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Le Vatican au risque de la Création

de Paul Anel  18 mai 2013
Temps de lecture 2 mn

La Biennale de Venise est sans conteste le rendez-vous le plus attendu des artistes et des amoureux de l’art contemporain dans le monde entier. Tous les deux ans, chaque pays désirant y participer dispose d’un pavillon dans lequel il peut exposer sa création contemporaine, si extravagante soit-elle. Mais cette année, tout le monde attend avec curiosité, et une certaine impatience, l’ouverture du pavillon d’un pays qui, depuis la fondation du festival en 1895, fait sa toute première apparition : le Vatican.


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Sous la direction de son préfet, le Cardinal Gianfranco Ravasi, le Conseil Pontifical pour la Culture a en effet commissionné plusieurs artistes contemporains pour la réalisation d’œuvres inspirées du livre de la Genèse. Le Studio Azzuro, collectif d’artistes basé à Milan et connu pour son usage des nouvelles technologies, répondra au thème de la création. Le photographe Tchèque Josef Koudelka, dont le travail sur des thèmes tels que la solitude, la mort et la désespérance, a fait l’objet de reconnaissances par les prix internationaux les plus prestigieux, travaillera sur la seconde partie du thème de la Genèse, en lien avec le récit de la chute, admirablement appelée « dé-création ». Enfin, le peintre d’origine australienne Lawrence Carroll, dont les œuvres cherchent à composer une unité à partir de fragments, travaillera quant à lui sur le thème de la re-création.

L’ouverture d’un « Pavillon du Vatican » à Venise est un événement d’une importance que l’on ne saurait exagérer. D’abord parce qu’à part de rares exceptions[1], le dialogue entre l’Eglise et l’art contemporain[2] est interrompu depuis plus de deux siècles. L’art a suivi son propre chemin, et l’Eglise s’est inventé un art « fait maison », plus tard appelé « art sulpicien ». Et s’il y a eu dans une époque plus récente, et pour des raisons parfois idéologiques, une tentative de « faire du moderne », on sait à quelles médiocrités elles ont pu aboutir. En effet, adopter extérieurement un style est une chose ; entrer en dialogue avec les grands créateurs contemporains en est une autre. En 1999, Jean-Paul II avait appelé cette réconciliation de ses vœux[3], devant un parterre d’artistes rassemblés dans la Chapelle Sixtine, fruit incontesté de la fécondité d’un tel dialogue en des temps où l’Eglise se risquait auprès des plus grands créateurs de son époque.

Cette entrée du Vatican à la Biennale de Venise est un geste concret et courageux, qui a fait l’étonnement du monde entier. Courageux, c’est le mot. Car le Vatican prend un risque. Il prend un risque car il fait confiance à de vrais créateurs, et que toute création est un risque. Les artistes approchés par le Conseil Pontifical pour la Culture ne cachent pas qu’ils ont eu une première réaction de méfiance. Ainsi Paolo Rosa, fondateur du Studio Azzuro, qui craignait que le Vatican ne cherche à garder le contrôle du processus de la production de l’œuvre. « Mais il n’y a eu aucune interférence d’aucune sorte », note-t-il, agréablement surpris.

Que le Vatican s’en remette à la création, et accepte le risque qui lui inhérent (risque de l’échec, voire risque du scandale) manifeste une posture qui n’est pas seulement courageuse, mais juste. C’est une posture juste face à l’art, la genèse mystérieuse d’une œuvre d’art faisant écho « au mystère même de la Création » (Jean-Paul II). Mais c’est aussi une posture juste face à l’existence, et en définitive face au Christ. Pour vivre dans l’Esprit dont on ne sait « ni d’où il vient, ni où il va », nul ne saurait s’en remettre seulement à des règles. Nul ne saurait faire l’économie du risque, et de la confiance.


[1] On notera en particulier l’engagement du Père Marie-Alain Couturier, op, et son amitié avec de nombreux artistes modernes, amitiés qui ont conduit à des réalisations extraordinaires, au nombre desquelles la Chapelle Notre-Dame du Rosaire, à Vence (réalisée par Henri Matisse), la chapelle Notre-Dame de Ronchamp, réalisée par Le Corbusier, et Notre-Dame du plateau d’Assy, à laquelle ont collaboré Léger, Rouault, Braque, Matisse, Bonnard et bien d’autres encore.
[2] Remarquons que cette situation est propre aux arts visuels, essentiellement la peinture et la sculpture (on pourrait également inclure l’architecture). Cela est moins vrai pour la musique, tant il est vrai que le 20ème siècle a vu de nombreuses œuvres musicales entrer dans les églises (que l’on pense à Messiaen, Arvo Part, etc.)
[3] « L’Église tient particulièrement au dialogue avec l'art et […] elle désire que s’accomplisse, à notre époque, une nouvelle alliance avec les artistes. […] L'Église souhaite qu'une telle collaboration suscite une nouvelle « épiphanie » de la beauté en notre temps et apporte des réponses appropriées aux exigences de la communauté chrétienne. » Jean-Paul II, Lettre aux Artistes

 

 

 

 

 

 

 

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1 Commentaire

  1. Un grand merci Paul Anel pour cette article qui présente bien la place de l'art dans l'Eglise. Je prépare actuellement une 9ème biennale d'art sacré actuel à Lyon pour septembre 2013. Le titre en est Fragiles. Avez-vous d'autres écrits sur ce même sujet ? Je serais heureux d'en prendre connaissances. J'ai vu que votre site donnait une belle place à l'art. Le monde en a besoin quand l'art est vrai. Juste votre sentiment : "L’art a suivi son propre chemin, et l’Eglise s’est inventé un art « fait maison », plus tard appelé « art sulpicien »." Cela continue quand  nous demandons aux artistes de faire un art pour édifier dans l'Eglise.

    Michel, prêtre