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Les « valeurs traditionnelles » à l’ONU : entre danger et opportunité

En septembre 2012, le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU a adopté une résolution très controversée intitulée : « Promotion des droits de l'homme et des libertés fondamentales par une meilleure compréhension des valeurs traditionnelles de l'humanité : meilleures pratiques ».


Visages ukrainiens © Aude Guillet

 

Vers la fin d’un monopole ?

Portée par la Russie, la résolution a pour but de mettre en lumière le lien entre les valeurs traditionnelles et les droits fondamentaux, par un rapport collectant de bonnes pratiques ; plus fondamentalement, il s’agit ne pas laisser aux pays occidentaux le « monopole » idéologique de l’interprétation des droits de l’Homme[1].

La résolution est passée, mais elle a dû être votée (ce qui indique un manque d’unité entre les 47 Etats qui composent le Conseil des droits de l’Homme : les résolutions plus consensuelles sont adoptées sans vote). Acceptée par 25 voix contre 15 et 7 abstentions[2], le résultat dessine un clivage géographique et idéologique très net, que l’on pourrait résumer, sans trop de caricature, par : « Occident/reste du monde ».

Les craintes des opposants

Les opposants à cette résolution considèrent qu’il est dangereux de promouvoir les « valeurs traditionnelles » au sein des Nations Unies, car elles présenteraient une menace pour l’universalité des droits de l’Homme (les traditions étant par nature particulières et locales). De plus, ils arguent que de nombreuses violations des droits de l’Homme ont lieu au nom de « valeurs traditionnelles » (comme les crimes d’honneur, les mutilations génitales, les mariages forcés, l’homophobie, etc.). Ces valeurs pourraient donc être invoquées pour justifier des abus au nom de la diversité culturelle.

Pourtant le document préparé par les experts de l’ONU parle des valeurs traditionnelles « de l’humanité », celles qui ont inspiré la Déclaration universelle des droits de l’Homme, et en particulier des valeurs de dignité, de liberté et de responsabilité.

Confusion du langage

Il semble que ce qui gêne les opposants ne soit pas tant les valeurs précitées que certaines pratiques ayant cours dans les sociétés dites « traditionnelles ». On remarque donc, à travers l’utilisation imprécise du langage, une certaine confusion entre les termes « valeur » (principe moral) et « tradition » (coutume).

Il est d’ailleurs regrettable que l’équivocité soit souvent de mise dans les textes de l’ONU. Dans le même rapport d’experts sur les valeurs traditionnelles, il est dit que la responsabilité n’est pas toujours une valeur positive, car dans les sociétés patriarcales, « la sauvegarde de l’honneur de la famille est la responsabilité de la femme », ce qui contribue « à faire que les femmes sont considérées comme des marchandises, dont on attend obéissance et passivité ». L’équivocité du terme « responsabilité » est ici manifeste, puisque d’une femme responsable on fait, en une phrase, une femme-objet.

L’Occident complexé

Outre ces imprécisions, dommageables à la rigueur intellectuelle du document, le rapport des experts ignore purement et simplement l’apport du christianisme dans son chapitre dédié à l’influence des valeurs traditionnelles dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Le Coran, la pensée chinoise, les valeurs de tribus africaines, aborigènes ou andines y sont mis à l’honneur ; mais il ne s’y trouve pas une seule mention de l’Evangile comme source d’inspiration, pas plus que de la Magna Carta[3], de Bartolomé de Las Casas[4] ou d’Emmanuel Kant. L’Occident, de manière générale, n’est mentionné que pour affirmer que ses propres valeurs traditionnelles (sans préciser lesquelles) « diffusent des pratiques néfastes, telles que la violence domestique ».

L’apport de Points-Cœur

Malgré tous ces manques regrettables, Points-Cœur, en tant qu’ONG avec statut consultatif auprès des Nations Unies, a désiré participer à sa mesure à la discussion en rendant une contribution sur les bonnes pratiques liées aux valeurs traditionnelles dont nous sommes témoins à travers le monde.

En effet, si Points-Cœur partage l’avis des opposants quant au fait qu’il existe des pratiques traditionnelles qui ne sont pas respectueuses de la personne humaine, nous ne pensons cependant pas que le seul mot de « traditionnel » mérite une telle levée de boucliers. La dignité, la liberté et la responsabilité sont bien les valeurs à l’origine de la Déclaration universelle, et elles n’ont certainement pas attendu 1948 pour exister. Partout où des hommes et des femmes s’en inspirent pour guider leurs actions, que ce soit dans les sociétés dites modernes ou dans celles dites traditionnelles, elles méritent d’être admirées et elles suscitent notre reconnaissance.

Etude du comité consultatif du Conseil des Droits de l'homme sur cette question.


[1] Les pays occidentaux, en particulier les Etats-Unis et les pays d’Europe du Nord, sont en effet les premiers promoteurs des « nouveaux droits », comme les « droits sexuels et reproductifs » (terme qui inclut généralement l’avortement) ou les droits civils revendiqués par les lobbies LGBT. Il existe donc une tendance à considérer ceux qui s’opposent à cette évolution, par attachement aux « valeurs traditionnelles » notamment, comme défendant une posture contraire aux droits de l’Homme.
[2] Ont voté pour (25) : Angola, Arabie Saoudite, Bangladesh, Burkina Faso, Cameroun, Chine, Congo, Cuba, Djibouti, Équateur, Fédération de Russie, Inde, Indonésie, Jordanie, Kirghizistan, Koweït, Libye, Malaisie, Maldives, Mauritanie, Philippines, Qatar, Sénégal, Thaïlande et Uganda.
Ont voté contre (15) : Autriche, Belgique, Botswana, Costa Rica, Espagne, États Unis, Hongrie, Italie, Maurice, Mexique, Norvège, Pologne, République tchèque, Roumanie et Suisse.
Abstentions (7) : Bénin, Chili, Guatemala, Nigéria, Pérou, République de Moldavie et Uruguay.
[3] Charte anglaise de 1215 affirmant la primauté des libertés individuelles sur l’arbitraire royal, considérée comme un document fondateur de l’Etat de droit.
[4] Dominicain espagnol célèbre pour avoir défendu les droits des Amérindiens contre les excès des conquistadors au 16ème siècle.

 

 

 

 

 

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3 Commentaires

  1. Michel de Malartic

    Où peut-on lire le texte de cette résolution ?

    Apparemment la France ne fait pas partie du "Conseil des droits de l'homme" . 

    Comment sont désignés les membres de ce Conseil ?

    1. Cher Michel, le texte de la résuolution est disponible sur le lien : http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/HRC/21/L.2&referer=/english/&Lang=F

      Pour l'élection des membres du Conseil, voici un petetit résumé:

      le Conseil est composé de 47 États Membres qui sont élus directement et individuellement au scrutin secret à la majorité des membres de l’Assemblée générale.

      La composition du Conseil respecte le principe d’une répartition géographique équitable, les sièges étant répartis comme suit entre les groupes régionaux :

      Groupe des États d’Afrique (13)
      Groupe des États d’Asie-Pacifique (13)
      Groupe des États d’Europe orientale (6)
      Groupe des États d’Amérique latine et des Caraïbes (8)
      Groupe des États d’Europe occidentale et autres États (7)

      Les membres du Conseil sont élus pour un mandat de trois ans et ne seront pas immédiatement rééligibles après deux mandats consécutifs.

      Plus de détails (membres actuels, candidats, etc. sur http://www.un.org/fr/ga/67/meetings/elections/hrc.shtml

      Il est à noter que les membres sont sensés remplir une série de critères (de respect des droits de l'Homme) pour être élus: il est évidemment intéressant pour un Etat d'être élu en terme de légitimité, et cela pose parfois problème quand il s'agit d'un Etat notoirement peu respecteueux des droits fondamentaux.

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