Home > Arts plastiques > Une brise fraiche et légère : Aliénor Dauchez

Une brise fraiche et légère : Aliénor Dauchez

Aliénor Dauchez est une artiste française qui travaille à Berlin depuis 2008 comme metteuse en scène et plasticienne. Sa dernière exposition présentée dans le cadre de l’université des arts de Berlin est intitulée « Une brise fraîche et légère »  et présente trois œuvres sur la brisure intérieure. Une invitation à écouter la souffrance d’aujourd’hui.

L’art contemporain est souvent difficile d’accès et élitiste. Aliénor Dauchez s’inscrit dans ce mouvement, cependant elle n’en reste pas à un discours intellectuel ou à un concept sur la brisure et la souffrance mais part de son expérience personnelle, ce qui confère à son art une grande intériorité.

En parlant de ses œuvres, elle évoque d’abord le choc que fut son arrivée à Berlin : « j’ai perdu toutes mes sécurités aussi bien au niveau spirituel que relationnel, je ne savais plus qui j’étais au fond ».

Si Berlin est une ville de liberté et de foisonnement intellectuel et artistique, cela va de pair avec un individualisme très fort et une absence totale de structure. La brisure évoquée par Aliénor dans ses oeuvres est un reflet de cette solitude, que ce soit personnellement ou pour son travail.

Aliénor évoque aussi la dureté du milieu artistique à la fois mondain et solitaire : « nous sommes toujours sous pression, il faut constamment se vendre, se battre pour trouver sa place ».

Le titre de l’exposition « Une brise fraiche et légère » indique que la brisure n’est pas une fin en soi, ni une pure négativité mais quelque chose d’ambivalent, une invitation au dépassement de soi, à l’accueil d’une nouvelle « brise ».

Le monde infernal et maternel de la terre profonde, Aliénor Dauchez.

« La brise légère » nous conduit d’abord vers un tube d’acier qui rappelle les conduits d’aération et leur souffle robotisé. Mais en s’approchant on découvre que l’intérieur est capitonné d’une soyeuse peau de vison. Le contraste entre la dureté de l’acier et le confort de la fourrure donne envie de passer la tête, voir même d’entrer s’allonger dans ce doux nid, qui évoque l’intimité et la confiance. Le vison rappelle la nature mais aussi les manteaux de l’ère pré-écologique de nos mamans. La mention de la maternité dans le titre rajoute à ces ambiguïtés entre le sein maternel et le monde factice de la fourrure de mode. On aimerait quitter l’extérieur métallique, utilitaire et froid pour se blottir à l’intérieur, mais le refuge est bien précaire, car notre cylindre massif ne repose que sur deux frêles bouts de verre. On reste donc sur le seuil, dans un monde métallique, entre désir d’entrer et crainte de tout casser, promesse et désillusion, intimité impossible et utilitarisme résigné. L’ensemble est comme un traquenard qui dévoile l’incompatibilité entre notre soif d’intériorité et de communion et nos relations robotisées et utilitaristes.

Une brise fraîche, Aliénor Dauchez.

Aliénor Dauchez présente ensuite une vidéo d’une minute où la caméra Super 8 contemple un objet qu’on a du mal à identifier tant il est proche : c’est un marteau qui oscille paisiblement devant l’objectif, avant de briser un à un les différentes lentilles de l’objectif, puis la caméra elle-même.

Arriver dans un lieu aussi anti-conventionnel et anti-formaliste que Berlin oblige à briser nombre de préjugés, mais derrière les changements de perspective, c’est l’image de soi qui peu à peu se brise. Autodestruction ou autorévélation ? A l’heure de la « déconstruction », ce genre d’autodestruction est souvent présenté comme un but en soi, une façon de faire table rase, une proclamation du vide comme sens de la liberté et de l’être. Le marteau fait éclater les corrections visuelles, les images du réel qui sont autant de protections. Soudain la « brise fraîche » de la réalité entre directement dans l’appareil. Dépasser les limites de notre pensée et de notre rôle, de notre position sociale est une expérience grisante, qui nous fait osciller entre libération et destruction. La brisure de l’ego, du « ça », du moi, de notre carapace est source de violence et d’angoisse, d’insécurité, mais peut devenir un chemin pour affirmer une vérité plus grande de soi-même, celle qui émerge lorsqu’on préfère la mission d’un autre, lorsqu’on choisit de « donner sa vie pour ses amis ».

Délivrance possible, Aliénor Dauchez.

Accroché au mur un long cylindre de verre est rempli d’eau, la pointe du bas est brisée, mais l’eau reste dans le vase à cause de la pression du vide d’air. L’eau voudrait s’écouler mais ne le peut, sauf si l’on brisait la fragile pointe du haut. L’ensemble est à la fois volumineux et fragile, en tension vers le bas et en suspension. La délivrance pourrait se réaliser, mais ce n’est pas encore le cas et si elle se produisait, cela passerait par une cassure.

Comme les deux autres œuvres, Délivrance possible repose sur un équilibre très fragile de forces et de tensions, on se demande même comment cela tient. Tension entre le relatif de toute chose et la quête indéracinable d’absolu, tension entre la fragile contingence des œuvres et leur signification éternelle, entre les désirs insatiables et les circonstances. Comment échapper à ces tensions ? L’œuvre d’Aliénor Dauchez ne cherche pas à résoudre ou apaiser la tension, au contraire, à première vue, la délivrance semblerait être la mort et la destruction.

Est-ce la seule voie ? Les utopistes et les idéologues répondent qu’il faut bâtir par notre générosité un monde sans tension, sans dysfonctionnement, sans erreur. Cet idéal optimiste se brise sur la réalité tragique et violente qui nous entoure. La fragilité des œuvres d’Alienor Dauchez rappelle que cette tension est intérieure à l’être, elle est l’élan transcendantal qui donne le goût à la vie.

Site d'Aliénor Dauchez

Vous aimerez aussi
Andy Goldsworthy, Penché dans le Vent
Un autre regard sur l’art
Montre-moi ta blessure
Peindre dans tes yeux