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Ukraine : rencontre avec le père Alexandre, orthodoxe

A Kherson, ville située à l'embouchure du Dnipro avec la Mer noire, près de la Crimée, le Père Alexandre Chorney, jeune prêtre orthodoxe, s'occupe d'une petite paroisse. A l'occasion d'une session d'iconographie animée par Aude Guillet et Marichka Ivanchenko, ancienne volontaire de Points-Coeur en Grèce, il évoque sa vocation, son regard sur l'orthodoxie et sa rencontre avec Points-Cœur.

En ce jour de la fête des saints Cyrille et Méthode les mots du Père Alexandre tombent à pic : "l’amitié c’est la communion qui nous unit".

Qu’est-ce qu’un prêtre orthodoxe du XXIème siècle ?

Le bon prêtre c’est celui qui n’empêche pas le Christ de vivre et d’agir dans les personnes. Être un prêtre du XXI siècle ou des premiers siècles, c’est la même chose. 

En Ukraine, nous pensons que le chrétien c’est celui qui brûle 1/2 kg de cierge par jour. Mais je constate souvent chez les autres comme chez moi-même que lorsque je suis en dehors de l’église je suis une autre personne. Etre un prêtre, c’est être chrétien. Un chrétien c’est aussi un prêtre puisqu’il a reçu ce don par son  baptême.

Pour moi la question importante est de savoir si le fait d’être chrétien peut influencer ma vie. Si je travaille dans une entreprise, ou si je fais telle ou telle chose est-ce que je le fais avec cet amour qui annonce le Christ ?

Pouvez-vous nous partager le chemin de votre vocation ?

J’espère que c’est un choix de Dieu ! Je viens d’une famille de prêtres, puisque mon père est prêtre. Pendant une grande période de ma vie, les choses de l’église étaient incompréhensibles pour moi. Je ne comprenais pas et je ressentais comme quelque chose de l’enfer. Et lorsque j’allais à l’église, j’étais debout, je voyais que le temps passait mais ne donnait pas de fruits : je ne comprenais pas ce qui se passait, ce qui se chantait, ce qui se disait.

Aller à l’école du dimanche (catéchisme) c’était comme la souffrance de l’enfer. Mais avec le temps, j’ai compris que l’enfer c’est l’influence de Dieu sous laquelle une personne expérimente soit la chaleur de son amour soit la purification de son feu. A cette époque, j’expérimentais la purification de son feu. Puis vers 15-16 ans, comme tous les adolescents, j’ai vécu cette période difficile avec la famille, les amours, les questionnements etc. Mais j’ai aussi commencé à prier en promenant mon chien. Je priais 560 fois le Je vous salue Marie et les prières prescrites que je connaissais. Mais à un moment je me suis rendu compte que quelque chose n’allait pas, car je ne recevais pas la joie, alors que prier Dieu, c’est entrer dans la joie. Je pensais que cette répétition dans la prière me conduirait dans la joie de Dieu mais ce n’était pas le cas. Ensuite j’ai lu le livre de Séraphin de Sarov L’Entretien avec Motovilov. Séraphin de Sarov m’a beaucoup aidé lorsqu’il dit que la prière doit être courte mais intense, brûlante. Alors j’ai laissé les prières des livres et j’ai commencé à prier trois prières : O Roi céleste consolateur, le Notre Père et Mère Dieu réjouis-toi. Je les priais très lentement, très attentivement.

J’ai alors commencé à comprendre que je me dirigeais petit à petit vers le sacerdoce. A cause de la présence de mon père – qui est un très bon prêtre, (il a construit une des plus grandes églises de Kerson avec les seuls dons des fidèles, et il est aussi aumônier de prison)-, j’ai compris qu’il serait heureux si son propre fils prolongeait son œuvre. Et d’années en années, j’ai mieux compris cela : que l’œuvre de mon père se continue, que ce n’était pas l’œuvre de mon père mais celle de Dieu. Et alors j’ai pris cette responsabilité. Je suis donc rentré au séminaire avec le parcours classique : la première année tu crois en tout, la deuxième en rien et la 3ème moitié-moitié. Pour la quatrième année, je n’ai pas pu voir ce qui devait arriver car grâce à Dieu, j’ai étudié comme étudiant externe. Puis je me suis marié et je me suis dit que j’allais vivre comme un simple paroissien et qu’en son temps viendrait le sacerdoce. J’ai été ordonné diacre puis dès le lendemain prêtre (j’ai donc servi comme diacre une seule nuit). J’ai travaillé au secrétariat du Patriarcat, mais c’était difficile : l’église est un hôpital où il y a peu de personnes en bonne santé…

Si je suis chrétien comment changer la vie ? Qu’est-ce que cela signifie être avec ses amis, de parler avec eux selon l’évangile ? Car il s’agit d’incarner la vie chrétienne. Mais c’était difficile car tout le monde me disait : « Fais comme tout le monde ». Je ne comprenais pas : où est la liberté alors ? J’ai quitté ce travail de secrétariat, mais les choses ont continué à être difficiles car on m’a confié une toute petite paroisse. Mais mon père m’a aidé à comprendre et gérer les questions de paroisse, et m’a envoyé des chantres pour la Liturgie.  

Puis je me suis apaisé, j’ai accepté les choses comme elles sont. Le Seigneur m’a fait voir et comprendre de l’intérieur toutes les choses sales qu’il y a dans l’Église. Je ne veux offenser personne mais il n’y a rien de nouveau et c’est présent partout dans toutes les églises. Car le diable veut atteindre toujours le cœur, le centre des choses, l’essentiel de l’expérience.

Et comment est la vie dans une petite paroisse ?

J’ai prié et j’ai demandé à Dieu : « Bon maintenant qu’est-ce que tu veux que je fasse ? » J’ai alors retrouvé un ami qui est animateur-clown et qui m’a proposé d’animer des jeux pour les enfants pour les grandes fêtes liturgiques. En général, je n’aime pas ces fêtes organisées soi-disant pour les enfants, qui sont en fait des fêtes préparées pour les adultes. Je voulais simplement proposer un espace où les enfants soient eux-mêmes et puissent jouer et être heureux. Cet ami faisait le clown et moi je prenais un petit temps aussi pour parler de la fête liturgique du jour.

Une situation classique : c’est la maman qui vient voir le Batouchka (sévère et barbu !) pour lui dire son inquiétude face à son fils qui passe ses journées devant son ordinateur. La réponse classique du prête orthodoxe barbu c’est : « Allons prier » et de mettre en coup d’encensoir… Mais le problème ne se résout pas.

Nous avons ouvert un petit club de jeux de société pour se reposer, rire et jouer entre nous avec d’autres prêtres et des amis. Et lorsqu’une maman est venue se plaindre de son fils qui passe son temps à des jeux d’ordinateur je lui ai dit : « Magnifique ! Qu’il vienne jouer avec nous, c’est la même chose sauf que ce sont des jeux réels !  Et en plus avec une belle compagnie. »

C’est ainsi que je vois le service d’un prêtre, parce que en général cela n’existe pas, cette gratuité. Malheureusement beaucoup comprennent le service du prêtre comme celui qui fait l’office à l’église, mais pas comme le service du prochain, comme l’a dit le Christ : « Tout ce que vous faites à votre prochain c’est à moi que vous le faites. »

Ce matin lors de la Liturgie, vous avez parlé du lien entre la communion et la nécessité de devenir amis de Dieu. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur ce lien entre la communion et l’amitié ?

J’ai toujours été très marqué par la parole du Christ lors de la dernière Cène lorsqu’il dit à ses disciples : « Je ne vous appelle plus  serviteurs mais amis. » L’amitié avec le Christ c’est la plus belle chose qui puisse être vécue pour nous comme chrétiens mais aussi pour chaque personne qui s’ouvre à la joie de l’évangile. Pour moi, l’amitié avec le Christ c’est la simplicité. Lorsqu’Il annonçait la bonne nouvelle, Il faisait beaucoup de choses, mais Il ne faisait pas la « tournée » des miracles, Il ne guérissait pas tout le monde mais ceux qui venaient à lui et certains vers qui Il allait parfois. Il aurait pu guérir en un instant tout le monde mais il ne l’a pas fait car c’est important de faire le chemin jusqu’à lui et désirer changer, se repentir. Et c’est ainsi que commence le miracle. Pour moi ce chemin vers le Christ conduit à l’amitié : tu vas vers Jésus et avec lui.

Qu’est-ce que c’est pour vous l’amitié ?

L’ami c’est celui qui se réjouit de ton aide et qui ne s’offense pas quand tu ne peux répondre à sa demande. Et donc lorsque l’on parle de l’amitié avec Dieu, et qu’il nous dit je vous appelle mes amis, j’espère qu’il se passe la même chose : c’est le partage de quelque chose de commun. La communion c’est une même table, une même coupe, un même pain qui se partage et nous unit tous. L’amitié c’est la communion qui nous unit.

Il s’agit de considérer le Christ comme son ami et non comme un juge : je ne veux pas vivre  dans une église où les gens vivent dans la peur de Dieu, dans la crainte, oui, mais pas dans pas la peur. Le Christ est amour mais les gens vivent avec lui avec tremblement. La peur de Dieu c’est lorsque je vis avec le sentiment que je puisse faire quelque chose qui l’éloigne de moi. Mais en réalité Dieu ne s’éloigne jamais de nous, c’est nous qui nous éloignons de lui en disant  : "je dois faire quelque chose sans toi et ensuite je reviens". C’est pourquoi l’amitié c’est cette communion, ce festin commun symbolique, cette unité spirituelle mystérieuse.

Que pouvez-vous nous dire de votre rencontre avec Points-Cœur ?

Ce qui me touche à Points-Cœur c’est de voir des personnes qui vivent du vœu de chasteté. Le problème que nous rencontrons dans l’église orthodoxe c’est que nos monastères sont d’un seul type. Et la grande partie de son potentiel n’est pas déployée. Le monastère n’est pas seulement un lieu où tu peux faire une excursion pour tes dévotions mais un lieu où tu peux faire une expérience et apprendre quelque chose, écrire une icône, lire la Parole et rencontrer une personne qui t’aide à interpréter cette parole. Il me semble qu’un monastère doit être comme un centre de culture. Le monastère attire car il est séparé « du monde ». Points-Cœur est ce même principe du monastère, où vivent des personnes qui vivent de la chasteté mais au milieu du monde sans se différencier visuellement des autres personnes. Avec leur propre vie, simplement, ils annoncent l’évangile : c’est comme la prière dans l’action. Et cela me plaît beaucoup cette idée. Et j’espère qu’avec le temps l’église orthodoxe s’ouvrira à ce mode de vie, car cela nous manque.

Pourquoi nous avez-vous invités à animer cette session d’iconographie ?

Le repentir c’est la conversion si on le traduit dans le langage commun. Mais pour beaucoup d’orthodoxes c’est mal compris, c’est venir à l’église, se reconnaître pêcheur et repartir ensuite. Mais le repentir doit changer l’objectif de notre vie. Alors que pour beaucoup c’est seulement une autodestruction. Chez nous, dans nos mentalités beaucoup aiment souffrir, se plaindre, s’autoflageller, dire que tout va mal et dans l’église on peut multiplier les plaintes par deux : tout va mal, le monde est un lieu de péché etc.

Au point de départ, j’avais le désir d’apprendre à peindre moi-même une icône car c’est une œuvre digne et je me suis dit que d’autres pourraient être intéressés par cette proposition. Mon intention était de proposer quelque chose qui construise, qu’à travers l’icône, la prière ne soit pas seulement une prière par la parole mais aussi une prière-action, pas seulement dans l’écorce de la lettre mais dans la saveur de l’expérience. Lorsque j’ai commencé à peindre et que le visage se formait et venait à moi alors est née une certaine estime de moi-même car vous avez le talent de révéler les dons. Et cette qualité chrétienne d’ouvrir les dons peut se manifester dans tous les aspects de notre vie, de notre travail, de notre famille et donner ainsi des fruits réels. Et toutes les personnes qui ont participé à cette session d’iconographie ont donné un fruit réel de leur foi : elles sont venues pour peindre ce en quoi elles croient. Et aujourd’hui au cours de la Liturgie, j’ai vu dans les yeux de beaucoup des participants une joie jusqu’aux larmes et c’était magnifique, car quelque chose a changé dans leur vie, ce vrai repentir. On voit l’arbre à ses fruits. Et votre venue c’était une rencontre avec le Christ.

Merci Père Alexandre.

Et voici quelques témoignages sur la session d’iconographie

Cliquer ici pour visionner un reportage sur cette session

Tatiana,  sportive (championne de lancer de poids !). Je n’oublierai pas ces 6 jours passés ensemble et merci à vous pour tout ce que j’ai découvert à travers cette expérience de peinture d’icône. Après cette expérience, je vois ce que cela change dans mon rapport avec les enfants que j’entraîne : je suis plus attentive, bonne avec eux. Cet apprentissage de peindre attentivement les détails de chaque partie de l’icône, me permet de regarder de même les choses que je ne voyais pas dans les personnes. Merci pour cela.

Anatole, menuisier.  C’était une expérience où j’ai eu peur parfois, mais une peur qui se surpasse. Mais tant que l’on n’essaye pas, on ne peut savoir de quoi on est capable, mais je crois que le résultat de ma peinture est bon. Pendant cette semaine, j’ai reçu beaucoup de paix  Quand venait le moment de peindre après avoir terminé tout ce que j’avais à faire dans mon travail, c’était comme si tous les soucis du monde s’en allaient et je ressentais une profonde paix intérieure. Et lorsque je revenais à la maison, c’était l’exultation et je racontais et partageais tout à ma femme.

Nadja (11 ans). Dernière étape : rassembler tous les points, prolonger tous les contours, accrocher toutes les étoiles, s’arrêter de pleurer, corriger les erreurs et offrir au monde la paix et la bonté. 

Propos recueillis et traduits du russe par Aude Guillet avec l'aide de Roki Drodz.
Toutes les photos proviennent de la page facebook du père Alexandre
 
 
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