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Les lecteurs connaissent déjà Frédéric Eymeri et son initiative « a painting a week » inspirée de la démarche de Duane Kaiser, sorte d'ascèse pour maintenir les yeux ouverts. Certains ont suivi l’évolution de ses natures mortes sur son site. Mais voilà que tout récemment sont apparus des paysages d’une intensité toute particulière. Des toiles dont des amis artistes ont prédit l’insuccès parce qu’elles portent sur… rien.

Des toiles sur rien

Sur rien… plutôt sur un rien. Car on se souviendra qu’en bon français, « rien » signifie d’abord « quelque chose ». Il s’agirait même de « ce rien », c’est-à-dire, « ce quelque chose », ce hoc aliquid  dont saint Thomas reconnaissait qu’il est difficile de parler et qu’on est incliné à mépriser, obnubilés que nous sommes par le tapage du néant. Mais si ces toiles tendent à ce « rien », elles cherchent donc ce je ne sais quoi, qui seul compte en art.

Ce sont : « Un après midi d’été », « L’orage gronde », « Figures absentes », et enfin, « Au cœur du Layon » que nous présentons en exclusivité (au bas de l'article). Elles sont venues comme des échos d’un été que nous vivons sans le vivre, crever la toile d’un songe malade pour nous ramener, sans violence, à ce qui est : « ceci – est… ».

Le jeûne du peintre

Comme le moine retourne huit fois le jour dans le chœur pour reprendre la psalmodie et tendre, dans la matière des mots, vers le Visage que le cœur désire, Frédéric peint de préférence des natures mortes. Il s’y emploie de manière assidue. C’est un long chemin d’humilité. Une ascèse volontaire. Son jeûne de peintre. Car en effet, il y a la même vie et la même immédiateté de l'évidence dans chaque verset de psaume que dans les choses qui nous entourent, mais combien faut-il les ruminer, passés les premiers enthousiasmes !

S'il ne s'agit pas tant d'une méthode que d'une disponibilité à recevoir ce qui est donné, il faut cependant cette patience de paysan et ce courage de soldat pour mettre à jour et conserver ce qui nous est donné dans la splendeur des noces. Il faut déblayer à grand effort ce cœur dont les battements sont encore, malgré les heurts, ceux d’un enfant.

Si le travail de chaque jour compte davantage que les résultats, on voit bien aussi à quelle fécondité il conduit. Dans ces paysages quelque chose nous fait « voir » dans une déconcertante facilité. Quelque chose ou quelqu’un a pris chair, s’est formé patiemment dans le silence, et se libère soudain, battant mesure, donnant matière à l’indicible, à la voix impénétrable du Silence.

Au coeur du Layon

Cette dernière toile, dans sa simplicité, ne fait pas mentir ce qui a été donné à Frédéric comme la récompense de tant d’abnégation. 

Au coeur du Layon (acquérir la toile)

Tout à coup, plutôt que nos téléphones ou nos tablettes, c’est un vélo que nous avons jeté sur le talus. Après le long effort, nous nous étonnons de retrouver la sensation de la terre de l'ouest sous nos pieds. Dans la chaleur intense, le vrombissement des insectes et la profusion des senteurs, nous nous laissons envahir par ce « rien » qui présidait aux jours de l’enfance. 

La beauté, dans l’inadvertance de celui qui a choisi de ne pas se regarder lui même, s'offre comme par surcroit, comme par victoire de la gratuité sur les calculs. De la simplicité sur les compositions. De l’amour sur le mensonge.

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