Pour les médias et le monde politique français, il suffit de quelques séances de rééducation civique ou de soins psychiatriques pour que les citoyens tombés dans la radicalisation reviennent aux Lumières du contrat social. Mais depuis la Suisse, pays du bon sens, l'islamologue Olivier Roy semble nous interpeller : « Ce n'est pas une pathologie mais un choix délibéré. Les gens qui ont attaqué le Bataclan par exemple sont des militants, des durs qui ont choisi d'être durs. Je ne vois pas comment on pourrait les déradicaliser ».
Pour Olivier Roys, islamisation et radicalisme sont deux réalités bien distinctes : « Les terroristes sont des convertis. Ils ne sont pas des gens qui ont baignés dans une culture islamistes. Ils se convertissent et partent très vite faire le djihad. On voit aujourd'hui beaucoup de jeunes femmes qui rejoignent le djihad alors qu'elles n'ont pas du tout de passé religieux. La plupart des terroristes ont un passé de petits délinquants, de fumeurs de haschich, des gens qui fréquentaient les bars, qui n'avaient pas de pratique religieuse. Ce sont des jeunes en rupture (…). On peut donc dire que c'est gens là sont devenus radicaux et fondamentalistes en même temps. Ils ont inscrit leur radicalité, leur rupture, dans un grand récit, qui est le récit de Daesh, donc la dimension islamique est importante, bien entendu. Mais d'autres radicaux ou d'autres nihiliste font autre chose que du terrorisme où du Djihad ».
Le politologue distingue également radicalisme et salafisme tout en pointant du doigt le point commun : la rupture avec le monde occidental : « Les jeunes radicaux ne sont pas d'abord des salafistes qui vont à la mosquée, mais cela ne veut pas dire que le salafisme ne pose pas de problème. Car, cela reste une religiosité de rupture. Il y a un refus d'intégration, de s'adapter à la culture occidentale, donc il n'y a pas de possibilité de dialogue ».
Il souligne enfin la caractéristique de ce phénomène de rupture fondamentaliste qui est sa dimension nihiliste révélée par le rapport à la mort : « Ils savent qu'ils vont mourir. Ceux qui ne meurent pas, comme Abdeslam, s'enferment dans le silence. Ils meurent même si ce n'est pas utile. Ils pourraient très bien poser une bombe ou une voiture piégée et s'enfuir comme les terroristes des années 70 et 80. Non, eux ils meurent. La dimension de la mort est fondamentale. » « Si vous voulez faire la Une des journaux, rejoindre l'histoire, vous choisissez Daesh, sinon, si vous tuez votre voisin, c'est un fait divers. » Ainsi Daesh offre une caution à ce nihilisme de rupture en permettant à ces jeunes, par la mort, de devenir des héros de l'islam sans avoir à assumer toutes les contraintes inhérentes à cette religion.
Déradicaliser ?
Pour autant, « ce ne sont pas des drogués ou des excités, ils font ce choix délibérément ».
C'est pour l'intervenant la raison principale de l'inutilité des mesures de déradicalisation : « Le processus de déradicalisation peut peut-être marcher pour des très jeunes de 14-15 ans, qui sont fraichement convertis. Mais les autres sont des gens qui ont choisi délibérément la radicalisation, le djihad, le terrorisme. Ce n'est pas une pathologie mais un choix délibéré. Qu'il y ait des gens avec une psychologie fragile qui soient fascinés par Daesh, c'est évident. Mais avec ceux qui ont attaqué le Bataclan, on a à faire à des militants, à des durs, qui choisissent délibérément d'être durs. Je ne vois pas comment on pourrait les déradicaliser. On n'est pas chez les Alcooliques Anonymes. Je n'imagine pas ce jeune venir demander à son médecin : "j'ai besoin d'une cure de déradicalisation, car chaque fois que je passe devant un café avec une kalachnikov, je tire, docteur, aidez-moi…" ça ne marche pas comme ça. Je ne crois pas aux soins médicaux pour les radicaux ».
La stigmatisation du religieux
Pour Olivier Roy, il y a en France un climat idéologique qui ne simplifie pas le problème : « le public et les autorités ont tendance à rapporter toutes les formes d'incivilités des jeunes maghrébins à du religieux : "s'ils lancent des pierres, c'est qu'ils lapident forcément" – alors que la plupart du temps il n'y a pas de lien ». Les jeunes sont donc enfermés dans ce regard qui leur ouvre les portes de l'islamisation.
Plus encore, pour lui, puisque la laïcité se construit en opposition à un ennemi, « elle ne peut pas être une idéologie fondatrice de la société ». Autrement dit, le projet social fondé sur une réaction ne peut être en lui même convaincant. Ensuite il rappelle ce principe : « en chassant le religieux, en l'expulsant par la fenêtre, il va revenir sous une autre forme et de façon violente. Diaboliser le religieux, c'est la pire chose à faire ».
Source : Entretien sur RTS du jeudi 13 octobre 2016
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Il semble donc que le Vide et l'Absence qui caractérise la société moderne s'allient pour faire la guerre à la Mort et au Rien du nihilisme religieux des islamistes. Or si l'on conçoit le mal comme étant l'absence d'un bien dans un être apte à l'avoir, on saisit par là le caractère tragique de la situation : il n'est pas de réponse qu'on puisse attendre de ce vide à deux facettes. Mais il y a cependant une lueur : « si un royaume est divisé contre lui-même, ce royaume ne peut subsister ». En effet, la division intrinsèque au mal a son pendant : la force d'attraction et d'unification du bien, et la capacité de l'homme, soutenu par la grâce, à y adhérer.
Le mérite de l'intervention d'Olivier Roy, outre de nous rappeler qu'il ne suffit pas de brandir le mot « déradicalisation » pour résoudre ce problème épineux, est donc de nous provoquer à reconnaître que ces jeunes ont exercé leur liberté en s'engageant sur de telles voies. Quel que soit leur degré d'erreur ou d'ignorance, on ne peut prendre le fruit d'un choix délibéré pour une pathologie sans nier par là même la liberté sur laquelle prétend se fonder notre monde occidental en détresse. La liberté qui soit dit en passant, est tout autre chose qu'un talisman permettant aux individus de laisser libre court à leur égoïsme. Regarder cette réalité en face, c'est prendre l'homme au sérieux. C'est aussi inviter chacun à aller au bout des exigences de cette liberté.
« Il n'y a encore personne, le monde est un musée de cire », aurait dit Maurice Zundel. Que nous manque-t-il donc ? Quelqu'un. Un visage. Une présence qui puisse nous rappeler combien nous sommes fait pour le bien, combien nous le désirons, et qui donne le goût de nous donner sans mesure pour la seule joie de réaliser ce pour quoi nous sommes faits.