Marie Noël est une contradiction : elle est la liberté-même face à Dieu et l’esclave de son trop grand dévouement envers sa famille, l’acceptation totale quant à sa destinée et la révolte contre la barbarie de la vie, la finesse d’une femme cultivée et la simplicité d’une enfant toute à ses rêveries, la réflexion d’un vieux sage et l’impulsivité d’un cœur assoiffé de voyages et d’aventures. Elle peut tout autant demander des comptes au Seigneur et à la fois s’en remettre totalement à Lui.
Ecrivain poétesse plusieurs fois récompensée, Marie Noël, de son vrai nom, Marie Rouget, est née le 16 Février 1883 à Auxerre (Bourgogne) dans une famille plutôt bourgeoise et pas vraiment tournée vers la religion. Elle ne se mariera jamais bien qu’elle aima un homme qui, lui, ne la regardait même pas, selon ses propres dires. Puis, elle perdit son petit frère assez brutalement et ne se remit jamais vraiment de sa peine. D’une nature sensible, elle est comme écartelée entre son amour de Dieu et la cruauté de la vie. Ses poèmes sont un compromis au silence de ses hurlements.
Petit bout de femme discrète, elle n’aspire qu’à se faire entendre tout en redoutant de déplaire à son entourage et de ne pas rentrer dans le moule de la société. « Je ne me suis pas assez aimée. Toute ma lutte a été de me tordre, de m’élimer, de m’atténuer, de m’user et raboter tous les jours pour faire passer – difficilement – mon chameau et ses bosses par le trou de l’aiguille bourgeoise, paroissiale ou familiale ». Ainsi, ce n’est pas elle qui eut l’idée d’exploiter pleinement et de diffuser son talent pour la poésie. C’est son parrain Raphaël Périé qui l’incita à sortir de l’ombre. Elle n’aurait jamais imaginé que ce qu’elle prenait pour un simple partage de ses sentiments secrets pourrait ressembler à un quelconque talent. Elle se sentait bien inutile et impuissante dans ce monde qui ne cessait de l’oppresser tant par ses obligations dues au milieu social dont elle vient que par fatalité de la mort d’un enfant ou le refus d’un homme à accepter son amour.
Cependant, elle touche du doigt chaque joie et chaque peine de l’être humain dans ses poèmes, consolant, accompagnant et encourageant chaque personne qui puisse la lire. Elle rejoint autant le monde athée que le monde chrétien. Elle a en effet refusé Dieu le temps de son adolescence avant de le retrouver par la suite, ce qui l’a laissée avec un esprit apte à se mettre dans la peau de la plus grande diversité. Elle en reste assez déchirée, devant constamment jongler entre les deux univers. « Quand Dieu a soufflé sur ma boue pour y faire prendre mon âme, Il a dû souffler trop fort. Je ne me suis jamais remise de ce souffle de Dieu. Je n’ai jamais cessé de trembler comme une chandelle vacillante entre deux mondes ».
Marie Noël rêve d’une vie extraordinaire et libre de toute attache, et c’est dans une vie des plus ordinaires qu’elle est devenue si spéciale. Elle se considérait comme un « animal des plus domestiques, bête de somme, chien attaché, serin en cage. Ou légume à faire la soupe. C’était la volonté de Dieu ». Mais ne savait-elle pas que les hommes font du chien leur meilleur compagnon, que les meilleures soupes peuvent réchauffer n’importe quel cœur et qu’un serin peut engendrer le rire si pur des enfants ? Cependant elle faisait confiance a Dieu et n’a pas fléchit même lorsqu’elle craignait l’Eglise, et plus précisément les gens d’Eglise qui lui semblaient bien trop durs face à la miséricorde du Seigneur. « Chez Mère Eglise, je n’ose guère être moi-même. Je me tais. J’ai peur d’elle dès que je pense – je redoute ses mains humaines qui sont dures et inflexibles – mais pour l’amour de Toi, Seigneur, je ferai tout ce qu’elle voudra […] Dis-lui qu’elle ne serre pas trop, sur ma poitrine, ses mains puissantes, dis-lui qu’elle me laisse respirer un peu ». Cependant, elle en a toujours suivi les commandements, se rendant compte elle-même que sans un berger, les brebis seraient bien toutes éparpillées.
Ainsi vécu Marie Noël, dans une contradiction constante mais cependant très harmonieuse. L’Eglise qu’elle redoutait tellement a, par ailleurs, reconnu sa vie dévouée au Seigneur et l’apport qu’elle a offert à la communauté chrétienne en particulier. Son procès en béatification a été ouvert le 23 Décembre 2017 à l’occasion des 50 ans de son décès. Monseigneur Hervé Giraud a présidé la messe célébrée à cette occasion en la cathédrale d’Auxerre. Ainsi, dans son humilité, elle sera remerciée pour cette touche d’espoir et de foi qu’elle aura apportée au monde.
Merci beaucoup Agnès pour ce magnifique article et de nous présenter la figure de cette femme si étonante et attachante ! Très belle réponse à sa sentance : "Ne savait-elle pas que les hommes font du chien leur meilleur compagnon, que les meilleures soupes peuvent réchauffer n’importe quel cœur et qu’un serin peut engendrer le rire si pur des enfants ?"