La campagne « not in my name »[1], lancée en septembre au Royaume-Uni, s’est étendue aux musulmans de toutes nationalités qui veulent marquer leur opposition à l’Etat Islamique, et éviter ainsi l’amalgame entre islam et extrémisme.
Cette initiative, très louable, pose une question centrale, en interrogeant de manière profonde l’islam. Si ces musulmans mettent ainsi en évidence leur désaccord avec le verset de l’épée, peut-on nier pour autant que ce verset figure dans le coran [2] ? Ainsi, la situation actuelle n’est-elle pas une invitation, pour les musulmans à se pencher sur leurs textes fondateurs, à la lumière de la raison, et à les interroger ? A ce sujet, George Weigel, souligne, dans un article de First Thing, que le discours de Ratisbonne, prononcé par Benoit XVI en 2006 [3], sur le lien entre foi et raison, loin d’être une « gaffe », étudiait au contraire avec « une précision universitaire deux questions clés dont les réponses auraient profondément influencé la guerre civile qui fait rage au sein de l’islam » : celle de la liberté religieuse, et celle de la structure des sociétés islamiques.
Le samedi 27 septembre dernier, lors d’un colloque sur « Le christianisme méditerranéen à l’épreuve de la nouvelle question d’Orient »[4], les intervenants ont plusieurs fois évoqué ce thème, posant notamment la question de la contribution des chrétiens à l’ouverture à la liberté religieuse chez les frères musulmans. « Que dire sur les chrétiens d’Orient qui n’ait été dit ? Que proposer qui n’ait été proposé ? Serait-ce trop tard pour arrêter le cours de l’histoire, et refonder les chrétientés du Moyen-Orient ? Peut-être la question la plus importante est-elle la suivante : que veut le Seigneur des chrétiens de cette région ? » s’est interrogé Monseigneur SLEIMAN [5], président du colloque.
Pour lui, chez les musulmans « la liberté en question, plus que la liberté religieuse, est celle de la liberté de conscience [ …] Il y a une crainte de s’affaiblir comme communauté s’il y avait liberté de conscience. […] Dans notre histoire aussi, il y a eu beaucoup d’hésitations avant de reconnaître la liberté de conscience, alors qu’elle est inscrite dans la révélation. L’évangile est un évangile de liberté. On ne fait rien dans l’Eglise s’il n’y a pas liberté. C’est un service que l’on peut rendre à l’islam que d’insister pour ouvrir un peu cette question de la liberté de conscience. »
Pour Monseigneur CASMOUSSA [6], qui témoigne de la situation dramatique des chrétiens d’Irak qu’il connaît bien, si plusieurs mesures rapides et concrètes sont nécessaires sur le plan pratique, le changement fondamental doit être culturel et donner sa place à l’homme, « seule valeur suprême de la société ». « Je dis toujours à nos amis musulmans : ayons le courage de discuter les textes, d’interroger nos textes fondateurs, il y a tout d’abord à interroger les fatwas, et aussi les hadiths, qui ont déjà évolué dans l’histoire. Pourquoi ne pas élaguer les hadiths faibles ? »
Le Père Samir KHALIL [7] évoque, dans cette direction, son expérience de confrontation entre le coran et l'évangile : « L’effort actuel, dans les cours que je donne – dans lesquels il y a d’ailleurs autant de musulmans que de catholiques – est de relire en fonction d’aujourd’hui : il s’agit de se demander ce qu’a voulu dire Dieu quand il a dit telle ou telle phrase. Cette approche de réinterpréter le texte est aujourd’hui inconnue. Pourtant, elle a déjà existé dans l’histoire de l’islam. »
Et Monseigneur SLEIMAN de conclure le colloque en insistant sur la grâce et la responsabilité qu’ont les chrétiens de comprendre ce que signifie une foi raisonnable, une foi qui cherche à comprendre. Mais aussi d’élargir la question du lien entre foi et raison : en occident, de manière générale la foi n’est-elle pas atrophiée, aux dépens de la raison ? En cela, la foi des musulmans n’est-elle pas pour les occidentaux une belle provocation ?
[1] https://www.youtube.com/watch?v=9TpmlVL564U
[2] guerre sainte, versets 5 et 29 de la sourate 9
[3] http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/speeches/2006/september/documents/hf_ben-xvi_spe_20060912_university-regensburg_fr.html
[4] http://europe-basilique.com/
[5] Monseigneur Jean-Benjamin SLEIMAN est archevêque latin de Bagdad.
[6] Monseigneur Georges CASMOUSSA est l’ancien archevêque syro-chaldéen de Mossoul.
[7] Le Père Samir KHALIL est professeur d’islamologie et de la pensée arabe à Beyrouth et à Rome.
Pingback : L’Europe dans la pensée de Joseph Ratzinger – Benoît XVI – Terre de Compassion
Pour ceux que ça intéresse, je vous conseille « L’Islam et la raison », de Malek Chebel, qui reprend la chronologie des différents courants musulmans ayant tenter cette confrontation foi/raison, l’interprétation du Coran, son historicisation, etc…