25 mai 2013
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De 1928 à 1932, la philosophe Edith Stein – d'origine juive mais convertie au catholicisme – donne une série de conférences sur le thème de la femme. D'une grande actualité, sa pensée scrute la nature féminine, sa spécificité, sa destination, sa mission propre, l'éducation à donner aux jeunes filles ; elle soulève également la question professionnelle, la place de la femme dans l'Eglise, etc. "L'art éducatif maternel" est le titre d'une de ses conférences donnée à Munich en 1932. Ses lignes rendent un bel hommage à la maternité que nous fêterons ce dimanche 26 mai en France.
© Anaïs Guillerm
Dans la prime enfance
"Aucune force naturelle ne peut se mesurer à l'influence de la mère quant à son importance pour le caractère et pour la destinée de l'être humain."
"(…) même si l'enfant peut, par ailleurs, subir de graves préjudices, un amour maternel totalement pur et authentique trouvera, dans la plupart des cas, les moyens d'en venir à bout. Le lien entre la mère et l'enfant a quelque chose de mystérieux. L'entendement ne pourra jamais tout à fait comprendre comment il se fait que le nouvel organisme se forme dans l'organisme maternel. Il est pareillement incompréhensible, mais non moins un fait, qu'après la séparation de la mère et de l'enfant par le processus de la naissance, il demeure un lien invisible en vertu duquel la mère peut sentir ce dont l'enfant a besoin, ce qui le menace, ce qui se passe en lui, et en vertu duquel elle détient un esprit inventif merveilleux pour lui procurer ce qui lui est nécessaire et pour écarter ce qui lui est nuisible, ainsi qu'un dévouement pouvant aller jusqu'à braver la mort. Voilà pourquoi elle est, au fond, irremplaçable, et un enfant auquel la mère est arrachée ou dont la mère n'est pas une "vraie mère" ne pourra jamais s'épanouir comme un enfant qui grandit sous la protection de l'authentique amour maternel."
"Ce lien naturel est le fondement premier et le plus important de cette merveilleuse autorité que nous attribuons à l'influence de la mère. (…) Le devoir et la responsabilité de la mère résultent de son autorité. C'est d'elle plus que de n'importe quelle autre personne que dépend ce qu'il adviendra de son enfant, c'est-à-dire la façon dont son caractère se développera, et s'il sera heureux ou malheureux. Car ce n'est pas tant ce qui nous arrive du dehors que ce que nous sommes qui décide de notre bonheur et de notre malheur."
"La première obligation qui en résulte pour la mère consiste en ce qu'elle doit être là pour son enfant (…). Si des raisons de santé ou une activité professionnelle l'empêchent de prendre soin toute seule de son enfant, elle devra en premier lieu, veiller à ce que le lien demeure ("être là pour l'enfant" ne signifie pas du tout "être toujours avec lui") (…)."
"L'amour authentiquement maternel, dans lequel l'enfant s'épanouit comme les plantes à la douce chaleur du soleil, sait que l'enfant n'est pas là pour la mère : ainsi, il n'est pas là comme un jouet pour meubler son temps vide, il n'est pas là pour assouvir sa soif de tendresse, il n'est pas là pour satisfaire sa vanité ou son ambition. L'enfant est une créature de Dieu (…). Il incombe à la mère de se mettre au service de son épanouissement, de se mettre en silence à l'écoute de sa nature, de la laisser se développer tranquillement là où il n'est pas nécessaire d'intervenir, et d'intervenir là où il est nécessaire de conduire ou de réfréner."
"L'éducation doit commencer dès le premier jour, c'est-à-dire l'éducation à la propreté et à la régularité, ainsi qu'un certain endiguement des instincts : si l'enfant reçoit les repas nécessaires à des heures très précises et absolument rien en dehors, il s'y habitue, en effet, son organisme s'adapte à cet ordre. Mais si l'on cède à ses désirs réels ou présumés, on en fait, en revanche, rapidement un petit tyran. L'accoutumance régulière est donc en même temps un exercice préparatoire à l'obéissance et à l'ordre (…)."
"Autant il est nécessaire, d'un côté, de laisser de la liberté à l'enfant, afin qu'il puisse se mettre en action et s'épanouir conformément à sa nature et à son stade de développement, autant il est nécessaire qu'il sente au-dessus de lui une volonté ferme qui régit sa vie pour son bien. La nature enfantine a besoin d'être fermement conduite et le désire vivement au fond, même si, dans le cas particulier, la volonté de l'éducateur contrarie souvent les désirs enfantins, et même si l'instinct de puissance, l'instinct consistant à s'imposer, est inhérent à chaque être humain et tente de secouer le joug que constitue la volonté d'autrui. (…) lorsque ses désirs, après un premier refus, sont satisfaits suite à quelque harcèlement, à quelques bouderies et à quelques hurlements, que des menaces ne sont pas mises à exécution et que des ordres sont repris, alors il est vite le maître au foyer pour le calvaire de sa famille et surtout à son propre détriment. Il n'est pas, en effet, encore capable de juger ce qui est bon pour lui et il obtient par la menace des choses qui, la plupart du temps, ne lui sont aucunement profitables. En outre, il gaspille son énergie dans des réflexions et dans des décisions sur des affaires qui devraient être réglées tout naturellement (par exemple, quand et ce qu'il doit manger, ce qu'il doit mettre, etc.), au lieu de l'employer dans le domaine qui, dans ces années-là, constitue le champ le plus important pour son autonomie, c'est-à-dire dans le jeu."
"Des parents très aimants peuvent commettre ces deux fautes, c'est-à-dire faire preuve d'autorité à mauvais escient et accorder la liberté à mauvais escient (…). Ils veulent jouer avec l'enfant et donner, ce faisant, eux-mêmes le ton, alors que l'enfant joue de la façon la plus belle et la plus féconde lorsque c'est lui qui organise entièrement le jeu. Ou bien ils le dérangent au beau milieu du jeu, qui est – non seulement à son sens, mais aussi en toute objectivité – l'une des affaires les plus importantes de sa vie, parce qu'il y a de la visite et que l'objet de fierté de la famille doit être présenté ou dans n'importe quel autre but dont l'enfant ne peut comprendre le caractère urgent."
"(…) l'éducation dans son ensemble doit être étayée par un amour perceptible dans chaque mesure prise et n'engendrant aucune crainte. Et le moyen éducatif le plus efficace n'est pas la parole qui enseigne, mais l'exemple vivant, sans lequel toutes les paroles demeurent vaines."
"Toute vie communautaire humaine est fondée sur la confiance et sur la délicatesse. Un enfant qui se sait protégé par l'amour de sa mère, qui ne connaît rien d'autre que sa relation entièrement fondée sur la sincérité avec cette dernière, entretiendra aussi avec autrui des rapports fondés sur la sincérité et sur la confiance tant que de mauvaises expériences ne l'auront pas fait reculer d'effroi, et, même s'il est déçu ici et là, il ne perdra point sa confiance dans les êtres humains tant que subsistera et ne sera point ébranlée la foi en cet être qui est pour lui le plus proche et le plus important."