de Suzanne Anel 6 septembre 2013
Temps de lecture 3 mn
Un film sur une famille juive orthodoxe hassidique fait par Rama Burshtein, une réalisatrice elle-même juive orthodoxe. L’histoire est simple : dans une famille hassidique de Tel-Aviv, une jeune femme meurt en couche, sa petite sœur est alors invitée à épouser le jeune veuf afin que l’enfant reste dans la famille. Rama Burshtein utilise ce cadre simple pour nous montrer avec beaucoup de finesse toute une palette de sentiments entre respect familial, tradition, désir de bonheur et de liberté.
Deux choses apparaissent tout particulièrement dans ce film.
Qu’est-ce que la liberté ?
La réalisatrice nous fait rentrer avec beaucoup de tendresse dans le regard de cette jeune fille. La jeune Shira oscille pendant tout le film entre fidélité à la tradition et au respect de sa famille, et son propre plan sur lequel elle a édifié son désir de bonheur. L’actrice est particulièrement impressionnante : montrant extrêmement bien son conflit intérieur entre l’amour pour sa famille, l’amour pour sa sœur, l’amour de l’époux, l’amour de Dieu.
Au milieu d’un dilemme grandissant, cette question revient comme leitmotiv chez tous les personnages : « Mais que veut de moi le Tout puissant ? » Où trouver la vérité dans des sentiments confus et contradictoires ?
Dans cette famille où, tout en s’aimant réellement, les uns et les autres ne cessent de se blesser, un seul est peut-être vraiment attentif à la jeune fille et lui pose la vraie question : le Rabbin qui lui dit que seule une parole de vérité peut rendre libre. Au fond, le choix importe moins en lui-même que le fait de savoir pourquoi on le pose et de le poser alors en vérité. C’est seulement ainsi que l’engagement est possible. Il ne s’agit pas de connaître toutes les données du problème (la jeune Shira, qui a tant de mal à découvrir les aspirations de son propre cœur le sait bien) mais de choisir vraiment et pour cela de regarder ce qui est là, objectivement et concrètement, les amitiés qui nous sont données, les personnes qui nous aiment et nous guident.
« Dieu est silence, dit le mystique médiéval juif. Dieu est. Il est dans l’attente. D’ici là, Il s’agit de vivre la vérité de chaque instant. D’espérer afin que d’autres espèrent à leur tour. (…) L’être humain qui vit dans le temps ne connaît qu’une seule voie : vivre dans le présent en y épuisant toutes ses ressources, tous ses ressorts. Faire de chaque journée une source de grâce, de chaque heure un accomplissement, de chaque clin d’œil une invitation à l’amitié. De chaque sourire une promesse. » [1]
Une autre chose qui fait de ce film un film unique en son genre c’est le regard de la réalisatrice sur son propre peuple. Introduisant un paradoxe entre le regard du réalisateur qui est justement là pour montrer l’intimité et cette communauté particulièrement méconnue parce que très fermée. « Ce que je veux simplement c’est ouvrir une fenêtre sur le monde dans lequel je vis. »[2]
Elle nous montre une communauté fermée non pas par rejet, mais par choix : « Cette communauté immémoriale est silencieuse simplement parce qu’elle n’éprouve pas le besoin de s’exprimer »[3]. « Si nous sommes silencieux c’est que nous n’avons pas le temps… pas le temps de nous intéresser à ce qu’il y a en dehors de la foi. Chacun parmi nous vit comme s’il avait un fusil pointé dans le dos lui intimant de remplir sa mission : lire et étudier les livres sacrés. Cette tâche prend déjà tant de temps qu’il n’en reste pour rien d’autre. Ce n’est donc pas une absence de curiosité mais bien plutôt le sens des priorités qui nous pousse à nous concentrer sur ce qui pour nous est l’essentiel. »[4]
« Nous avons un rapport concret et constant au monde parce que nous vivons dans un monde concret et constant, mais sur le plan intellectuel, un hassidique qui commence à étudier à l’âge de 7 ans, vous dira à l’âge de 90 ans, s’il est honnête, qu’il ne sait rien. Vous pensez bien qu’en conséquence, il n’a pas de temps à consacrer aux choses périphériques. Imaginez que, chercheur, vous trouviez la formule contre le cancer. Si vous êtes quelqu’un de bien, vous allez consacrer le reste de vos jours à transformer cette formule théorique en option pratique pour faire aboutir les traitements, c’est cela être un hassidique. » [5]
Comment conjuguer un tel contexte avec le métier de réalisateur : celui qui montre, celui qui parle ? « Faire un film c’est… faire un film et je n’ai pas eu le sentiment ici que cela ait été plus difficile pour moi que pour n’importe qui d’autre. (…) Le fait que je sois une femme dans un univers religieux n’a pas constitué d’écueil mais il m’appartenait d’aborder ce travail et de vivre cette expérience en fonction de la personne que je suis, forte de sa judaïcité et de sa spiritualité. C’est dans mon rapport à l’équipe que je devais veiller à rester fidèle à ma foi et à ma manière d’être sans forcer, ni contrôler quiconque et en laissant les comédiens exprimer ce qu’ils ont à exprimer. » [6]
« Si en voyant le film, pendant une seconde ou deux, vous comprenez que cette communauté n’est ni laide ni effrayante, si elle vous paraît humaine et si, après m’avoir rencontrée, vous vous dites que je ne suis pas antipathique, alors oui, ce film glorifie Dieu. » [7]