Isabelle Guerrera, grande amie du Point-Cœur de Genève, atteinte de sclérose latérale amyotrophique nous livre à nouveau un de ses magnifiques textes : "Le jardin secret".
Bien que dépendante pour tout de son entourage, elle garde, comme toute personne, au fond d’elle même cette demeure secrète, ce sanctuaire où personne ne peut pénétrer, sinon Celui qui donne sens à toute sa vie et lui donne une liberté infinie.
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Jardin…
A la française, grandiose et symétrique. A l'anglaise, bucolique et garni. A la japonaise, apaisant et neutre. Tant de jardins aussi beaux les uns que les autres.
Mais peut-être que le nôtre est le plus beau de tous ?
Nous en possédons tous un. Je parle d'un jardin secret !
Dans ce bel endroit sont soigneusement rangés les plus beaux instants romantiques de notre vie. Les événements qui nous rendent moins fiers également. Dans le mien, j'ai rangé quelques secrets qui me mettent en colère, mais par amour pour certaines personnes, je réussis à ne pas les dévoiler pour ne pas créer de malentendus et ne pas gâcher les relations entre des personnes qui tiennent les unes aux autres. Par bonheur, dans mon jardin, je n'ai pas de ces terribles secrets de famille qui tirent les ficelles de nos existences et meurtrissent tout !
Il y a quelques jours, une personne extrêmement chère à mon cœur est venue à la maison.
Je lui ai demandé par mail un petit service qu'il a accompli.
Mais malheureusement, il y a eu une petite embûche qui a mis en jeu la surprise que je voulais faire. Quelques minutes après, cette personne a pris conscience qu'elle aurait pu être plus subtile et a, en quelque sorte, regretté son manque de discrétion !
Soudain, j'ai pensé à cette "impossibilité" d'avoir une vie privée. Dans le sens où si je dois faire la moindre des choses, il me faut forcément demander l'aide de quelqu'un.
J'ai récemment effectué un petit travail pour un de mes infirmiers du soir. J'ai pu immédiatement me rendre compte que quelques mois après l'annonce de ma maladie, je ne possédais déjà plus cette liberté de mouvement. C'est-à-dire que tout de suite, j'ai dû dire adieu à cette possibilité d'agir seule. D'abord il ya eu le cheminement difficile de ne plus pouvoir m'occuper de mon corps. Tout de suite après, il a fallu que l'on me donne à manger. J'ai un souvenir très net de cette nouvelle étape. Nous étions au bord du lac par une belle soirée d'été. J'ai voulu manger une glace qui était dans un petit gobelet. Mais ma main n'y parvenait plus. J'ai forcément été extrêmement triste. Mais cette glace me faisait tellement envie, que j'ai demandé à une amie, que je connaissais depuis peu de temps, son aide. Elle a été très impressionnée par cette confiance que je lui adressais. Et moi très émue de comprendre que je n'étais pas seule face à cette nouvelle vie. La fille s'appelait Caroline et ma glace était un sorbet au chocolat noir. J'étais devant le jet d'eau et pour la première fois de ma vie d'adulte on me donnait à manger. C'était très dur, mais pourtant très riche. C'était un moment hors du temps. Je me souviens de la saveur de la glace, d'une main qui m'aidait à me nourrir, de la beauté de Genève le soir et de savoir que je ne serai jamais seule. Vous ne croyez pas que cette histoire trouverait une place d'exception dans mon jardin secret ?
Pourtant, je l'ai partagée avec vous !
d'Isabelle Guerrera
Merci pour ce texte. Il met en lumière que j'ai la chance d'avoir une vie privé, un jardin secret. Et il me pose la question : Dans mon travail de soignante (auprès de personnes âgés vivant dans une maison de retraite), suis-je attentive à laisser une part de liberté et de vie privé aux personnes dont je m'occupe ?
Les lumières du jardins y son t plus douce. On y entends, le soir, les pas de celui qui en est le maître.
Merci encore Isabelle pour ce beau texte, je garde dans mon jardin secret comme un cadeau précieux, les moments passés avec toi à Genève!
Merci Isabelle de ce cadeau. Merci pour votre confiance dans ce don. Merci de votre délicatesse à notre égard… c'est si doux.