Le MET a ouvert début mai les portes d'une exposition somptueuse où l'on découvre la Chine vue par les grands couturiers occidentaux.
Comme Alice au pays des merveilles, le visiteur est invité à traverser un miroir pour accéder à un univers enchanteur. Ce monde magique, c'est la Chine ; le miroir, la haute-couture occidentale contemporaine. Ce que le titre de l'exposition ne dit pas, c'est que ce même visiteur est finalement peu à peu conduit à se retourner, et à contempler l'autre côté du miroir. Là se reflètent les couturiers, livrant le plus intime d'eux-mêmes et leur relation avec cette beauté mystérieuse qu'ils ont tenté d'approcher.
Face 1 du miroir : le faste et les voluptés de la Chine
Ces vers du poète chinois Huang Tingjian (XIème siècle) accompagnent l'exposition et définissent l'effet que produisent sur nous les robes des couturiers : elles ouvrent l'accès aux richesses de la Chine, elles éveillent tous nos sens (d'autant plus qu'elles sont accompagnées de films, de musique, d'un jardin chinois où l'ont peut admirer le reflet de la lune, et de quelques photographies).
Pour nous aider dans ce voyage, l'exposition est divisée en trois principales sections, où sont juxtaposées aux robes les sources d'inspiration de leurs créateurs.
Dans la première, ce sont des costumes manchu de la dynastie des Qing (1644-1911). On s'émerveille alors de la manière dont Dior, dans une robe courte de soie jaune brodée d'or et de soie polychrome, prend à son compte le faste impérial pour célébrer la souveraineté du corps féminin (Collection Automne-Hiver 1998-99).
Dans la deuxième, ce sont des qipaos (robes traditionnelles) des années 1930 qui posent à côté de leur ré-interpréation occidentale. On note en particulier celle de Louis Vuitton, faite de satin noir brodé d'ambre et de crystal (Collection Printemps-été 2011). Elle évoque le charme discret et la sensualité vigoureuse des femmes chinoises.
Enfin dans la dernière section, les robes sont accompagnées de porcelaines et de sculptures. La majestueuse robe de Valentino Garavani, en satin blanc et bleu (Collection Automne/ Hiver 1968-69) se détache de ses pairs, dégageant la même délicatesse, la même fragilité et la même brillance qu'un vase de porcelaine.
En fait de miroirs magiques, ces robes sont donc extrêmement efficaces. De sorte que le visiteur s'interroge : d'où leur viennent ces pouvoirs ? Par quelle extraordinaire sensibilité leurs créateurs ont-ils pu susciter en nous de telles émotions ?
Face 2 du miroir : l'âme des couturiers, en dialogue avec leur muse
C'est que ces pièces ne sont pas de simples chinoiseries… Autrement dit, les grands couturiers exposés ne se sont pas contentés de copier vulgairement une tradition chinoise dont on peut raisonnablement penser qu'ils étaient malgré tout assez éloignés. Ils n'ont pas tenté de saisir ce qu'ils ne pouvaient saisir, mais d'exprimer, par leur création, leur relation personnelle à cet univers chinois insaisissable. C'est bel et bien leur âme qu'ils ont taillée dans l'étoffe, pour livrer sous une forme tangible ce qu'a suscité en eux le pays enchanteur du soleil levant.
Preuve en est que Dior, Valentino, Yves Saint-Laurent, Chanel (et leurs nombreux pairs exposés) se sont véritablement mis au service de leur source d'inspiration, pour la faire resplendir. Ainsi se sont-ils docilement pliés aux tissus, aux motifs et aux couleurs requis par la tradition chinoise. Ils n'ont pas voulu exprimer avant tout leur génie personnel, ce qui ferait de leurs pièces des œuvres fermées. Ils ont fait au contraire de celles-ci des œuvres ouvertes, évocatrices, tendues vers une beauté plus grande devant laquelle elles semblent vouloir s'effacer.
On ne peut donc que saluer le remarquable talent de Andrew Bolton, directeur du Metropolitan Museum of Art's Costume Institute, qui depuis treize ans travaille à donner à la mode toutes l'exposition et la visibilité qui lui sont dues.
Cécile Fourmeaux
Il est bon de parler de la Chine en ce jour symbolique des commémorations du masacre de Tien an men. Il y aura des cérémonies (non officielles) ce soir, malgré une volonté de silence du gouvernement. Ce jour garde une dimension hautement symbolique dans la tête de beaucoup de chinois… Dans l'exposition au MET il y a une robe où l'on voit la tête de Mao… Ce qui montre aussi l'étrange prisme à travers lequel l'occident a considéré tout cela, jusqu'à se réveiller le 4 juin 1989. Merci au demeurant pour ce bel article.