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Incendie de Valparaiso (2) : une Pâque à l’envers

Par où commencer ? Comment les personnes vont-elles nous recevoir ? Que leur dire ? Autant de questions nous assaillaient au moment de réfléchir à cette semaine de mission auprès des victimes de l’incendie. Le jeudi soir, Laura, une maman d’un volontaire chilien, nous appelle. Elle nous dit qu’elle va sur la colline « Mariposa » où les gens reçoivent peu de secours parce qu’il y a moins de maisons brûlées dans ce quartier. Je prends ça pour un petit signe. Nous décidons de commencer par là.


CC BY Gobierno de Chile

La descente du samedi saint

Nous partons avec François-Xavier (volontaire belge) depuis la prison de Valparaiso, tout en haut de la ville et descendons la colline en découvrant le spectacle impressionnant des forêts brûlées et de la ville au loin, laissant des marques immenses de désolation. Nous arrivons aux premières maisons. Il y a des volontaires qui continuent de nettoyer les terrains et d’autres qui distribuent de la nourriture. Nous nous arrêtons ici et là, nous rencontrons quelques familles. Après plus d’une semaine, ils sont encore très choqués, des souvenirs terribles les hantent. Les gens nous reçoivent avec joie. Je salue un homme. Il me répond : « Merci de nous visiter, c’est important pour nous que vous soyez là ».

Plus nous descendons le quartier, plus les rencontres se font profondes. Jusqu’à ce que nous arrivions à la dernière maison brûlée. Là, un homme vient à notre rencontre : Jimmy. Nous restons plus d’une heure à l’écouter. Il ne veut pas attendre les secours et risquer de n’avoir que quatre planches de bois de la part de l’État pour protéger son fils et ses petits-enfants de l’hiver. Toute sa famille est venue de Santiago pour lui prêter main forte. Tout le monde s’est mis au travail, les jeunes et les vieux. Jimmy nous raconte sa vie. Plus d’une fois les larmes lui viennent aux yeux. Malgré son courage et sa gratitude pour la vie, l’épreuve est terrible.

A la fin de notre rencontre, il nous désigne la colline « la Cruz » (la Croix), que nous voyons se profiler au loin, comme une blessure dans le paysage merveilleux du joyau du Pacifique. Il nous dit : « Je suis allé là-bas pour visiter un ami qui me proposait du matériel. C’est terrible. On dirait qu’une bombe énorme est tombée. Il ne reste plus rien. Il faut que vous alliez là-bas. C’est là-bas que vous devez aller, les gens auront besoin de vous ». Je pense alors qu’il n’est pas anodin que Jimmy nous désigne la Croix en ce jour. Puis au moment de nous séparer, il nous redit : « Merci d’être venu. C’est de cela dont nous avons le plus besoin. De pouvoir confier tout ce qui nous pèse sur le cœur. » Je reçois ces dernières paroles comme une confirmation. Nous irons donc sur la colline de la Croix, prolonger notre présence auprès du crucifié en cette semaine de la Résurrection.

Le repos de la Résurrection

Le dimanche, nous avons décidé d’aller visiter notre ami Mario (voir article précédent). Il reçoit toute la communauté dans une maison que l’ancien employeur de sa maman a mise à leur disposition. A ce propos, sa maman me confie : « C’est parce que dans la vie, on récolte ce que l’on sème ». En tout état de cause, il faut la laver, déplacer quelques meubles et la rendre habitable. Mais, c’est une jolie maison typique et colorée de Valparaiso sur la colline « Varón ». Elle est confortable et procure la paix. Mario s’installera ici avec sa maman jusqu’en septembre.

Là-bas, dans le ravin où ils vivaient, toute sa famille a été touchée, ses quatre frères ont tous perdu leur maison. Ils s’affairent pour restaurer les terrains, les protéger d’éventuelles alluvions et des profiteurs. Ils ont délégué Mario pour qu’il s’occupe de la maman. Curieusement, l’incendie tourne au bien pour lui. Il fait l’expérience d’une grande solidarité de la part de ses amis. Il peut sortir de ce terrible quartier où il n’arrivait plus à avoir confiance dans les gens. Il trouve le courage de surmonter ses difficultés. Pour Mario et sa maman, notre visite est une joie immense. Ils nous servent un verre de boisson. Nous avons de beaux échanges. Nous laissons le soleil se coucher sur leurs beaux visages, encore hantés par l’épreuve, mais déjà habités par le repos de la Résurrection.

La montée à la Croix

Pour accéder au « cerro la Cruz » (colline – la Croix), ce n’est pas si simple. Les transports sont modifiés. Avec Raquel (volontaire d’Equateur), nous tentons une approche en bus, mais seuls les taxis collectifs sont autorisés à passer depuis les restrictions municipales. Nous ne savons pas où les prendre. Alors nous décidons de monter à pied. Nous entrons par un petit chemin au niveau des dernières maisons brûlées. Contrairement au samedi, cette fois, nous remonterons tout le quartier, mais ce ne sera pas tout à fait vers la lumière. Sans voix, nous prenons peu à peu la mesure de la catastrophe. Après la visite, nous prendrons pour le retour un bus gratuit qui nous emmènera dans les quartiers les plus pauvres, tout en haut, et traversera les centaines d’hectares brûlés de la forêt, comme si nos pas étaient guidés pour embrasser d’un seul regard tout le drame.

Nous nous arrêtons auprès de Francisco. Un policier à la retraite. Il a passé sa vie à construire une belle maison assez grande pour accueillir son fils et sa fille sans qu’ils ne se gênent. Il ne reste de ce bel ensemble que quelques murs qu’il faudra détruire de toute façon, car le feu en a endommagé irrémédiablement les structures. Tout a brûlé. Il n’y a plus rien. Une voiture achetée six mois auparavant est entièrement calcinée. Il nous dit qu’en un certain endroit, il y avait une jolie terrasse, qu’il venait de terminer deux mois auparavant, avec une vue merveilleuse sur la baie. Il reste sur le terrain pour protéger les lieux pendant que son épouse tente de réaliser toutes les démarches administratives en ville. Il dort sur place pour protéger le peu de matériel qu’ils ont réussi à rassembler.

A la fin, nous lui proposons de prier. A peine un « Je vous salue Marie ». Mais cela semble suffire. Il laisse entendre un profond soupir de soulagement, comme s’il avait attendu ce moment depuis longtemps. Il nous remercie d’être là, de l’avoir écouté. Puis : « Mais ne restez pas trop ici. D’autres souffrent plus que nous, là-bas c’est terrible, continuez à monter, allez rencontrer ces gens, ils auront besoin de vous ». Curieusement tous ceux que nous rencontrons nous parlent des autres, des autres collines qui souffrent davantage. Mais ici tout est dévasté, il n’y a plus rien, seul quelques maisons ont été épargnées incompréhensiblement. Tous partagent la même situation, ils ont perdu leur maison qu’ils ont passé une vie de sacrifices à construire. C’est leur histoire qui est partie en fumée. Mais il y a la vie. Il faut recommencer à zéro. C’est d’ailleurs le nom de la zone de secours : la zone zéro. La Croix : zone zéro où tout finit… où tout recommence.

 

 (A suivre…)

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2 Commentaires

  1. Anne Laure

    Denis, on prie de tout cœur pour ces pauvres personnes traumatisées par ce drame qu’a été ce gigantesque incendie. Bravo pour ce que vous faites et bravo aux Chiliens pour ce modèle de solidarité.