A la jonction des arts du cirque et de la chorégraphie, le travail de Yoann Bourgeois, à la tête du centre chorégraphique de Grenoble depuis janvier 2016, provoque les sentiments les plus profonds du cœur de l’homme.
D’abord jongleur, voltigeur et acrobate, Yoann Bourgeois est fasciné par ce qu’il appelle le point de suspension, cet instant où la balle lancée en l’air atteint l’équilibre et l’immobilité loin du bras. Le point de suspension est également atteint par l’acrobate qui touche le point culminant d’un saut. Cet instant où tout est suspendu est une ouverture sur l’infini, l’éternité, l’inconnu. Il est le moment opportun pour retomber de même ou pour surprendre par une rotation. Il est aussi le moment où l’humanité, comme effacée dans le bond retrouve ses prérogatives. Il ouvre la possibilité d’un regard, d’un sourire. Il est le temps du choix, de la liberté, de la présence. Par cela, il est donc le cœur du drame où la proposition de la grâce, de la communion offerte doit être accueillie ou rejetée.
Dans sa présentation « Fugue » sur une musique de Philip Glass, l’acrobate joue avec ce point de suspension, seule source d’équilibre et de repos par l’annulation de son poids. Par ce jeu des forces, le seul moyen de s’élever et d’atteindre le sommet de l’escalier de bois est de se jeter dans l’abîme car hors du vide et de l’absurde ce même poids le paralyse, même la position assise provoque la chute et le tourment. Le spectateur oublie l’espace d’un instant la dextérité de l’acrobate pourtant exceptionnelle (il n’y a qu’à voir l’intensité et la précision du travail lors des entraînements) pour retrouver le regard poétique et émerveillé de l’enfant entièrement tendu vers le dénouement : « Y parviendra-t-il enfin ? ».
« Dans un monde qui se virtualise, qui se médiatise, où il y a toujours plus d’écrans entre les hommes, l’art vivant propose cet émerveillement archaïque, une émotion toute simple, de redécouvrir ce qu’est une présence humaine »
Son œuvre « celui qui tombe » consiste en une scénographie dramatique où une poignée d’hommes et de femmes placés sur un plateau-tournant incliné, voit la tranquillité de leur équilibre menacée par la force centrifuge et la gravité. Ces forces physiques deviennent vite existentielles et le spectateur vit alors dans une attente inquiète du dénouement tant est manifeste l’analogie de la situation absurde de l’humanité contemporaine projetée dans une course effrénée qui ne prend fin que par l’inéluctable chute ; « this is my way … ». Cependant, la scène qui nous émeut ouvre le spectateur sur un équilibre possible bien que fragile et incommode qui consiste en la recherche d’un appui que ne peut offrir que l’autre, au plus proche du centre du plateau, au cœur du drame de notre humanité.
« La question fondamentale que je me pose est : comment peut-on continuer à tenir debout ? C’est une problématique à la fois physique et existentielle. Elle est d’autant plus vive et sensible que l’on sait très bien qu’on ne tiendra pas toujours. On sent bien que quelque chose en nous ne s’arrête pas de tomber. Pourtant, je crois que par moments une suspension est possible. »
Merci beaucoup Vincent de nous faire découvrir ce nouveau visage, Yoann Bourgeois : c’est vraiment l’homme « qui tombe et qui cherche à se relever » mais aussi l’homme debout, qui dans sa chute révèle cet immense désir d’élévation. Les chorégraphies sont de toute beauté et le point d’équilibre semble si à portée de notre cœur…