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Hong Kong à l’école de l’Amérique du sud

de Jean-Marie Porté    8 juillet 2013
Temps de lecture 4 mn

Monsieur Ming, citoyen de Hong-Kong issu des classes moyennes de la cité, travaille en free-lance pour la promotion d’une culture civile. Fasciné par le développement des mouvements issus de la base en Amérique du Sud, il lance des projets de réveil de la conscience sociale dans une société qui n’y est pas du tout habituée, du théâtre de rue aux voyages de jeunes en Europe. De passage à Berlin, il a accepté de nous raconter son rêve.


© Points-Cœur

Monsieur Ming, qu’est-ce qui vous amène à Berlin ?

J’ai voulu donner à quelques jeunes la chance de connaître l’Europe. Mon idée est qu’on ne peut forcer personne à changer de vie, mais on peut mettre quelqu'un dans une situation qui le force à réfléchir.

Je vous donne un exemple : dans les parcs de Hong Kong, tout est interdit – s’étendre sur les pelouses, faire un barbecue, jouer au ballon. Pour se divertir, il faut aller au centre commercial. Ici à Berlin, mes jeunes voient les autres jeunes assis le long d’un canal au soleil couchant, allongés sur la pelouse avec une bière, jouant de la guitare ensemble. Alors quand ils rentreront à Hong Kong ils se demanderont : « Pourquoi là-bas peut-on trouver tant de joie dans des choses si simples, et ici non ? ». Et ils commenceront à penser.

Les jeunes de Hong Kong ne savent pas ce qu’est la liberté, ne savent pas apprécier la vie simple. Or je crois pour ma part qu’une fois qu’on a expérimenté la beauté des choses simples, on commence forcément à se poser des questions. C’est pour ça que j’ai eu l’idée de ces voyages en petit groupe, au maximum 15, où on part avec deux règles : pas d’argent – on le gagne en faisant des représentations de rue –, et coucher chez l’habitant. Ce n’est pas de tout repos, mais cet été, j’en fais trois, chaque tour passant dans cinq villes différentes. Cette fois-ci par exemple, Madrid, Paris, Amsterdam, Berlin, Cracovie.

Bien sûr, le monde n’est parfait nulle part, mais ici en Europe, le mal est moins fort que chez nous.

Comment avez-vous pris conscience de ce manque à Hong Kong ?

Ça a commencé par mon idée de boycott, en fait. J’ai pris conscience que chez nous, beaucoup de choses appartiennent au même conglomérat, banques, centres commerciaux, électricité, transports en commun. Cette position monopolistique, couplée à des liens étroits avec la politique, fait en sorte que le peuple est maintenu artificiellement en esclavage : tout est fait pour que les gens ne pensent plus qu’en dollars.

Et ce système fonctionne naturellement le mieux chez les gens simples : les centres commerciaux sont construits, avec l’appui des pouvoirs publics, tout près des quartiers pauvres, c’est là qu’ils font le plus de bénéfices, et cela détruit efficacement le tissu social dans ces quartiers : les petits commerces ferment, les gens vont se « divertir » au « shopping mall »…

Alors j’essaie de boycotter ces centres commerciaux, ainsi que les transports en commun, les banques, les distributeurs d’électricité, les fournisseurs d’accès internet ; et d’inciter les gens à faire de même. Cela impose certains sacrifices non négligeables, mais justement, le fait de poser un geste libre de cette sorte réveille les gens, réactive leur conscience : il se mettent à faire des choix conscients, et s’ébrouent ainsi devant l’oppression.

 

Quel est cet esclavage dont vous parlez ?

Je crois que ce n’est pas tant l’esclavage économique qu’une forme de configuration des mentalités. Chez nous la société civile est beaucoup plus faible qu’en Europe, si bien que les gens sont habitués à penser que personne ne les aide. Tu perds ton boulot, tant pis pour toi. Alors tous pensent qu’il faut jouer des coudes dans la vie, lutter les uns contre les autres, et c’est tout. Je pense que cette mentalité est une oppression réelle, et qu’elle est encouragée par le monopole dont je parlais.

 

Avez-vous pensé à vous engager en politique ?

Mais oui, grâce à mon expérience colombienne. J’ai passé un an à voyager à travers l’Amérique du Sud, car j’admire beaucoup les mouvements sociaux de base qui sont nés là-bas. Ils ont beaucoup plus d’expérience que nous, de tradition. J’ai passé du temps parmi les Mapuche, en Argentine et au Chili, notamment, puis à Bogota. Là, j’ai été très impressionné par le mouvement « Voz de la Cosciencia », né en 2009. Au lieu de se lamenter, de dire « personne ne vaut rien », ils ont choisi un trentenaire lambda comme moi et l’ont proposé comme candidat aux élections de 2010. Ils ont recueilli plus d’un million de signatures pour leur mouvement, en faisant un travail de fourmis, de porte à porte avec des volontaires. Bien sûr, ils n’ont pas gagné, mais le message était passé : ce qui importe, ce n’est pas tant qui est le président, mais le fait que chacun a sa part de responsabilité. « We have to care », pour ainsi dire, chaque conscience a le pouvoir de se réveiller. Nous, à Hong Kong, nous sommes cosmopolites certes, mais nous sommes esclaves.

Alors je me suis présenté aux élections du Legislative Council, la seule instance que nous puissions choisir démocratiquement. Il faut savoir que le président est choisi par un petit clan « pro-Chine continentale ». Je n’ai obtenu qu’un petit pourcentage, mais un, maintenant les gens savent qu’ils subissent le monopole, et deux, ils ont reçu à travers cela une certaine espérance.

 

L’espérance de pouvoir jouer aussi leur rôle dans la cité ?

Oui, je veux dire : habituellement, parler politique consiste à critiquer tous azimuts. Et quand on s’engage en politique, il faut avoir des slogans courts et efficaces : « contre la Chine continentale » etc. Or je crois pour ma part que l’essence de la politique n’est pas de montrer du doigt, mais de trouver un bien accessible par la coopération des hommes.

C’est difficile, parce que cela veut dire beaucoup écouter, prendre du temps, et la beauté et la bonté que l’on repère et veut atteindre ne se mettent pas en slogans. Et cependant j’ai pris du temps pour parler de cette beauté-là. J’ai recyclé des banderoles, imprimé des textes à l’envers de vieilles affiches, je suis allé parler avec les gens. Ça a été une expérience magnifique, très significative pour moi. Oui, ça valait le coup.

 

Que faites-vous maintenant ?

Divers projets, comme par exemple ces voyages. J’ai aussi beaucoup appris au Brésil, notamment avec Agusto Boal, le fondateur du Théâtre de l’Opprimé. Il s’agit de libérer les mentalités. On joue une pièce sur un thème de société, d’abord une première représentation, par exemple voilà, un patron dit à son employé : « Je diminue ton salaire de 100 $ parce que ton anglais est vraiment trop mauvais », et l’employé courbe l’échine. Et lors des représentations suivantes, les spectateurs peuvent lever le doigt et venir sur scène pour explorer d’autres possibilités, proposer une alternative. L’un viendra et dira au patron : « Mais patron, je n’utilise jamais l’anglais dans mon travail quotidien », par exemple.

Nous avons, par exemple, un projet commun avec la Caritas pour des femmes immigrées venues de la Chine continentale. Elles viennent ici pour épouser un hong-kongais en vue d’une vie meilleure, mais souffrent beaucoup parce que leur accent les dénoncent immédiatement. Les gens les méprisent, « Elles ne sont venues que pour l’argent », etc. Le théâtre les aide à prendre leur vie à bras le corps.

Merci Monsieur Ming !
Oui, la prochaine fois que je viens à Berlin, je veux que mes jeunes viennent connaître Points-Cœur. Vous vivez centrés sur l’essentiel. Que c’est beau ! Merci !

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