les couples homosexuels. Et cette absence leur permet d'éviter de se demander à quoi l'enfant pourrait avoir droit, de quoi il pourrait avoir besoin, s'il préfère avoir un père et une mère ou deux parents du même sexe (…) le droit de l'enfant est radicalement différent du droit à l'enfant. Ce droit est fondamental. Il consiste, en particulier, à donner à l'enfant une famille où il aura le maximum de chance de se construire au mieux 
». [5]

Dans son audition à l'Assemblée Nationale le grand rabbin de France est le seul à rappeler qu'il existe déjà un cadre juridique pour encadrer des situations impliquant l'exercice de l'autorité parentale au sein des couples homosexuels : « d'autres propos entendus suggèrent que l'homoparentalité existe de fait, que des milliers et des milliers d'enfants sont élevés déjà par des couples homosexuels et qu'il faut donc créer un cadre juridique pour protéger ses enfants. On oublie de dire que la loi permet déjà d'organiser la vie quotidienne des familles recomposées (…). Arrêt de la Cour de cassation du 24 fev. 2006 qui affirme que rien ne s'oppose à ce qu'une mère seule titulaire de l'autorité parentale ne délègue tout ou partie de l'exercice à la femme avec laquelle elle vit une union stable et continue, dès lors que les circonstances l'exigent et que la mesure est conforme aux intérêts supérieurs de l'enfant. (…) il est ainsi jugé que l'intérêt supérieur de l'enfant peut justifier en pareilles circonstances que l'autorité parentale puisse être partagée entre une mère et sa compagne ».

Conclusion de Gilles Bernheim: « il n'est donc pas nécessaire d'ajouter encore la loi à ce qui existe déjà. Le droit français est suffisamment riche pour répondre aux situations des familles recomposées actuelles ». 

4. Le grand rabbin de France tente aussi de remonter à l'origine culturelle d'une telle revendication, la théorie actuelle du genre « qui ne définit pas l'individu selon son sexe, homme, femme, mais par sa sexualité (homo, hétéro) ». Donc : « à la place de l'identité sexuelle qui est comme éliminée est proposée une « orientation sexuelle » qui serait choisie par chaque individu. Cette théorie invite l'individu à sortir du carcan d'homme et de femme qu'il n'a pas choisi et à s'exprimer de la façon dont il se perçoit ». Ainsi, « le féminin ou la masculin deviennent de simples rôles que l'on peut choisir d'endosser, de parodier ou d'échanger à loisir ».

Une telle confusion des genres ne peut qu'inquiéter Gilles Bernheim : « au nom de la tolérance, on réclame la reconnaissance de toutes les formes d'orientations sexuelles… mais la tolérance ne joue ici que le rôle de cheval de Troie dans le combat contre l'hétérosexualité, norme sociale jugée imposée et dépassée puisque bâtie sur la différence sexuelle ». [6]   

Comme conclusion de son essai : « A l'heure de conclure, il ressort que les arguments invoqués d'égalité, d'amour, de protection ou de droit à l'enfant se démontent et ne peuvent, à eux seuls, justifier une loi. Il n'y aurait ni courage, ni gloire à voter une loi en usant davantage de slogans que d'arguments et en se conformant à la bien-pensance dominante par craintes d'anathèmes. (…) ce qui pose problème dans la loi envisagée, c'est le préjudice qu'elle causerait à l'ensemble de notre société au seul profit d'une infime minorité, une fois que l'on aurait brouillé de façon irréversible trois choses :

  • Les généalogies en substituant la parentalité à la paternité et maternité.
  • Le statut de l'enfant, passant de sujet à celui d'un objet auquel chacun aurait droit.
  • Les identités où la sexuation comme donnée naturelle serait dans l'obligation de s'effacer devant l'orientation exprimée par chacun, au nom d'une lutte contre les inégalités, pervertie en éradication des différences.

Ces enjeux doivent être clairement posés dans le débat sur le mariage homosexuel et l'homoparentalité. Ils renvoient aux fondamentaux de la société dans laquelle chacun d'entre nous a envie de vivre ».


[1] Téléchargeable sur www.grandrabbindefrance.com
[2] Radio Europe 1 Soir du 18/10/2012
[3] Audition du 28 Novembre 2012 à l'Assemblée Nationale (www.assemblee-nationale.tv onglet « à la demande » puis « comission » puis « projet de loi de mariage pour couples de même sexe » du 28 novembre 2012).
[4] Audition du 28 Novembre 2012 à l'Assemblée Nationale.
[5] Essai « Mariage Homosexuel, homoparentalité et adoption. Ce qu'on oublie souvent de dire ». Partie 5.
[6] Interview au Figaro le 19/10/2012

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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4 Commentaires

  1. Bruno ANEL

    Nous devons une grande reconnaissance à Gilles Bernheim pour cet exposé rationnel et argumenté. Le pape lui-même a repris les propos du grand rabbin de France dans un de ses discours. On aurait aimé entendre des choses aussi cohérentes dans les rangs catholiques, où le discours a été soit trop discret, soit entaché de quelques excés ou encore  insuffisamment argumenté. Qui, mieux qu'un philosophe père de 4 enfants, pouvait défendre le mariage de façon aussi convaincante, avec des arguments recevables par tous ?

  2. Olympe

    Il est toujours utile et éclairant de s'ouvrir sur les arguments et le discours de nos confrères de religion, je suis heureuse de pouvoir le lire ici.

    Mais, il n'en demeure pas moins que, pas plus que nous en tant que Chrétiens, ils ne sont pas légitimes à dicter les lois d'une société laïque et républicaine. 

    1. Arnaud de Malartic

      Je crois qu'en France il est bien révolu (d'ailleurs a t-il jamais existé) le temps où des religions pouvaient "dicter" les lois. Il ne me semble donc pas qu'il y ait péril en la demeure, qu'il existe un quelconque danger qu'une minorité de croyants impose ses vues à une majorité laïque. 

      Le point de vu du grand rabbin est intéresssant car il parle justement en philosophe, jamais il ne prononce le mot Dieu, alliance ou Torah. Sa raison est certes éclairée par sa foi mais il n'en reste pas moins que son argumention ne se situe pas sur le terrain de la révélation. Son but est uniquement de contribuer au débat.

      Dans le projet d'élaboration de la loi, le propos de Gilles Berheim mérite donc d'être écouté et pesé au même titre que celui d'un non religieux, "laïc et républicain".

       Les idées de personnes athés ou agnostiques seraient-elles les seules qui soient légitimes, les seules qui auraient le droit d'être prises en compte? 

       

  3. Christiana M.

    C'est bien que les propos d'un rabbin, et pas n'importe lequel et de surcroît philosophe soient diffusés ; ses arguments juridiques sont simples à comprendre et en outre frappent au coin du simple bon sens. Il me semble que cet esposé a déjà été diffusé largement mais il faudrait qu'il le soit encore bien  davantage.

    Un article dans ce blog va dans ce sens . A diffuser donc. 

     

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