S'il est une chose qui surprend un internaute français établi au Brésil c'est bien celui du traitement de l'information brésilienne par les médias hexagonaux. Les reportages sur les différentes villes où les matchs auront lieu ne font souvent que reprendre des clichés sur la vie des habitants au pays du ballon rond : amateurs de samba, de carnaval, de foot et surtout du farniente. A part cela pas grand chose d'autre n'est traité si ce n'est les inégalités sociales et la violence récurrente. C'est un peu comme si l'on jugeait la France sur ses émeutes des banlieues ou si l'on pensait que chaque Français va acheter le matin sa baguette et son journal avec un béret basque.
CC BY Thomás
Les grandes manifestations de juin 2013
Ce qui a surpris plus d'un étranger l'année dernière c'était de voir de nombreux Brésiliens défiler dans les rues et certains d'entre eux avec des pancartes qui disaient « boycott a copa do mundo » ou « não vai ter copa ». Cela contrastait brusquement avec les images de joie de milliers de cariocas sur les plages de Copacabana lors de l'annonce quelque années plus tôt du nom de leur pays comme organisateur de la vingtième coupe du monde de football.
En fait à ces pancartes se mêlaient beaucoup d'autres dont les slogans disaient en substance « Nous sommes plus que du pain et des jeux ». Ce qui a choqué de fait de nombreux Brésiliens c'est la disproportion entre les investissements de l’État pour la Coupe du monde et le manque de crédits alloués pour les infrastructures, la sécurité, la santé et surtout l'éducation. De cela tout le monde se plaint, du chef d'entreprise au simple ouvrier en passant par les chauffeurs de taxi (en général une bonne source d'information) et les classes moyennes.
Force est de reconnaître que beaucoup d’investissements ont sûrement été de trop. Par exemple, le fait de choisir 12 villes comme lieux pour les matchs de pool alors qu'un pays peut tout à fait organiser une coupe avec 8 ou même 6 stades. 12 stades cela a demandé des investissements importants (dans les 8 milliards de reais soit 2,65 milliards d'euros) surtout que certains stades ont du être reconstruits de A à Z. São Paulo par exemple n'a pas été retenu avec son stade Morumbi parfaitement aux normes mais grand de seulement 62 000 places pour en construire un autre qui n'aura que 9 000 places supplémentaires et ce, alors que 99% de personnes regardent les matchs à la télévision. Coût de ces places : dans les 855 millions de réais (283 millions d'euro). « Et juste à côté de l'hôpital qui ne fonctionne pas » se plaignent les paulistas.Et comme il y a du retard seul 60 000 places seront disponibles au moment de la coupe soit 2000 de moins que le Morumbi s'il avait été conservé.
Il faut donc bien distinguer les investissements d'infrastructures à long terme (comme les transports par exemple avec le Bus express à Rio qui relie l'aéroport international à barra da Tijuca en 1h au lieu de 3 auparavant) et qui constitue un authentique progrès et ceux des stades qui auraient pu être allégés. Manaus, en pleine jungle amazonienne, a-t-elle besoin d'un stade de 45 000 places flambant neuf coûtant 605 millions de reais (200 millions d'euros) alors que son équipe locale n'est même pas en seconde division ? A l'évidence il y a eu d'autres raisons que de vouloir en mettre plein la vue aux touristes avec les stades, des raisons moins avouables mais que tous les brésiliens soupçonnent et commentent : la corruption.
Une légitime frustration
Le Brésil avait 7 années pour construire ses stades. Pourquoi certains comme l'Itaquerão de São Paulo où aura lieu le match d'ouverture ne seront pas prêts ? Ce n'est pas juste parce que le Brésil « n'est pas un pays sérieux » comme disait un peu injustement le Général de Gaulle mais bien parce que de nombreux hommes politiques ont attendu la dernière minute pour commencer les travaux. Une loi stipule qu'au delà d'un certain délai un élu peut se passer de lancer des appel d'offres pour réaliser les chantiers. Pour beaucoup de stades il y a donc eu recours à ce système qui a sans doute permis de favoriser certains « amis » qui ne manqueront pas ensuite de renvoyer l'ascenseur en cette période de précampagne électorale.
Voilà une grande cause du mécontentement des Brésiliens : un gaspillage d'argent public au nom d'intérêts privés, alors que le pays a un besoin vital d’investissements dans le secteur de la santé et de l'éducation. Que cherchent à dire les brésiliens à travers ces mouvements sociaux ? Tout simplement qu'ils ne sont plus si dupes, qu'on ne les achète plus si facilement avec du foot et de la bière et qu'ils ne se réduisent pas à des êtres serviles qui mettent au placard leurs revendications sociales en échange d'un peu de loisirs. Leur descente dans la rue sonne comme un avertissement pour les politiques : « Il ne sera plus aussi facile de continuer à nous berner ».
En ce sens les dernières manifestations ont été plus que positives pour le pays et l'épiscopat brésilien ne s'y est pas trompé en encourageant les manifestants à rester fermes.
Une violence résiduelle mais bruyante
Ensuite il faut distinguer manifestations et violences. Si la très grosse majorité a défilé pacifiquement et veut la non violence, il n'a pas manqué de casseurs pour pratiquer de nombreuses dégradations et de police pour les réprimer durement. Ce sont ces images que le monde entier a vu lors des manifestations de juin 2013 et a continué de voir lors des dernières agitations comme la grève du métro de São Paulo ces derniers jours.
L'un des ce mouvements, celui qui se nomme « Black Bloc », veut détruire l’État par la violence et ne manque pas une occasion pour descendre dans la rue sous couvert de « justice sociale ».
On les a vus lors des JMJ : ils sont une petite minorité mais très organisée et surtout avec un grand potentiel destructeur. Et ils savent très bien que les médias raffolent de ces images de voitures incendiées et de distributeurs de billets (symbole du capitalisme) vandalisés. Il ne faut donc pas s'étonner si pendant la Coupe du monde certaines violences ont lieu, de préférence aux abords des hôtels des journalistes ou sur les artères fameuses des grandes villes. Les environs des stades seront eux très sécurisés.
L'ambiance est à la fête
Mais la très grosse majorité des Brésiliens veut la paix et est lasse de la violence. Même s'ils contestent la façon dont ont été gérés les investissements du mondial, les Brésiliens sont prêts à ne pas pénaliser le pays pour autant. Ils veulent que les étrangers soient bien accueillis, avec la plus grande bienveillance (dans cette catégorie ils sont sans doute champions du monde) et donner une image positive de leur pays. Ils veulent aussi en profiter pour se divertir et voir leur équipe gagner. Ils semblent prêts à ne pas défiler comme lors de la coupe des Confédérations et à éviter au maximum tout ce qui pourrait gâcher la fête de cette coupe du monde chez eux. Leur patriotisme est au beau fixe et il est à parier que tous les stades chanteront l'hymne national d'une seule voix, même après les "une minute trente" de temps réglementaire.
Beaucoup de rues ont été repeintes aux couleur de la Seleção, des fanions ont été mis au travers des rues, les voitures arborent les petits drapeaux brésiliens comme pour bien montrer que ce qui va être célébré est une grande fête entre les pays et que le football peut aussi unir les peuples.
En tant que Français au Brésil, je souhaite bonne chance à la sélection emmenée par Felipão et je ne peux que souhaiter qu'elle ne croise pas trop tôt le chemin de l'équipe de France.