Gabrielle Bonne est volontaire au Point-Cœur San Felippo Néri, depuis six mois sur l’île de Procida (Italie). Elle nous présente dans sa lettre de mission trois rencontres. Dans ce récit, elle dévoile avec une grande profondeur et simplicité l’icône intérieure qui est cachée dans le cœur de chacun de ses amis.
Déjà six mois depuis le début de ma mission à Procida. Tant de choses à vous partager ! Celle-ci me semble toujours difficile à écrire et je suis à la fois contente de vous partager la réalité de notre vie ici. Voici trois perles parmi les rencontres qui m’ont le plus marquée : Margherita, Eduardo, et Samu.
La vigile de Noël avec Margherita
La vigile de Noël avec Antonio, Donata (volontaire allemande) et Margherita
Margherita a vingt-cinq ans. Son regard semble manifester un continuel "mal-être". Séparée de ses parents depuis l’enfance, elle a grandi dans un foyer pour jeunes. Aujourd’hui elle vit seule et les relations avec ses parents sont tendues. On l’appelle souvent pour qu’elle nous rejoigne à la maison, le temps d’un café, d’une discussion. Alors que l’on évoque la préparation de Noël, elle nous invite spontanément à venir fêter le 24 au soir ensemble, chez elle. Le jour J, elle nous attend devant sa porte. Déjà, elle nous appelait pour savoir où on était. C’est la première fois que je découvre sa maison. Elle ouvre sa porte sur un intérieur pauvre et humide : le lit, une armoire, une étagère, une table et quatre chaises, voilà tout le mobilier. Mais la première chose que je vois, c’est cette table : belle, soignée aux couleurs de Noël, avec des bougies. Antipasti, fromages, charcuterie, pasta al sugo, pizza de scarole… Toutes ces spécialités, on m’en a parlé dans chaque maison préparant le repas traditionnel de Noël. Ce soir, c’est Margherita qui me les fait découvrir. Elle a passé toute la journée dans sa cuisine pour nous. La Caritas, sorte de banque alimentaire sur l’île, lui a offert tous les ingrédients. Tout ce qu’elle a reçu, elle nous le donne. Son frère Antonio est venu lui aussi pour fêter Noël, il vit à Naples dans un centre pour jeunes handicapés. On attend la sœur aînée. Puis, on comprend qu’elle ne viendra pas. Margherita a froid, le chauffage électrique est ridicule. On chante avec Donata quelques mélodies de Noël. C’est Noël !
Alors que l’on se quitte, Margherita nous confie : « Merci de votre compagnie, c’est beau d’être avec vous. Sinon je serai restée seule ce soir de Noël. » À travers toutes ses attentions, c’est la joie qu’elle quête, c’est l’amour qu’elle mendie. Je reçois ce Noël avec elle comme une belle leçon d’humilité. Reconnaître sa faiblesse, ce besoin universel d’amitié.
Eduardo et Gianna
Gianna et Eduardo sont un couple d’amis chez qui on ne semble jamais déranger. Depuis plusieurs mois, une infection au niveau du bras gauche paralyse Gianna. À l’infection, s’ajoutent des douleurs nerveuses. Elle, qui aimait cuisiner, se retrouve immobilisée dans son fauteuil, sans pouvoir rendre les services qu’elle aimerait. Sa douleur, je l’ai comprise quand un jour, elle nous envoie dehors jardiner avec Eduardo, le temps de la visite quotidienne de l’infirmière. Du jardin, on entend ses pleurs, ses cris de douleur. Eduardo s’arrête et nous dit : « Gianna vit un vrai chemin de croix. »
Eduardo dans son jardin
Une fois l’infirmière sortie, on rejoint Gianna. Les larmes encore dans les yeux, mais son sourire sur les lèvres. On déguste ensemble les agrumes du jardin, accompagnés d’un délicieux vin de noix maison. Alors que l’on se quitte, Gianna nous lance, rayonnante : « Je savais que vous viendriez aujourd’hui, pas vrai Eduardo ? », et lui, de répondre tout bas, avec un regard complice : « Elle me le dit tous les midis que vous allez passer ! » Les souffrances de sa femme, il ne s’y habituera jamais. Lire dans son regard sa compassion. Le voir soigner l’arbre des grenades, car il sait que ce sont ses fruits préférés. Tous ces gestes d’amour pour sa femme, le temps et la présence qu’il lui offre, sont une force dans laquelle elle puise son incroyable joie de vivre. Il ne rêve pas l’amour, il ne rêve pas aux voyages qu’il pourrait faire si elle allait mieux… Il vit l’amour !
L’anniversaire de Samuele
Samuele fait partie des enfants qui aiment venir jouer chez nous, le samedi après-midi. C’est son anniversaire aujourd’hui. On prépare une carte et un gâteau. Rémi s’applique à dessiner au sucre-glace SAMU, c’est comme ça qu’il se fait appeler ! À notre arrivée, il se jette dans nos bras tout heureux. Il découvre la carte, le gâteau : « Oh Merci ! » Il se frotte les yeux : « On joue dehors ? » Et c’est parti pour un cache-cache dans le vascello avec les petits voisins. Il nous invite à venir le lendemain pour le fêter avec sa famille.
À notre arrivée, je réalise la confiance qu’il nous fait de nous ouvrir sa maison. Seule sa famille est réunie, parents, oncles et tantes, grands-parents… Ça parle fort. Les visages sont marqués. Alcool ou drogue. Le papa ne semble plus très présent. Et pourtant, Samu l’embrasse si tendrement. La maman s’attèle à nous servir de belles portions du gâteau d’anniversaire chantilly-nutella-chocolat.
Malgré ses souffrances, malgré la misère de sa maison, Samu nous partage sa joie de célébrer ce jour si particulier. Accueillir avec lui ce cadeau de l’amitié, qui nous est mystérieusement donné. Sentir au milieu de ce désordre, de la violence et de la pauvreté, que Dieu se rend présent.
Dans cette aventure avec Points-Cœur, je réalise un peu plus que Christ se rend présent dans des réalités de vie si diverses. Chercher à mieux comprendre, consoler, aimer, ceux qui me sont donnés de rencontrer.