"Ne rien refuser, toujours ajouter", cette phrase de Charles Péguy peut être le point de départ pour entrer en amitié avec cet écrivain dont nous fêtons le centenaire de la mort au front, sous les couleurs de la France.
Charles Péguy naît en 1873 à Villeroy. Fils d'humbles travailleurs, il perd son père alors qu'il est encore bébé et grandira avec sa mère et sa grand-mère, dans une ambiance pauvre mais digne. Il gardera toujours un souvenir tendre et réaliste de cette époque : "de l'honneur, de la piété de l'ouvrage bien faite".
En 1885, il entre au lycée d'Orléans, après avoir obtenu une bourse d'études. Il s'y passionne pour Victor Hugo jusqu'à faire sienne son œuvre, apprenant par cœur beaucoup de ses poèmes et de ses textes. A la même époque, il suit des cours de catéchisme avec l'Abbé Cornet, chanoine de la Cathédrale.
En 1892, il fait son service militaire dans le 131e régiment d'infanterie et entre ensuite à l'Ecole Normale Supérieure où il sera influencé par les idées du courant socialiste : il entrevoit en elles une solution acceptable à une vie en commun dont personne n'est exclu. Mais il les transformera peu à peu en y mettant son empreinte personnelle. A ce moment de sa vie, Péguy se présente à ses amis comme "un anticlérical convaincu et pratiquant".
Mais alors même qu'il annonce sa "conversion au socialisme", il est profondément intrigué par la figure de Jeanne d'Arc et c'est à cette époque qu'il écrira une œuvre dont le titre porte le nom de cette héroïne. Comme l'exprimera si bien le Pape Benoît XVI en 2006, elle sera la voix de Péguy qu'elle : "fait monter vers Dieu avec passion, l'adjurant de faire cesser la misère et la souffrance qu'elle voit autour d'elle, exprimant ainsi l'inquiétude de l'homme et sa recherche du bonheur".
Il se marie civilement en 1897 avec Charlotte-Françoise Baudoin. Ils auront quatre enfants.
Après la fermeture de la librairie qu'il avait initiée, il fonde en 1900 les "Cahiers de la Quinzaine" dont l'objectif est de publier ses œuvres et celles de jeunes artistes.
Une des caractéristiques des œuvres de Charles Péguy, c'est qu'elles n'ont pas de préoccupations stylistiques. On voit à travers elles comment un livre, un événement, une rencontre peuvent s'introduire dans la trame de l'histoire, dans un effort obstiné de ne rien refuser, parce que tout s'additionne dans la vie.
C'est pour cela que la répétition de certains thèmes (incarnation, espérance et même de certains personnages comme Jeanne d'Arc ou Madame Gervaise) participe de ce désir de ne pas réduire à une seule parole, à un unique point de vue, parce que tout peut être illuminé par différentes touches, par différents rapprochements.
Les années des Cahiers de la Quinzaine sont celles de découvertes exaltantes, et en même temps d'une recherche toujours plus grande d'une vérité totale qui finira par un isolement chaque fois plus vaste de beaucoup de ses anciens amis et idées.
La difficulté de ces années permet, comme le décrit le philosophe Alain Finkielkraut, que naisse en Péguy la certitude que, même si le présent est difficile, il est à la fois irréductible ; c'est dans ce présent qu'on peut lutter contre la tentation de vivre retiré dans le passé ou dans une illustion du futur. C'est dans ce fait d'ajouter et non de soustraire que Péguy peut voir l'espérance, cette "petite vertu", supérieure en certitude à toutes les autres.
Charles Péguy ne dira jamais qu'il s'est converti au catholicisme, mais c'est comme si arrivait un nouveau printemps dans l'arbre de sa vie. Lui-même raconte, avec un voile de pudeur, qu'en 1912, lorsque son fils Pierre tombe malade, il décide de faire un vœu : « Mon vieux, écrit-il à Lotte, j'ai senti que c’était grave… J'ai fait un pèlerinage à Chartres… J'ai fait 144 km en trois jours… On voit le clocher de Chartres à 17 km sur la plaine… Dès que je l'ai vu, ça a été une extase. Je ne sentais plus rien, ni la fatigue, ni mes pieds. Toutes mes impuretés sont tombées d'un seul coup, j’étais un autre homme. J'ai prié une heure dans la cathédrale le samedi soir ; j'ai prié une heure le dimanche matin avant la grand-messe… J'ai prié comme je n'avais jamais prié, j'ai pu prier pour mes ennemis… Mon gosse est sauvé, je les ai donnés tous trois à Notre-Dame. Moi, je ne peux pas m’occuper de tout… Mes petits ne sont pas baptisés. A la Sainte Vierge de s'en occuper. »
Ce n'est pas la fin de ses difficultés, mais c'est bien un nouveau point de départ. A partir de ce moment, il dit : "je suis un homme nouveau" ou "maintenant, je m'abandonne", et cela se voit dans ses œuvres, spécialement quand il parle de la deuxième vertu, l'espérance : "… Elle est essentiellement la contre-habitude. Et ainsi elle est diamétralement et axialement et centralement la contre-mort. Elle est la source et le germe. Elle est le jaillissement et la grâce. Elle est le cœur de la liberté. Elle est la vertu du nouveau et la vertu du jeune. Et ce n'est pas en vain qu'elle est Théologale et elle est la princesse même des Théologales et ce n'est pas en vain qu'elle est au centre des Théologales, car sans elle la Foi glisserait sur ce revêtement de l'habitude ; et sans elle la Charité glisserait sur ce revêtement de l'habitude. Et c'est elle notamment qui garantit à l'Eglise qu'elle ne succombera pas sous son mécanisme. (in Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne, PL. III, p. 1327.)
Conscient qu'il faut être présent à la misère de son temps, Charles Péguy s'enrôle comme lieutenant en août 1914 et part dans le 276e régiment d'infanterie. Un mois après, il meurt durant la bataille de l'Ourcq. La nuit qui précède sa mort, on l'a vu porter des fleurs aux pieds de la statue de la Vierge, dans la petite église de la ville où demeurait son régiment.
Toute sa vie, ainsi que son œuvre, sont une recherche incessante d'aller au fond de la vérité, non une recherche de la nouveauté mais un approfondissment de ce que nous vivons. Ce centenaire est pour cette raison une invitation à le connaître, parce que : « Il faut se sauver ensemble, il faut arriver ensemble chez le bon Dieu. Il faut se présenter ensemble, il ne faut pas arriver à trouver le Bon Dieu les uns sans les autres. Il faudra revenir tous ensemble dans la maison de Notre Père. »