Avec Jimmy’s Hall, le réalisateur anglais Ken Loach signe le dernier film d’une carrière longue, riche et largement couronnée. Dans ce film, il retrace l’histoire vraie de Jimmy Gralton, un Irlandais mort en exil forcé en Amérique en 1945. Aujourd’hui, Ken Loach en fait un témoignage de liberté et d’amitié.
Jimmy revient en Irlande en 1932 après 10 ans d’exil en Amérique. Il avait dû partir en exil forcé après avoir ouvert une salle de danse dans un petit village irlandais. Une salle « où chacun pouvait être lui-même », où la danse, le chant, la poésie, la lecture ou la boxe permettaient à chacun de donner le meilleur de lui-même. Mais voilà… un tel lieu dérange. Il dérange d’abord le curé Sheridan parce qu’il propose un lieu qui sort de l’institution et qui offre à chacun un lieu d’éducation « un lieu où on apprend à penser et à juger » en dehors de sa juridiction et de son contrôle. Un lieu qui dérange les propriétaires terriens qui y voient une menace (avant tout financière !) contre leur toute puissance sur les petits paysans. Un lieu qui rallie la haine de ceux qui se sont laissé enfermer dans la morale ou l’ambition personnelle.
Après 10 ans Jimmy revient. Il retrouve sa mère, seule mais solide et tranquille, semblable à la maison dans laquelle elle a toujours vécu, où elle a mis au monde ses fils, une femme qui connaît sa terre et ses racines. Une femme profondément catholique. Jimmy ne vient pas pour rouvrir la salle. Et le curé est là pour le mettre en garde et le rappeler à de bons sentiments « nous avons payé assez cher l’unité de l’Irlande, nous ne voulons plus la mettre en péril par des initiatives absurdes et inutiles ».
Mais il y a ses amis. Les amis d’avant, qui sont des souvenirs vivants de ce pour quoi ils avaient ouvert cette salle. Et puis il y a les jeunes qui cherchent quelqu’un à suivre, quelqu’un qui leur montrera la vraie liberté, ceux qui dansent au croisement d’une route et qui appellent Jimmy : « Nous avons entendu parler de toi, nous avons entendu parler de ta salle. Nous voulons danser ». Et puis il y a Jimmy, Jimmy qui ne peut pas cesser de suivre ce qu’il avait déjà reconnu, qui ne peut pas cesser de suivre son cœur et sa conscience. Alors la salle est ouverte à nouveau et le combat reprend. Le curé se soulève devant cette engeance de communistes qui échappent à son institution et les propriétaires attaquent, prétextant la lutte contre l’anti-Christ pour préserver leurs finances, leur orgueil et leur pouvoir.
Jimmy n’offre pas seulement une salle de danse, il offre un lieu où tout est pris en compte : l’art, la politique, l’économie, le travail. Un engagement humain ne peut pas être un engagement limité ! Face à l’idéologie qui s’élève contre lui, il ne répond que par un engagement toujours plus humain.
Jimmy n’est pas seul, cette salle c’est surtout l’histoire d’une amitié. Si au début du film il nous semble voir se profiler un film classique opposant la gentille classe ouvrière au méchant clergé, tout s’ouvre parce qu’il n’y a pas d’idéologie : il y a l’amitié. L’amitié entre ce petit groupe d’Irlandais qui reconnaît un homme. Un homme qui ne s’emporte pas ni dans la colère contre ceux qui l’attaquent, ni dans la peur de ceux qui l’accusent. Un homme libre. Alors ils suivent cet homme et sont prêts, comme 10 ans plus tôt, à risquer la prison ou la mort pour suivre leur cœur qui s’est révélé dans la rencontre avec cet homme. Un engagement qui les réunit dans leur désir de vivre de foi, d’espérance et d’amour.
À un moment, le comité de l’IRA du village voisin vient les trouver pour leur demander de les aider à soutenir une famille de paysans qui a été chassée de sa maison par le propriétaire. Le groupe assemblé se divise entre ceux qui prônent la colère et ceux qui se souviennent du passé et qui veulent sauver le peu qu’ils ont : cette salle de danse déjà menacée. Jimmy seul reste en silence. Ni colère, ni peur, c’est librement il accepte les conséquences de son acte : il soutiendra la famille rejetée, non par idéologie, mais parce qu’il ne peut pas ne pas être fidèle à sa conscience, même s’il sait que cela signe la perte et l’exil à nouveau. Et les autres le suivront.
Ce jaillissement de vie ne peut qu’attirer. Attirer les jeunes perdus dans un pays d’institution où la morale, l’ambition et la richesse règnent en loi. Les jeunes qui veulent danser, ils veulent vivre avec intensité et passion. Marie, la fille d’un riche propriétaire terrien qui été blessé dans son orgueil par un affrontement avec Jimmy 10 années plus tôt, va être la première à arrêter Jimmy alors qu’il passe sur la route. « C’est vous Jimmy ? Si vous saviez comme mon père vous hait ! Jimmy nous voulons danser, ouvrez la salle s’il vous plaît ! » Un cri qui la conduira à quitter toutes ses sécurités : la richesse, la famille, la réputation. Un cri qui la conduira à une liberté toujours plus grande à mesure qu’elle apprend à connaître et à suivre Jimmy. Alors qu’elle a le dos encore brûlant des marques du fouet avec lequel l’a battue son père pour la dissuader de retourner à la salle, elle arrive en larmes dans la salle : « Je ne voulais pas être en retard pour le cours ! » Finalement, Jimmy est emporté par la police vers l’exil forcé, Marie n’hésite pas à le suivre en vélo, accompagnée par les autres jeunes, malgré le regard furieux de son père. Elle prend la main de Jimmy et lui dit : « Nous continuerons à danser Jimmy. J’apprendrai à ma fille à danser. » C’est la victoire de Jimmy : il est forcé à l’exil, mais il laisse derrière lui des personnes qui ont découvert la vraie liberté.
Merci Suzanne de nous montrer Ken Loach à travers un autre angle que celui du cinéaste engagé à gauche que l’on ressasse souvent.
L’amitié qui fait grandir et invite à être soi-même. C’est déjà ce que l’on retrouvait dans « Looking for Eric », magnifique film avec Eric Cantonna. A voir ou à revoir !
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