Home > Cinéma, Théâtre > Blade Runner 2049, un « Pinocchio » pour la fin des temps

Blade Runner 2049, un « Pinocchio » pour la fin des temps

Blade Runner 2049, du cinéaste canadien Denis Villeneuve, est un compte moderne qui, dans des décors époustouflants qui semblent tout droit sortis d’un rêve aux accents apocalyptiques, soulève une question fondamentale : qu’est-ce qu’être humain ?

Le film sorti en France le 4 octobre, s’inscrit dans la continuité de Blade Runner (1982), film culte de Ridley Scott mêlant avec succès les genres du film noir et de la science fiction, lui-même adapté d’une nouvelle du pionnier de la SF Philip K. Dick, intitulée « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? ». Qu’un robot puisse rêver, quel que soit le contenu de ce rêve, est évidemment paradoxal, c’est pourtant bien de cela qu’il s’agit dans ce Pinocchio cru 2017, sombre et apocalyptique : d’un robot qui rêve de devenir humain.

L’histoire se déroule à Los Angeles, en l’an 2049 d’un univers qui aurait suivi un cours légèrement différent de celui que nous connaissons. ‘K’ (Ryan Gosling) est un ‘Blade runner’, un membre de cette force spéciale chargée d’éliminer les ‘replicants’, la première génération de robots humanoïdes, interdite après qu’il fût avéré qu’un défaut de programmation la rendait susceptible à la mutinerie. Rien de tel en revanche ne s’est jamais observé dans la seconde génération, programmée pour obéir aux humains, et dont K lui-même fait partie. Extérieurement, rien ne permet de les distinguer des humains, mais tout l’équilibre de la société repose néanmoins sur la frontière très nette séparant les humains de leurs copies fabriquées. Jusqu’à ce qu’un événement que nul n’avait anticipé vienne troubler cette frontière.

Au début du film, K est envoyé en reconnaissance dans une ferme où un replicant ancienne génération aurait trouvé refuge. Cette mission, en apparence routinière, prend un tour dramatique lorsque le Blade Runner découvre sur place, en plus du replicant dont il avait la signalisation, la tombe d’une seconde androïde, dont l’analyse révèle qu’elle est morte en donnant naissance à un enfant. C’est la découverte de ce « miracle » longtemps caché qui enclenche une quête effrénée où tous les acteurs en jeu se lancent à la recherche de l’enfant qui est la clef d’un tel mystère.

Le film aurait pu facilement mettre cette intrigue au coeur de l’action et devenir un énième avertissement sur les promesses et menaces que la technologie représente pour l’humanité. Mais il ne s’intéresse pas tant aux possibilités offertes par la technologie qu’à l’effet que produit le « miracle » supposé sur le principal protagoniste. Alors qu’il se lance lui-aussi, à la demande de ses supérieurs, à la recherche de l’enfant, une question prend forme en lui : et si c’était moi, cet enfant ? Cette question, qui bouleverse toute sa manière de vivre, le tourmente en même temps qu’elle éveille en lui un désir plus profond, un rêve d’être aimé.

La compagne holographique de K est une clé importante de lecture du film. En réponse à la solitude immense qui règne dans cet univers, où les villes sont aussi anonymes que les déserts qui les entourent, une compagnie a développé ces hologrammes à apparence humaine, une sorte de compagnie virtuelle. Reliés à un ordinateur qui lit l’activité du cerveau de leur propriétaire, ces hologrammes ne sont en réalité que la projection de désirs conscients ou inconscients. « Tout ce que voulez voir, tout ce que vous désirez entendre », dit un panneau publicitaire faisant la promotion de cette technologie. Par conséquent, toutes les conversations que K entretient avec sa compagne virtuelle sont en réalité des conversations qu’il a avec lui-même. Ainsi lorsqu’elle cherche à le convaincre que c’est lui, peut-être, cet enfant, qu’elle a « toujours su qu’il était spécial » et qu’il est arrivé dans le monde non parce qu’un ingénieur l’a programmé mais parce qu’une mère l’a aimé, et enfin lorsqu’elle lui donne un nom, « Joe ». En réalité ce sont les désirs et les rêves de K qui sont exprimés.

La question que soulève le film a, au fond, à peu de chose à voir avec la technologie et la science fiction : qu’est ce qu’être humain? Qu’est-ce qui nous définit, quelle frontière nous sépare du règne animal ou de l’ordinateur ? Le propre de l’être humain, répond le film, c’est d’être non pas fabriqué ou produit, mais engendré, c’est à dire d’être le fruit d’un amour personnel. K incarne finalement notre génération tourmentée, plus ou moins consciemment, par le sentiment d’être abandonnée, orpheline et sans mémoire, notre génération dont les pensées et les rêves ne sont bien souvent que le produit fabriqué d’une culture de consommation qui laisse peu de place à l’existence personnelle, au jugement et à la liberté. Une culture du pré-fabriqué. La quête de K devient, non pas tant une quête de soi, mais une quête de son origine, une quête du père dont il rêve et de la mère dont il voudrait se savoir aimé, car seul peut aimer celui qui est aimé, et celui qui a reçu la vie peut l’offrir à son tour.

Vous aimerez aussi
« Les huit montagnes », histoire d’une amitié
Christopher Nolan, Cinéaste du Paradoxe
Le fils d’un Roi
Le cas Jägerstätter vu par deux cinéastes

Répondre