Home > Société > Kaamelott : c’est pas faux !

Avec Kaamelott, cela fait plus de 10 ans qu’Alexandre Astier (auteur, réalisateur et acteur de la série télévisée) s’est lancé dans la quête du Graal avec son royaume en terre bretonne et ses chevaliers de la table ronde qui « agissent peu mais parlent beaucoup ». Dans une série qui n’a d’épique que le thème, il met en scène le roi Arthur, Lancelot, Guenièvre et toute la joyeuse bande légendaire dans une succession d’épisodes (6 saisons déjà) où le tragique n’est jamais loin du comique. Son génie ? Il raconte des histoires substitutives au prozac et lutte contre la dépression de masse en nous invitant à le suivre dans une quête moins burlesque qu’il n’y paraît.

L’un des ressorts de la série est l’anachronisme : les chevaliers parlent, agissent et réagissent comme nos contemporains. Arthur est complètement dépressif, Leodagan est colérique et borné, le preux Lancelot râle parce qu’en pleine embuscade il a un caillou dans sa chaussure, Yvain, complètement immature déclare : « Je ne prends pas le bouclier, ça fait trop nul ! » et Perceval « balance dans la rivière les clous de la Sainte Croix » de peur de « chopper le Tétanos ». Mais l’ambition première de Kaamelott n’est pas le comique. Celui-ci vient comme en surplus, il est un accident. Il s’agit plutôt de mettre en scène des hommes quelconques, voire nuls, et de montrer comment ces don Quichotte se débrouillent avec leur tâche improbable. Ces types sont en dessous de tout, mais il leur est confié la plus importante mission de la chevalerie. C’est plutôt dans le drame de la disproportion entre la noblesse de la cause et la déficience des chevaliers que naît le comique.

Pourquoi s’éloigner autant de l’image qu’on a des chevaliers de la table ronde ? « J’adore les gens qui ne comprennent pas ce qu’on leur dit, c’est très important qu’il y en ait qui continuent de passer à côté de tout ce qui se passe » (Alexandre Astier). C’est bien le cas de la paire Karadoc (l’inventeur de la fameuse botte secrète « c’est pas faux ») et Perceval (qui admet lui-même « le Graal, la table ronde, je ne pige jamais rien à rien »). Mais leur rôle est plus important qu’il n’y paraît, ce sont notamment eux qui sauvent Arthur et lui permettent de ne pas tomber dans le cynisme et la dépression. Après une énième fois où il les surprend en pleine activité aussi bizarre qu’inutile – torses nus, s’étant mis dans la tête de casser des pierres avec le tranchant de la main -, Arthur leur avoue : « pour quelqu'un comme moi qui a facilement tendance à la dépression c'est très important ce que vous faites, parce que… Comment vous dire… C'est systématiquement débile mais c'est toujours inattendu. Et ça c'est très important pour la… la santé du… du cigare… ».

Le Roi Arthur a la particularité de s’entourer de gens faibles, il veut poursuivre la quête avec ceux à qui elle a été confiée, sans quoi elle serait dénaturée. Mais Lancelot, le chevalier modèle, veut se débarrasser des « bras cassés de la Table Ronde » et sélectionner l’élite, il rêve d’une quête du Graal qui se ferait enfin avec des vrais chevaliers compétents. Arthur vit la quête avec ceux qui sont là quand Lancelot la rêve avec ceux qui sont à la hauteur. Arthur se sait dépassé par cette mission quand Lancelot s’en estime digne (« Et même tout nu et sur un pied, j’irai toujours cent fois plus loin que vous et votre risible compagnie de crétins ») et c’est ce qui le perd, ce qui le mènera à la trahison du roi et provoquera la destruction de Kaamelott. Les dernières saisons donnent raison à Arthur. Délivré de sa charge de roi – qui finalement l’ennuyait, « Arthur est un héros qui n’avait plus envie » – il n’abandonnera pas pour autant sa mission « spirituelle », – beaucoup plus profonde que sa fonction – et c’est grâce à Perceval, lui qui ne se sentait pas tellement concerné au début mais qui lui restera fidèle et se révélera un véritable ami, qu’Arthur ira jusqu’au bout.

Kaamelott met en scène des chevaliers qui ne réussissent pas grand-chose, pour qui la transcendance de la mission n’a pas de sens, qui oublient souvent la raison pour laquelle ils sont là, mais qui, étrangement, sont toujours mobilisés par cette quête qui les rattache à quelque chose de beaucoup plus grand et pourrait donner du sens à l’absurde du quotidien. En plus d’être un puissant antidépresseur, Alexandre Astier, nous renvoie l’image de notre propre vie : une mission à laquelle on va plus ou moins s’intéresser, une mission devant laquelle on se jugera plus ou moins digne, une mission au cours de laquelle on va plus ou moins accepter qu’un roi Arthur nous remette en chemin, qu’on va plus ou moins réduire à un vase ou une pierre incandescente …

Gauvain : Ça veut dire quoi incandescente ?
Perceval : Qui peut accaparer des objets sans resurgir sur autrui…

Retrouvez l’ensemble des vidéos de la série sur http://www.m6.fr/serie-kaamelott/
Et une très bonne interview d’Alexandre Astier : http://www.youtube.com/watch?v=eMyDPOyhsbY

 

Jean Despruniée

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3 Commentaires

  1. Alexandre Astier est un des grands saltimbanques de notre temps : scénariste, acteur et metteur en scène, compositeur, musicien accompli…

    Ce qui est beau, c'est aussi que Kaamelott est un projet familial : père, mère, belle-mère (et même son fils !) apparaissent au gré des épisodes, dans des personnages hauts en couleur.

    Et la série, au fil des saisons, prend des tournures inattendues, les épisodes condensés et hilarants du début font place progressivement à une certaine gravité, tout en suivant une ligne cohérente, même si tout le monde n'apprécie pas ce changement de ton.

    Si ce n'est déjà fait, allez voir son sketch désopilant sur J. S. Bach sur youtube, tout à fait dans la lignée de la géniale série Kaamelott.

    Il prépare une seconde tournée avec son spectacle "Que ma Joie demeure", toujours autour du personnage de Bach. J'ai bien hâte de voir ça, c'est à Paris en septembre prochain à la Cité de la Musique (+ plein d'autres dates en province, toutes les infos sont sur son site).

    Quant à la suite de Kaamelott… Il parlait de poursuivre avec trois longs-métrages. Je crois que c'est en cours. Tous les fans (dont je suis, vous aurez compris) ont très hâte, les années ont beau passé, c'est toujours la même soif !

  2. Clément I

    Merci beaucoup Jean pour cet article qui élargit considérablement ma perspective sur cette série que je n'ai jamais regardée que de façon décousue, histoire de rire un grand coup. ET QU'EST-CE QUE C'EST DRÔLE! 

    Le spectacle sur JS Bach est absolument remarquable, merci Geoffroy pour ce conseil. Alliant le décalé si caractéristique de Kaamelott, un sens du tragique, de l'absolu et de l'essentiel, Alexandre Astier faire rire et grandir. Un magnifique talent, une magnifique découverte. Merci.