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Témoignage sur le cancer

« Ça a commencé par des gargouillements disgracieux, un malaise insidieux… ». La maladie du cancer est subrepticement devenue l’invité non désiré de notre vie. Encore abstraite et marginale il y a quelques décennies, elle touche désormais  beaucoup de monde et pose de nombreuses questions sur ses causes, sur le fonctionnement de l’univers médical et sur le sens de la vie. Témoignage d’une personne qui essaie dans un petit opuscule d’expliquer sa maladie à ceux qu’elle aime.

Illustration du livre. Tous droits réservés. 

Premiers contacts avec l’univers hospitalier

Je tentais d’oublier mes douleurs en  m’absorbant dans l’étude de mon nouvel environnement. On dit que les hôpitaux sont blancs, mais ce n’est pas tout à fait vrai. (…) Les tenues, aussi, étaient colorées : c’était une valse de pyjamas en tissu bleu clair, vert ou blanc, ou en papier bleu foncé. Ceux-là devaient être pour les intérimaires : pyjamas jetables pour personnel jetable…

Je fus prise en charge par le médecin sénior de permanence, qui me fit une injection de morphine : quel soulagement ! Je quittai mon corps, la douleur s’éloigna. Je me sentis soudain si bien que, pour un peu, j’en serais restée là. Je commençais à me reprocher d’avoir attendu si longtemps alors qu’il suffisait d’une toute petite piqûre pour tout résoudre. Les capacités de la médecine moderne ne lassaient pas de m’émerveiller.

Après la première opération

Les heures, puis les jours, s’écoulèrent dans une brume peuplée d’innombrables visages émergeant de pyjamas et de blouses blanches. On me parlait, on me lavait, on me nourrissait. Les paroles et les gestes étaient délicats, professionnels et impersonnels. J’étais impressionnée par la machine hospitalière. Je me laissais faire mais je me sentais inquiète.

Le chirurgien qui m’avait opéré venait lui aussi chaque jour. Il était toujours calme et souriant. Il me parlait gentiment, se montrait patient et compatissant. Certains jours, je l’imaginai avec deux grande ailes blanches dans le dos : c’était mon ange gardien, il m’avait sauvé la vie, avait supprimé la douleur. (…) Cet homme était un démon, capable de soumettre la Nature, selon son bon-vouloir : il m’avait maintenue du côté des vivants ! (…) Eperdue de reconnaissance tout autant que bouffie de ressentiment à son égard, je réalisai au fil des jours que je me sentais dépendante de lui. J’en vins à souffrir de son absence le week-end. Je guettai ses visites.

Le monde extérieur

Je préférai me montrer le moins possible et limiter mes visites. Je communiquai à distance : mon iphone devient mon seul lien avec le monde extérieur. J’échangeai par SMS et par mail avec mes amis, et surtout avec mon chef et mon adjoint. (…) Cela me procurait un sentiment d’utilité. Je voulais que mes dossiers souffrent le moins possible de mon absence, que je pensais être d’assez courte durée.

L’annonce

Ben non, voyons ! Pourquoi m’inquiéterais-je ? Nous étions tranquilles, dans ce bureau blanc, à discuter de la pluie et du beau temps et il m’annonçait là, comme si de rien n’était, que j’étais atteinte d’un cancer. Pas un rhume ou une gastro, non, le « Mal du siècle », la maladie la plus en vogue en ce moment, avec le diabète juste derrière. Mais quand on entend « diabète », on pense insuline, quotidien compliqué, alors que « cancer », ça veut dire mort ! Mort ! Mort ! (…)

Deux grosses larmes s’échappèrent de mes yeux. Je reniflai. Le médecin me tendit un mouchoir. Il en avait une grosse boîte juste sous la main. Ou il faisait souvent pleurer ses patients ou il avait prévu ma réaction. Ange ou démon ? Il démontrait encore une fois l’étendue de son pouvoir : en quelques mots il avait fait basculer mon existence. Le souci de donner un sens à ma vie, qui me tracassait de plus en plus au fil des ans, venait d’être vulgairement balayé par l’aveuglante angoisse de mourir.

La santé, avant tout

L’affection dont m’entourait largement ma famille ne m’empêcha pas de me couper d’elle, dans cette épreuve qui mettait en cause mon intégrité physique d’une manière qu’aucun ne pouvait ressentir. Mon désarroi était tel qu’il n’y avait pas de place pour le leur. Cet égoïsme, légitime quand j’y repense, me submergeait tout en me culpabilisant. Mon organisme me sommait de ne m’occuper que de moi, il n’y avait pas d’échappatoire cette fois !

Le froid envahit alors mon cœur. La peur m’isola de la chaleur des vivants dans un hiver que je craignais être sans printemps.

Vivre, malgré tout

C’est ainsi que débuta une nouvelle phase de ma vie, celle de la maladie au long cours, où traitements et convalescences alterneraient dans la perspective d’une issue favorable, où il faudrait apprendre à choyer chaque instant comme s’il était le dernier. Et pourtant vivre aussi normalement que possible, malgré ces nouvelles contraintes, pour moi et pour les autres. Retrouver confiance et refaire des projets en acceptant cette fois de ne pas pouvoir tout contrôler. Pas facile…

La vie dans l’hôpital

Pour atténuer un peu la brutalité des traitements, l’hôpital proposait, via une fondation caritative, des prestations paramédicales voire « alternatives » gratuites : acupuncture, sophrologie, cours de sports spécifiquement adaptés aux malades, art-thérapie, groupes de paroles… De cette manière, les pouvoirs publics, bien que peu convaincus de l’efficacité réelle de ces traitements complémentaires, tentaient de maintenir les patients sous sa surveillance et les protéger ainsi des sectes, charlatans et autres arnaqueurs en tout genre. (…) Je découvris alors le dévouement désintéressé, la générosité inattendue, la gentillesse et la délicatesse inouïes de nombres de proches comme de parfaits inconnus. Le mot « cancer » devint un sésame pour nombre d’œuvres caritatives et marques de compassion. La société se mobilisait pour venir en aide aux personnes dans mon cas. Je trouvais touchant, presque émouvant, que tant de solidarité, de soutien, me soit témoigné.

Nouvelle opération

J’ai déjà vu cette personne. C’est une belle jeune femme. Mais qui est-ce ? « Tout s’est bien passé, madame Frémond. On va vous emmener en Réa. Vous allez vous réveiller tranquillement, puis la chirurgienne viendra vous parler. Prenez votre temps. »

Ha oui, ça me revient maintenant, c’est la jolie anesthésiste. Elle est si jeune, elle semble si détendue qu’on ne croirait pas qu’elle est médecin, qu’elle tient chaque jour la vie des autres entre ses mains gantées de caoutchouc. Experte en substances illicites sous des airs angéliques, elle ferait certainement une copine formidable… (…)

La chirurgienne était émue quand je l’ai remerciée. Il faut dire que j’étais tellement surprise d’être encore en vie. Je n’avais pas réalisé jusque là combien j’étais convaincue que cette intervention me tuerait.

Elle était déçue car l’opération a été plus compliquée que prévu, et qu’elle m’a moins sauvé qu’elle ne l’aurait voulu. Mais pour moi, c’est déjà énorme. J’ai affreusement mal, je peux à peine bouger, mais je suis vivante ! Ce n’est peut-être qu’un répit de quelques mois que cette femme m’a donné mais c’est déjà tellement plus qu’il me semblait pouvoir l’espérer !

Illustration du livre. Tous droits réservés. 
 

(…) Mon Dieu, va-t-il donc falloir tout réapprendre ? Cela s’annonce tellement long et laborieux. Soudain, un profond sentiment de colère m’envahit. Que je suis mal ! Que ma chair souffre ! Comme je suis tombée bas et suis devenue une pauvre chose pitoyable. Comment ai-je pu en arriver à une telle déchéance ? Comment ai-je pu laisser la maladie dégrader mon corps à ce point ?

Non, définitivement non ! C’est décidé cette fois, c’est fini et bien fini. Une énergie nouvelle monte en moi qui me fait bouillonner, me donne envie de mordre et de hurler ma rage contre cette maladie. Je mettrai dorénavant toutes mes forces à la combattre et elle ne pourra pas revenir.

Postface

Après des années d’introspection stérile, Noémie (l’auteur parle d’elle-même à la troisième personne, ndr) avait enfin compris que l’amour, celui qu’on reçoit comme celui qu’on donne, est l’unique et universelle raison de vivre. Le sens caché qu’elle avait cherché tout ce temps pour motiver son existence, qu’elle avait désespéré de trouver dans la reconnaissance d’autrui, sociale ou affective, la découverte et la compréhension du monde, ce je-ne-sais-quoi qui devait enfin donner substance à ses actes était simplement là, en elle depuis toujours. Elle avait ainsi mesuré la chance qu’elle avait déjà d’aimer et d’être aimée.

Extraits choisis par Clément Imbert 

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