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Offrir au monde un « nouveau morceau d’existant »

Frédéric Eymeri est auteur, poète et peintre. Marié et père de trois enfants, il a aujourd’hui 47 ans. Il travaille dans un petit atelier en Anjou. Depuis peu, il ouvre la porte de son atelier pour quelques expositions, se rend disponible pour des conférences et propose ses œuvres, via un concept étonnant, sur www.fredericeymeri.com.


Frédéric Eymeri, Mandarine dans l'ombre © Tous droits réservés

Quels chemins vous ont mené à la peinture ?

Enfant, j’étais entouré de peintres. Ma mère, mais aussi mon oncle, mon grand père… Un de mes premiers souvenirs est celui de mon grand-père faisant un portrait de ma mère. Je revois avec émotion cette toile blanche, petit à petit, se colorer et devenir « une personne ». C’était quelque chose de très vivant. Très tôt, ce même grand-père me donnait des cours de dessin. J'ai peint des années, à temps perdu, sans être satisfait de mon travail, sans véritablement oser le montrer, sans véritablement faire le pas vers la peinture. Sans lieu ni méthode, pressé de toute part, la peinture me paraissait alors trop lointaine, inaccessible. Seul le désir d'elle, brûlant, était à ma portée. En même temps, je sentais que l’heure n’avait pas sonné. Plus de vingt ans, j'ai attendu que s'ouvre la porte… 

Que s’est-il passé pour que l’acte de peindre devienne quelque chose de sérieux ?

Au jour où je m'y attendais le moins, les choses se sont agencées presque à mon insu. Ce fut la création de ce petit atelier prévu dans des travaux d'agrandissement de notre maison, la rencontre avec un véritable et excellent professeur, et chose invraisemblable, la chance d'avoir, au moins pour un temps, du temps… Du temps pour apprendre, du temps pour travailler, du temps pour créer. En quelques mois, ce que j'avais attendu depuis presque toujours, ce que j'ai cherché à mettre en œuvre de mille façons sans y parvenir, cette chose dont je ne cesse depuis de m'émerveiller, m'était donnée ! La peinture prenait corps dans ma vie, dans les heures de ma vie, dans les murs de ma maison, dans les yeux étonnés de mes enfants, dans le regard de ma femme, dans les encouragements de mes amis ! Tout cela fait naître en moi une immense gratitude…

Pourriez-vous nous dire quelques mots sur ce qu’est pour vous le fait de créer ?

Créer c’est offrir au monde un « nouveau morceau d’existant » qui rappelle la source de toute chose et dirige chacun vers sa fin, quelque chose qui nous aide à rester amoureux du monde. Le point de départ est la rencontre avec une réalité autre, suggestive, perçue dans toute sa profondeur, dans la multiplicité de ses relations. Cette chose dit très fort (mais à voix basse) qu’elle est tenue là dans l’instant comme une parole à entendre, comme une porte à ouvrir, une proposition d’amitié avec ce monde qui nous entoure. Créer c’est répondre à cette invitation, c’est essayer de traduire au plus grand nombre l’intensité, la teneur et l’urgence de ce message. Pour moi, cela se passe au travers de la figure des choses (c’est pour cela que ma peinture est figurative), même si c’est une rencontre qui s’effectue au-delà de cette seule apparence.

Pour le dire de façon plus synthétique, créer est l’actuation, en un langage plastique autonome, d’une connaissance nouvelle acquise dans l’expérience d’une rencontre avec « ce qui est ». L’œuvre est en vue de la transmission de cette expérience. L’expérience est normalement libératrice, source de joie et d’exclamation. Mais tout cela n’engage que ma propre expérience de créateur et doit être, j’imagine, bien peu exhaustif…

Votre site verra un nouveau tableau en ligne chaque semaine selon le concept « a painting a day ». Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?

"La peinture de la semaine" [1] s'inspire du mouvement « a painting a day », à l’initiative de Duane Keiser. Mis en place au début des années 2000, "a painting a day" a connu un accroissement rapide et de très nombreux peintres à ce jour s’affichent comme étant des « daily painters ». Il s’agit de peindre chaque jour un tableau, généralement d’un format approchant celui de la carte postale, et de le poster sur le web à un prix déterminé et accessible. Selon les dires de Duane Keiser, « cela est en train de changer fondamentalement les relations entre les artistes, les galeries et les collectionneurs. » [2] En effet, pour la première fois dans l’histoire, l’artiste a les moyens de créer, d’exposer, de vendre et de livrer instantanément dans le monde entier.

Pour cette raison, je pense que le mouvement « a painting a day » dans son ensemble peut être vu comme une même œuvre d’art en train de se dérouler et représentative de son époque. Cela m’apparaît comme un gigantesque « flash mob » encore en acte, ou comme une « performance » qui se trouve de plain-pied avec les nouvelles pratiques artistiques contemporaines.

Je suis souvent ému de voir l’attachement qu’ont les dailys painters à faire vivre les choses du quotidien, les objets humbles. Hisser ce qui est de l'ordre de l'utilitaire à quelque chose de spirituel est une tâche noble, c'est une célébration de ce qui est compté pour rien. C’est dire au fer blanc : "Tu recèles un degré d’être qui t’apparente à l’or" ! Peindre une cuillère, c’est la faire vivre autrement, lui donner une présence autre, l'insérer dans la conscience comme quelque chose qui a de la valeur, c'est l'arracher à la banalisation. Peindre les objets de l’ombre, je crois, c’est aussi rejoindre les hommes et les femmes qui les utilisent. C’est vouloir dire à chacun : "Tu as part à la beauté, au rayonnement de vie de toute chose".  Je souhaite de tout cœur que mes peintures de la semaine rejoignent vite le plus de personnes possible à travers le monde.

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2 Commentaires

  1. Claire

    Extrait de cette intervention citée dans le précédent commentaire :
    « La grande difficulté ce n’est pas forcément d’écrire un poème, mais de vivre de telle manière que le poème puisse naître naturellement… Alors ça, ça implique des choix où souvent on paye de sa personne. »
    Merci de nous rappeler cette vérité : que ce soit dans le domaine de l’art ou pas, vivre de telle sorte que notre être le plus profond ne soit pas étouffé, laisser la place à l’essentiel qui nous rend féconds sans que nous l’ayons décidé. « Faire l’œuvre de Dieu, et non pas faire des œuvres pour Dieu »…

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