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« Il est une foi » , un festival qui interpelle

A Genève, le festival de films « Il est une foi » se déroule cette année du 4 au 8 mai et en est à sa 7e édition. Bertrand Bacqué, directeur artistique du festival, répond à nos questions.

 

 

Le festival de films Il est une foi existe depuis plusieurs années. Pouvez-vous nous dire en quelques mots comment il a surgi dans le cadre culturel genevois ?

L’idée était celle du « seuil », c’est-à-dire qu’entre le Temple et la Cité, il y a le parvis des « Gentils », des hommes et des femmes de bonne volonté. Pour donner suite à l’invitation du pape François d’accueillir un public qui ne fréquente pas forcément les églises mais qui, pour autant, est en recherche de vérité, qui se questionne sur notre temps, le cinéma pouvait être un de ces lieux de « seuil », de rencontres entre ceux qui ont la foi et ceux qui ne l’ont pas mais qui s’interrogent sur le temps présent. Le cinéma est un lieu de communication et d’échange exemplaire parce qu’il est ouvert à tous et qu’il permet d’interroger nombre de problématiques contemporaines.

Le développement de ce festival a été vivement soutenu par Mgr Charles Morerod, évêque du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, et Mgr Pierre Farine, qui y voyaient justement un lieu possible de rencontres entre l’Église et le monde. C’est une initiative de l’ECR (Église Catholique Romaine à Genève) et la mise en place a été essentiellement assurée par M. Geoffroy de Clavière. J’ai été sollicité très en amont, à la fois parce que j’étais fraîchement ordonné diacre (permanent), et surtout parce que je suis enseignant de cinéma à la Haute École d’Art et de Design à Genève. Le développement du festival était aussi lié à la nécessité de chercher des fonds et de donner une image de l’Église à la fois vivante et accessible au plus grand nombre. L’équipe est composée notamment de critiques de cinéma reconnus comme Norbert Creutz, d’une pasteure comme Marie Cénec ou d’un producteur de la RTS, comme Emmanuel Tagnard (‘Faut pas croire’) … Nous avons des profils complémentaires qui permettent une plus grande ouverture et un dialogue non seulement oecuménique mais aussi interreligieux.

Cette année le thème est le transhumanisme : pourquoi ce thème ?

C’est une question à laquelle nous réfléchissons depuis longtemps. Elle n’est pas venue en premier pour des raisons de programmation et d’alternance entre des sujets plus graves et plus légers : on a par exemple abordé le thème de l’Apocalypse, qui n’est pas spécialement léger, on a aussi abordé le thème de la spiritualité des femmes à l’occasion d’une programmation qui s’appelait SpirituElles. On essaie donc d’aborder différentes thématiques, mais il est vrai que nous pensions au transhumanisme depuis longtemps parce que c’est un thème très largement abordé par le cinéma et ce, quasiment depuis les origines : le monstre de Frankenstein est une figure du transhumanisme, d’homme augmenté, et cela traverse toute l’histoire du cinéma. Mais c’est surtout depuis les années 70, et le développement du cinéma de science-fiction que cela s’est accentué. Parallèlement, les questions autour de l’homme augmenté, du transhumanisme mais aussi du post-humanisme, ce qui n’est pas tout à fait la même chose, se sont développées… Comme c’est illustré par énormément de films, nous avions l’embarras du choix ! Cela dit, nous ne voulions pas consacrer une programmation seulement à ce thème-là, de peur aussi d’avoir des films un peu trop sombres, parfois très violents…

C’est Marie Cénec, qui a proposé de mêler le thème du transhumanisme (qui d’ailleurs intéresse beaucoup les théologiens parce qu’il met en question la notion d’humanité et de la création) et le thème de la Création. En effet, autant le transhumanisme que l’utopie d’un retour à la nature paraissent être deux horizons qui peuvent être une réponse aux crises que traversent l’humanité et la modernité. Alors, il y a ceux qui prônent le retour à la nature de façon très radicale, parfois même violente : on connaît l’écoterrorisme… Il y a aussi, heureusement, des perspectives plus spirituelles comme l’écospiritualité qui dit que notre civilisation est arrivée à un extrême… On ne peut s’empêcher de penser à Laudato Si, l’encyclique du pape François qui nous met en garde sur cet héritage qu’est cette terre que nous sommes en train de dilapider, tandis que le transhumanisme est pour beaucoup une utopie possible d’un homme qui, prolongé par la machine, trouverait une forme d’éternité. C’est pour ça qu’on parle aussi de post-humanisme, d’éternité possible à travers la machine. Comme je le disais tout à l’heure, c’est une question ancienne, liée à la modernité, et si l’on pense à Frankenstein de Mary Shelley, on a déjà cette idée de toute puissance de l’homme qui recrée quelque chose mais dont il ne maîtrise pas toutes les conséquences. Il y a aussi l’idée, grâce à ces films, d’inviter à débattre des spécialistes, des théologiens, des psychologues, des neurologues ou alors des gens qui s’intéressent à l’écologie contemporaine ou à l’écospiritualité pour aborder tous ces thèmes.

Certains face au « progrès » du transhumanisme qui ne connaît pas de limite prônent un retour à la nature radical : il y en a qui le font de façon assez douce et d’autres qui le font de façon un peu plus extrême comme on le voit dans certains films proposés.

 

 

Souhaitez-vous commenter certains des films programmés cette semaine ?

Un film qui m’a beaucoup marqué, c’est Blade Runner (Ridley Scott, 1982). On y voit des androïdes construits par les hommes qui leur donnent non seulement la sensibilité, l’intelligence mais aussi la mémoire. La question est importante tant dans le film que dans le roman de Philip K. Dick (Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?). Il y est question du devenir « humain » des machines, puisqu’elles sont faites à l’image de l’homme. Comme l’homme a été créé à l’image de Dieu, l’homme crée des machines à son image : du coup, il a une responsabilité vis-à-vis d’elles. C’est le drame qu’on retrouve déjà dans Frankenstein, sans l’aspect mécanique qui n’existait pas encore. Blade Runner pose donc la question de la responsabilité de l’homme vis-à-vis de ces créations : il a doué ces robots de mémoire, de sensibilité, d’« humanité » serions-nous tenté de dire, et tout à coup, parce qu’ils deviennent gênants, qu’ils sont une menace, on peut se demander s’il est légitime de les supprimer ? Mais on doit s’interroger : « Qu’est-ce qu’on a fait ? Comment en est-on arrivé là ? » C’est un film qui est censé se passer en 2019 et qui pose beaucoup de questions qui nous habitent aujourd’hui.

Un autre film qui est aussi de l’anticipation mais néanmoins très proche de ce que l’on connaît déjà est Bienvenue à Gattaca (Andrew Nicol, 1997) qui parle plus du transhumanisme, de l’homme augmenté, sélectionné, des questions de l’eugénisme, de la sélection : jusqu’où peut-on « améliorer » l’homme ?
L’île du Dr Moreau (Erle Kenton, 1932) parle quant à lui de manipulations entre l’homme et l’animal.

Et sur la question du retour à la nature ?

Sur cette question, il y a Leave no trace de Debra Granik (2018) qui parle d’un soldat polytraumatisé par la guerre d’Irak, qui vit dans une forêt avec sa fille et qui essaie de construire une vie en marge de la société. Mais à un moment donné sa fille doit se socialiser, se former et quitte son père qui lui, continue à vivre dans la forêt. C’est un très beau film, très émouvant mais très juste sur le fond qui évoque la question du choix. L’autre film très contemporain sur ces questions c’est Night moves (Kelly Reichardt, 2013) où l’on voit justement trois jeunes qui sont peu satisfaits des décisions que prennent les politiques (ce qui est le cas de beaucoup de jeunes aujourd’hui) quitte à prendre des risques qui les conduisent à des actions plus radicales dont ils ne maîtrisent pas toujours les conséquences…

 

Et Solaris (Tarkovski, 1972) ?

Solaris est un film intéressant parce qu’il développe les deux questions. On est projeté dans un futur car Solaris est une réponse « soviétique » à 2001, l’Odyssée de l’espace de Kubrick. Mais Tarkovski s’intéresse beaucoup plus à la poésie et à l’humanité qu’à la science et à la science-fiction, et son film balance entre un retour à la nature vital, contemplatif, mais existentiel et en même temps un monde transformé, qui enfante des monstres. Le film questionne ces deux pôles. C’est une belle synthèse de ces deux problématiques !

 

Propos recueillis par Pascale Della Santa.

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