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Bigot-Baiting, ou l’utilisation des haines idéologiques à des fins politiques.

L'éditorialiste américain R. R. Reno offre une lecture des procédés électoraux du parti démocrate américain : "L’actuelle croisade pour le privilège des toilettes transsexuelles dans les lycées, comme une bonne partie de l'ordre du jour de l’agenda progressiste au cours des dernières années, ne porte pas sur les droits civils. Elle porte sur le symbolisme de l'oppression et le fait de trouver les « ennemis » dont les libéraux ont besoin pour maintenir leur pouvoir politique."

Face aux problèmes auxquels est confrontée notre société actuelle, je ne peux imaginer de mesure politique plus hors sujet que le privilège des toilettes pour les étudiants transsexuels. La moitié inférieure de la société américaine s’effondre. Les électeurs se révoltent contre les candidats officiels, jetant le doute sur le consensus économique et culturel qui prédomine depuis la dernière génération. Et l’administration Obama fait pression en faveur des droits transsexuels ? Cela est étonnant, mais cependant pas surprenant si l’on regarde l’histoire du mouvement libéral après les années 60.

Du ségrégationnisme au libéralisme

Quand j'étais enfant, le Maryland, l’État où je suis né, était dominé par le parti démocrate d'après-guerre : électeurs blanc de la classe ouvrière, progressistes instruits de Baltimore et de sa banlieue, et ségrégationnistes blancs qui voyaient encore le parti de Woodrow Wilson comme leur milieu naturel. En 1966, le candidat ségrégationniste et gouverneur George Mahoney exploita la haine raciale pour triompher à la primaire, pleine d’amertume, du parti Démocrate. Mais les temps étaient changeants, et le républicain Spiro Agnew remporta la victoire lors de l'élection générale, en attirant à lui les progressistes instruits et plus de 70 pour cent des votes de la population noire.

Cette élection était le début de changements majeurs dans l'électorat : émeutes, protestations,  atmosphère générale d'effondrement de l’électorat issue de la classe ouvrière blanche, instable, de la fin des années soixante. La fuite des votes blancs de Baltimore et d'autres villes s'accélérèrent, et le discours politique de Richard Nixon, « la loi et l'ordre », trouva un écho dans les nouveaux banlieusards qui avaient été autrefois des électeurs fiables des machines politiques urbaines. Pendant ce temps, le parti démocrate renonçait à son passé ségrégationniste et évoluait vers une coalition d'électeurs formée d’afro-américains, d’une classe ouvrière blanche restée fidèle aux souvenirs de Franklin Roosevelt, de retraités blancs dépendants de l’aide gouvernementale, et de libéraux ayant une éducation universitaire – un schéma qui se répète ailleurs à travers le pays.

Cette coalition mit un certain temps à se consolider, mais elle avait un sens. Elle conservait l’accent en faveur du travail promu par l’ancienne gauche, tout en donnant une place à des thèmes sociaux conservateurs tels qu’une répression sévère de la criminalité qui satisfaisait la classe ouvrière blanche et la classe moyenne des électeurs. Elle fournissait un patronage aux Afro-Américains, dont les dirigeants avaient remplacé, dans des villes comme Baltimore, les anciens patrons blancs de la vieille machine politique urbaine. Et elle reprenait à son compte assez de causes culturelles et du discours politique de la nouvelle gauche pour satisfaire les étudiants universitaires libéraux.

Du libéralisme aux élites

Mais la roue continuait de tourner. Dans les années 1980, Ronald Reagan fit passer la classe ouvrière blanche dans le giron républicain. En même temps, les enfants des hommes blancs qui avaient travaillé dans des endroits comme Bethlehem Steel à Sparrows Point situé dans la banlieue de Baltimore allaient à l’université. Et par conséquent, le bassin de libéraux blancs instruits augmentait, multipliant le nombre de votes potentiels pour la coalition démocrate. Et pas seulement des votes, mais aussi de l'argent et un pouvoir culturel.

Avec les années, à l’arrivée d’Obama, le parti démocrate était devenu la maison pour les américains les plus riches et les plus instruits. Près de 70 pour cent des professionnels ont voté pour lui en 2008 ainsi que la majorité de ceux qui gagnent plus de 200.000 dollars par an. Il y a actuellement au Congrès plus de démocrates que de républicains pour représenter les cent plus riches circonscriptions. Les personnes qui réussissent dans l'économie mondiale d'aujourd'hui, un groupe formé principalement de blancs représentant 20 à 25 pour cent de la population, sont plus susceptibles d'être membres du parti démocrate que du parti républicain. Le parti de Franklin Roosevelt n’est plus le parti des petites gens. Maintenant, il poursuit les intérêts économiques et culturels des WASP post-protestants, une identité culturelle bien ancrée qui, bien que peuplée principalement d’américains blancs, comprend d'autres personnes  partageant leur statut d’élite.

Le recours aux minorités 

Au moment où la classe supérieure de la société penchait en faveur des démocrates, une autre dynamique était à l'œuvre à l'autre extrémité. La loi sur la Nationalité et l’Immigration de 1965 fit considérablement augmenter l'immigration en provenance d'Amérique latine et d'Asie, peuplant l'Amérique de nouveaux groupes électoraux formés de personnes vulnérables. Au fil du temps, cela a fourni une population prête à s’insérer dans la catégorie des opprimés, permettant au parti démocrate de se maintenir dans son rôle de défenseur des faibles.

Ces nouveaux immigrants et leurs enfants ont remplacé les démocrates de Reagan, donnant ainsi au parti démocrate une force électorale pour soutenir son statut de dirigeant WASP post-protestant. Mais il y a une différence. La classe ouvrière blanche et la classe moyenne des coalitions de Franklin Roosevelt et Lyndon Johnson se disputaient le contrôle de la culture et de la politique américaine. Les populations d’immigrés, en revanche, entraient dans la coalition du parti démocrate dans les mêmes conditions que les Afro-Américains. Ils étaient de simples clients dans un système des millets (en référence au système de l’empire Ottoman ; voir ici et ici, ndt), bénéficiant ainsi du patronage libéral. Ajoutez les homosexuels, les femmes célibataires, et tous ceux qui se sentent « rejetés », et l’on découvre la structure de base du parti démocrate d'aujourd'hui. Ses priorités politiques sont dominées par un large groupe de personnes bien instruites, bien nanties, pour la plupart des blancs libéraux qui justifient leur ascension avec des promesses pour promouvoir et protéger ceux qui se sentent « exclus » ou « marginalisés ».

Dans cette coalition, les droits des homosexuels deviennent particulièrement importants. Les idéologies écologiques et environnementales peuvent avoir un écho dans la classe moyenne supérieure libérale par exemple, mais vont souvent à l'encontre des centres d’intérêts de ceux qui se trouvent plus bas dans l'échelle sociale. Interdire la fracturation hydraulique dans l’industrie pétrolière ne rassemblera pas les électeurs Latino ou afro-américains. Les droits des homosexuels, en revanche, sont des thèmes de la classe libérale moyenne supérieure qui résonnent néanmoins dans toute la coalition démocrate. Dirigés par des personnes très instruites, pour la plupart des libéraux blancs, les organisations LGBT, ainsi que les féministes et les pro-avortement, sont fortement liés aux problèmes auxquels sont confrontés les gays et lesbiennes aisés et couronnés de succès. Mais le leitmotiv des droits civils afin de mettre fin à la discrimination et promouvoir l’insertion correspond tout autant aux préoccupations des Afro-Américains, des Hispaniques et des autres blocs d'électeurs qui se sentent aussi marginalisés. Cela fait du droit des homosexuels le point de ralliement des démocrates. Le mouvement représente un groupe électoral aisé, très instruit dont les objectifs ne représentent aucune menace pour la suprématie économique et culturelle des WASP post-protestants – et en même temps promeut une solidarité dans la marginalité qui maintient la coalition démocrate unifiée et motivée.

La dynamique de la discrimination

Le problème, bien sûr, est qu'une coalition de solidarité-dans-la-marginalité (solidarity-in-­marginality) capable de commander des majorités électorales a, dans le temps, de plus en plus de mal à maintenir sa plausibilité. Combien de temps une coalition qui remporte les élections et exerce le pouvoir peut se présenter comme le parti des marginalisés ? Au bout d’un moment, le succès politique va à l’encontre de l'urgence d'une coalition « arc-en-ciel ». Les tensions entre le un pour cent de féministes, les mouvements LGBT et les intérêts des immigrants et des Afro-Américains deviennent plus visibles, sans parler de la division entre ceux qui sont à la base du parti démocrate et les intérêts économiques et culturels de ceux qui le financent et le dirigent.

Pour motiver leurs électeurs, les libéraux ont beaucoup investi dans l'identification incessante de nouvelles formes de discrimination. Des notions telles que les « micro-aggréssions » et l’« intersectionnalité » (notion de sociologie et de politique désignant la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de domination ou de discrimination dans une société, ndt) reflètent un deuxième courant de pensée (ou est-ce un troisième ?) d’une politique libérale. Ils gagnent de la crédibilité en raison de la loi de l'offre et de la demande politique. La coalition démocrate de solidarité-dans-la-marginalité du vingt et unième siècle est maintenue par la peur de l'exclusion et de la domination exercé par les « autres », c’est-à-dire les électeurs républicains. Cela crée une forte demande de témoignages d'oppression que les libéraux intellectuels sont heureux de fournir.

Cette dynamique opère de la façon la plus visible dans nos universités, où des personnes aisées, blanches et libérales pour la plupart – les WASP post-protestants – règnent. La légitimité de cette élite dépend de son engagement à « inclure » les « exclus ». Il va sans dire que l'administrateur de l' « Ivy League » (groupement de huit grandes universités privées du nord-est des États-Unis gérant des compétitions sportives, ndt) doit gérer cette optique, très soigneusement, pour maintenir la « marginalité » parmi les étudiants talentueux qui sont admis dans les Hautes Écoles. Le terme de « micro-agression » (microagression) et d'autres termes clés de la scolastique de discrimination qui est en constante évolution, jouent donc un rôle très utile. Ils renouvellent les menaces de discrimination et d'exclusion, ce qui renforce le pouvoir des élites libérales. L’ascension institutionnelle de ces dernières est nécessaire pour protéger et assurer le patronage des « exclus ». Je suis tout à fait certain que si le politiquement correct venait à supprimer le langage de « micro-agressions », nous entendrions rapidement parler de « nano-agressions ». La logique de la solidarité-dans-la-marginalité exige l'oppression, et la solidarité-dans-la-marginalité est nécessaire afin de maintenir le pouvoir libéral.

Axe du mal ou escalade réthorique

En dehors des universités la vie est moins théorique et le discours plus populaire. La pratique habituelle a été de renouveler la solidarité-dans-la-marginalité en faisant des conservateurs des petits démons  racistes, xénophobes, et «haïsseurs». Pour maintenir la fidélité, le parti démocrate suscite l’inquiétude de la discrimination et de l'exclusion. Une forme inversée de « race-baiting » (utilisation de la haine raciale, des préjudices ou des tensions à des fins politiques, ndt), ou peut-être serait-il plus juste de dire « bigot-baiting », est devenu cruciale pour maintenir la coalition démocrate, c’est pourquoi nous entendons beaucoup parler de « haine » ces jours-ci. Lors du récent défilé de la gay-pride à New York, quelques semaines après la fusillade dans une discothèque gay d’Orlando, les manifestants brandissaient une bannière aussi large que l'avenue qui disait, « la haine républicaine tue ! »

Il est important de se rappeler un principe premier de la politique de solidarité-dans-la-marginalité : le succès politique rend toujours plus difficile le fait de maintenir la solidarité dans la marginalité, et cela conduit au « bigot-baiting ». Nous voyons une augmentation de rudes dénonciations, non pas en dépit des victoires progressistes sur des questions telles que le mariage homosexuel, mais à cause d’elles. Quand Obama est devenu président, un observateur superficiel aurait pu conclure que l'élection d'un homme noir à la magistrature suprême de la Nation diminuerait la crédibilité politique de la rhétorique anti-raciste. Mais cela ne tient pas compte des besoins symboliques du parti démocrate. Le mouvement Black Lives Matter et les attaques redoublés sur la discrimination sont exigés par le progrès racial. La solidarité-dans-la-marginalité doit être renouvelée, en particulier lorsque la marginalité accède au pouvoir.

Ce schéma d'escalade rhétorique à cause du progrès dans la lutte contre la discrimination est également évident dans la caractérisation des électeurs de Trump comme racistes et bigots. Leon Wieseltier dit d'eux: « Ils suscitent, dans la myopie de leur douleur, le racisme et le nativisme, la xénophobie, la misogynie, l'homophobie et l'antisémitisme ». Aucune figure reconnue ne parlait de cette façon quand j'étais jeune – alors que ces descriptions étaient beaucoup plus plausibles. Incendiaire, la rhétorique dénonciatrice était caractéristique d'une figure marginale comme George Wallace, qui traitait ses opposants de « gonzesses en culotte courte de l’assistance sociale » et les manifestants pour les droits civils d’« anarchistes ».

Il est courant aujourd'hui pour les libéraux de parler de cette façon. Ce n'est pas parce que l'Amérique est plus divisée au niveau racial, ethnique, religieux ou sexuel. Tous les indicateurs suggèrent le contraire. Mais c’est parce que le parti démocrate dépend du bombardement constant de dénonciations pour générer la peur. Que quelqu'un aussi intelligent que Wieseltier participe à ce « bigot-baiting » d’une manière si flagrante indique combien cela est devenu indispensable pour le maintien du pouvoir libéral.

L’accès aux toilettes transsexuels : une urgence nationale

C’est dans ce contexte que l’accès aux toilettes transsexuels devient une question d'importance nationale pour l'administration Obama. Les progressistes ont besoin d’« ennemis », et pour les débusquer – de sorte qu'ils puissent devenir des cibles politiquement utiles de dénonciation – il est indispensable d’avancer la ligne de front de la guerre des cultures. L'idéologie transsexuelle fournit une combinaison presque parfaite. Elle contredit à ce point le bon sens, ainsi que n’importe quelle vision du monde attachée à la réalité, que la résistance est garantie. De plus, la cause des droits des transsexuels est centrée sur des enfants et adultes confus et troublés, des personnes que la condition rend par définition marginales. La nature désordonnée de leur vie affective les rend aussi vulnérables. Ils sont victimes toutes trouvées d'un conservatisme oppressif, une cible idéale pour un autre tour de « bigot-baiting ». La dénonciation des « ennemis » résistant à l’idéologie transsexuelle alimente la peur de l'exclusion et de la discrimination qui garde unie la coalition « arc-en-ciel ».

L’institution du parti républicain est consciente de cette dynamique, c’est pourquoi de nombreux dirigeants conservateurs recommandent avec insistance de se retirer de la guerre culturelle. Selon eux, les conservateurs religieux devraient se repositionner en tant que victimes d'un dogmatisme progressiste qui menace la liberté religieuse. Cette stratégie est fondée quand elle se positionne sur la rhétorique libérale de l'oppression et de la victimisation. Mais elle évalue mal les réalités politiques de notre temps.  Aujourd’hui le libéralisme des riches ne peut se maintenir au pouvoir que grâce à l'appui des électeurs unis dans la peur de la discrimination et de la marginalité – les noir américains, les hispaniques, les asiatiques-américains, les femmes célibataires, les gays et les lesbiennes, et tous ceux qui craignent de ne pas faire partie de ce qu’ils imaginent être le « grand public » (qui n’existe plus guère d’ailleurs). En conséquence, chaque pas en arrière pour quitter le front culturel sera suivi par des attaques toujours nouvelles des progressistes visant à générer « une haine » politiquement utile. La liberté religieuse est redéfinie comme le « droit de discriminer ». Là encore, le mouvement LGBT joue un rôle particulièrement important. Son ordre du jour est en opposition avec les convictions religieuses traditionnelles sur Dieu, la création, la nature et la morale, garantissant une guerre culturelle permanente qui est devenue si essentielle pour que les WASP post-protestants puisse garder le pouvoir.

La guerre culturelle permanente ou la dialectique de la haine

Avec zèle les activistes transsexuels font faire des progrès à leur cause, et ils le font avec le soutien de l’institution libérale. Leur fanatisme militant est un avantage politique, pas une nuisance. Ils provoquent une résistance qui peut être décrite comme « une haine ». Même si le parti républicain réussit à se retirer des questions culturelles et morales controversées, il y aura toujours une Église Baptiste de Westboro ou un groupe marginal quelconque pour être la tête de turc face à la persistante et soi-disant puissante force de discrimination et d'oppression. Comme nous l'avons vu à la suite du massacre d’Orlando, même une attaque terroriste motivée par l'idéologie islamiste peut être transformée en une agression rendue possible par le christianisme traditionnel ou la simple existence du parti conservateur. « La haine républicaine tue ». Et l'électorat anti-institutionnel qui se rassemble derrière Donald Trump se transforme en racistes, xénophobes, homophobes et antisémites.

« Bigot-baiting ». Cela ne va pas disparaître de si tôt, peu importe ce que nous disons ou faisons. Les dénonciations toujours plus pointues dirigées vers nous s’enracinent dans le besoin de la rhétorique du parti démocrate. Ses dirigeants savent que son pouvoir, comme le pouvoir de George Wallace et d'autres à une époque antérieure, dépend d'une atmosphère de la peur, en l'occurrence, la peur de la discrimination, de l'exclusion et de l'oppression, la peur que Bull Connor (fervent défenseur des politiques ségrégationnistes, devenu un symbole raciste, ndt). Ce besoin explique pourquoi les idéologies multiculturelles posent l'oppression comme principe de base de la culture occidentale. La menace doit être infinie et perpétuelle.

L’actuelle croisade pour le privilège des toilettes transsexuelles dans les lycées, comme une bonne partie de l'ordre du jour de l’agenda progressiste au cours des dernières années, ne porte pas sur les droits civils. Elle porte sur le symbolisme de l'oppression et le fait de trouver les « ennemis » dont les riches libéraux, blancs pour la plupart, ont besoin pour maintenir leur pouvoir politique.

 

Traduction : Blandine Paponaud 
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