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Elie Wiesel : « offrir à autrui des raisons d’espérer… »

« Seule la prière approche de cette concision et de cette pureté qui fondent la vérité de l'écriture. Ecrire, c'est comme une prière, aller à l'essentiel.[1]» L’écrivain, Elie Wiesel, est mort ce samedi 2 juillet.

Il est né le 30 septembre 1928 dans la petite ville de Sighet en Roumanie. Après une enfance au milieu d’une communauté juive hassidique, il est déporté avec toute sa famille, ses amis, ses voisins au camps d’Auschwitz-Birkenau. Il verra sa mère et sa plus jeune sœur pour la dernière fois dans une nuit d’horreur ; la nuit de leur arrivée au camp. Une nuit qui inspirera plus tard son livre le plus connu "La nuit". Son père mourra à côté de lui au camp de Buchenwald en Allemagne. En 1945, il est recueilli en France par l’œuvre juive de secours aux enfants. Sans famille, apatride, marqué à vie par l’expérience qu’il a vécue… Il sera journaliste, écrivain, professeur. Il vivra entre la France, Israël et les Etats-Unis, dont il était citoyen depuis 1963. Il sera l’ami, le conseiller de beaucoup des plus grands politiciens, intellectuels, artistes du XXe siècle. Il recevra le Prix Nobel de la Paix en 1986. Partout, il n’aura de cesse d’écrire, de témoigner, de rappeler l’histoire pour inviter à l’espérance. « Certes il y a des raisons pour vivre dans la crainte, mais il nous appartient de tirer de cette crainte même des mobiles pour vouloir vivre et offrir à autrui des raisons d’espérer… »

Cependant il n’a pas choisit de devenir politicien, mais poète. Alors même qu’en 2006, on lui avait demandé de devenir Président d’Israël, il a refusé pour « demeurer simplement un écrivain ».

« Je vais vous expliquer le vrai sens de la question que Dieu posa à Adam. "Ayéka" (où es-tu ?) signifie : où es-tu donc dans ce monde ? Quelle est ta place dans l’histoire ? Où en es-tu de ta vie, Adam ? Ces questions fondamentales, chaque être humain doit, un jour ou l’autre, les affronter.[2]»

Elie Wiesel a su poser ces questions. Chacun de ses récits a été l’occasion de s’interroger sur les hommes, sur ce « où es-tu ? » qui devient un « qui es-tu ? ».

« Certes il y a des raisons pour vivre dans la crainte, mais il nous appartient de tirer de cette crainte même des mobiles pour vouloir vivre et offrir à autrui des raisons d’espérer… »

Dans une société de plus en plus individualiste, où chacun pense s’auto-déterminer, il était extrêmement conscient que cette question ne pouvait pas trouver de réponse abstraitement, la réponse était toujours dans la réalité qui nous entoure, dans un peuple, dans une histoire dont nous sommes héritiers. En cela, il a repris toute la tradition juive pour laquelle la mémoire et si importante et l’oubli si dramatique… C’est le sens de cette prière qu’Elhanan Rosenbaum compose dans l’Oublié :

« Dieu de justice, soit juste envers moi. Dieu de charité, soit bon avec moi. Dieu de miséricorde, ne me précipite pas dans le Kaf Hakela, cet abîme où toute vie, toute espérance et toute lumière sont recouvertes d’oubli. Dieu de vérité, rappelle-Toi que sans la mémoire, la vérité devient mensonge car elle ne prend que le masque de la vérité. Rappelle-Toi que c’est par la mémoire que l’homme est capable de revenir aux sources de sa nostalgie pour Ta présence.

Rappelle-Toi, Dieu de l’Histoire, que Tu as créé l’homme pour qu’il se souvienne. Tu m’as mis au monde. Tu m’as épargné au temps des périls et de la mort pour que je témoigne ; or, quel témoin serais-je sans ma mémoire ?

Sache, Dieu, que je ne veux pas T’oublier. Je ne veux rien oublier. Ni les morts, ni les vivants. Ni les voix ni les silences. Je ne veux pas oublier les moments de plénitude qui ont enrichi mon existence, ni les heures de détresse qui m’ont désespéré.

Même si Tu m’oublies, Dieu, moi je refuse de T’oublier.[3] »

Élie Wiesel était conscient que ce n’est jamais l’indifférence qui guérit les blessures, mais au contraire un regard honnête qui sait voir la vérité, qui sait pleurer sur ce qui réellement blesse le cœur humain pour mieux choisir l’espérance. « Un autre (un ami) perdit la raison. Il plongea dans le passé et il y est toujours. De temps à autre, je le visite dans sa chambre d’hôpital, nous nous regardons et nous nous taisons. Un jour, il se secoua et me dit : ‘Il faudrait peut-être apprendre à pleurer’[4] ».

« Dieu est silence, dit le mystique médiéval juif. Dieu est. Il est dans l’attente. D’ici là, Il s’agit de vivre la vérité de chaque instant. D’espérer afin que d’autres espèrent à leur tour. (…) L’être humain qui vit dans le temps ne connaît qu’une seule voie : vivre dans le présent en y épuisant toutes ses ressources, tous ses ressorts. Faire de chaque journée une source de grâce, de chaque heure un accomplissement, de chaque clin d’œil une invitation à l’amitié. De chaque sourire une promesse. [5]»

 


[1] Elie Wiesel dans un entretien avec Antoine de Gaudemar, octobre 83

[2] Elie Wiesel «… et la mer n’est pas remplie.» p.11

[3] Elie Wiesel, L’Oublié, cité dans «… et la mer n’est pas remplie.» p. 553

[4] Elie Wiesel, Le chant des morts, p.200

[5] Elie Wiesel, Le cas Sonderberg

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