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Le Seigneur des Anneaux : Tolkien nous invite en Terre du Milieu

Pour fêter les 15 ans de l’adaptation de la grande trilogie au cinéma, le Grand Rex de Paris a décidé de réitérer la projection de l’intégrale du Seigneur des Anneaux le 7 décembre prochain [1]J.R.R. Tolkien et quelques-uns de ses amis avaient coutume de se retrouver régulièrement pour lire ensemble ce qu’ils avaient écrit, et se corriger mutuellement. Le … Continue reading . Déjà proposée il y a quelques jours, l’expérience cinéphile se révèle un immense succès et offre une excellente occasion de plonger à nouveau dans le monde fantastique imaginé par Tolkien.

 

John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973)  Source

 

Bien sûr, il ne s’agit pas que de cinéma. Le 7ème art joue ici pleinement son rôle de serviteur du conte. Ce dernier, plus discret ne peut être accessible qu’au coin du feu, avec une bonne pipe, et enfoncé dans un bon fauteuil. La vraie raison du succès du Grand Rex tient au fait que le serviteur a bien fait son travail et que la voix de Tolkien se laisse percevoir derrière les effets spéciaux ou le chaos des batailles en plaine de Minas Tirith.

Les Anglais au pays des contes de fées : mythe et réalité.

God save the Queen ! Il faut reconnaître aux Anglais un talent particulier à inventer des histoires susceptibles de devenir de vraies références ensuite. Difficile par exemple d’oublier le Livre de la Jungle, écrit en 1894 par Rudyard Kipling. Moins connue (quoique…), la saga Captain Hornblowe [2]C. S. FORESTER, Capitaine Hornblower, t. 1, t. 2, Omnibus éd., 2005, 2256 pages. , écrite en 1937, par Cecil Scott Forester est immédiatement saluée par le Times et la presse britannique en général comme « un chef-d'œuvre ». Le plus fascinant dans ce succès c’est que pour les Anglo-Saxons, Horatio Hornblower, principal héros de cette saga réaliste, incarne dès lors la figure idéale du marin, passionnément attaché à son métier et possédant le « sens de la mer ». On raconte même que, lors de l'avancée de la flotte japonaise vers l'Océan Indien pendant la Deuxieme Guerre Mondiale, un amiral demanda à son état-major, en pointant la position de l'ennemi sur la carte : « Messieurs, je ne vous poserai qu'une seule question : que ferait Hornblower à notre place ? » … Pour entrer de plain-pied en Terre du Milieu, sans doute faut-il donc essayer d’être un peu anglais, et ne plus trop prêter attention aux parois qui séparent la légende de la réalité, because these are breathing walls … 

Comme par surprise, en nous accueillant dans son monde étrange, la Terre du Milieu éclaire notre propre vie et notre expérience d’une lumière nouvelle (la lumière d’Eärendil ?). C’est à la fois fascinant et réconfortant. En se dévoilant à nous, avec ses Ents, ses nains, ses elfes, ses hommes et ses hobbits, elle semble éclairer les coulisses de notre propre monde. Les rôles tenus là-bas par nos héros pourraient tout à fait être endossés ici-bas. Comme dans un théâtre dont la scène deviendrait peu à peu réelle et où les acteurs viendraient partager la vie des spectateurs. Les fils invisibles du destin qui tiennent la Terre du Milieu et relient les uns aux autres tous ses habitants, parviennent jusqu’à nous.

Les hobbits, les nains, les elfes et les hommes vivent d’amitié, comme nous ! De courage et de fidélité, comme nous ! Ils ont un destin, comme nous ! Comme nous, ils doivent découvrir l’ordre du monde et s’y soumettre. Comme nous, ils sont en quête du bonheur et de la paix véritable. Comme pour nous, ce bonheur et cette paix s’obtiennent au prix d’une véritable lutte où s’affrontent des forces visibles et des forces obscures, des hommes, des anges, et des créatures étranges…

Des héros dotés d’une mission

Dans la façon dont chacun des personnages reçoit une mission précise et dans l’accomplissement personnel qui survient à la mesure de la réalisation de cette mission, une lumière particulièrement vive est jetée sur notre propre vie. En effet, les protagonistes chez Tolkien sont comme en germe au début de l’histoire et se révèlent toujours plus eux-mêmes dans les événements qu’ils affrontent.

Ce n’est pas seulement une impression de lecteur qui ne connaît pas a priori chacun des héros, mais c’est un constat : les personnages de Tolkien deviennent pleinement eux-mêmes en accomplissant ce qui leur échoit comme mission et comme responsabilité dans l’histoire. La mission devient dès lors pour chacun d’eux (et pour chacun de nous) le lieu de l’accomplissement et l’aune qui permet de mesurer le devenir personnel.

Mission divine et échec chez Tolkien, la clé de la miséricorde

Né le 22 septembre de l’an 2968 du Troisième Âge, Frodon Sacquet est un des personnages principaux de l’aventure. Il reçoit l’Anneau de pouvoir bien malgré lui ; héritage de son oncle Bilbon Sacquet, qui l’avait lui-même reçu comme par hasard alors qu’il s’était échappé des mains de son détenteur.

À sa majorité (qui, chez les hobbits, est à 33 ans) Frodon devient donc le nouveau porteur de l’Anneau de pouvoir, que personne n’a encore reconnu comme tel. Le Mage et ami des hobbits, Gandalf, avertit alors Frodon de ne pas utiliser l’Anneau et de le garder secret, puis revient des années plus tard, ayant découvert sa véritable origine et réalisant l’immense danger qu’il représente. Décision est alors prise de discuter du sort de l’Anneau avec les principaux maîtres de la Terre du Milieu, et finalement d’aller le détruire. Devenu porteur de l’Anneau par le jeu des circonstances où il est difficile de ne pas reconnaître la Providence, Frodon se voit alors confier la mission de porter l’Anneau jusqu’à la montagne du Destin, en Mordor, là où l’Anneau de pouvoir a été forgé par Sauron, Maître des ténèbres, et là où il pourra donc être détruit.

Après bien des péripéties, Frodon accomplit sa mission malgré lui… En effet, au moment de pénétrer dans le gouffre de la montagne du Destin, le poids de l’Anneau, si lourd, la fatigue, les blessures subies, et surtout l’immense tentation du pouvoir à laquelle il avait su si bien résister jusqu’alors, conduisent Frodon à ne plus vouloir détruire l’Anneau. N’était dans les parages une étrange créature, elle-même totalement soumise à la fascination de l’Anneau, celui-ci continuerait d’exister et les ténèbres règneraient encore aujourd’hui sur la Terre du Milieu.

Un tel dénouement éclaire l’idée de mission chez Tolkien. Pour le grand philologue britannique, une mission, fût-elle divine, ne fait pas de son porteur un nouveau dieu tout puissant. La mission déploie la personne, élargit son cœur à la mesure de son obéissance et de sa générosité à y répondre, mais elle ne la rend pas moins humble devant l’immensité de la tâche à accomplir. Et la résolution de cette tâche, ultimement, ne peut venir que de Dieu seul. Cette limite réaliste qu’impose Tolkien à ses personnages explique l’échec du jeune hobbit.

« Frodon a effectivement “échoué” en tant que héros, tel que le conçoivent les gens simples : il n'a pas résisté jusqu'à la fin ; il a renoncé, lâché prise. […] Ils ont tendance à oublier cet élément étrange dans notre Monde, que nous appelons Pitié ou Miséricorde. […] Dans son exercice le plus noble, elle appartient à Dieu. Chez les juges finis au savoir imparfait, elle doit amener à recourir à deux échelles différentes de “moralité”. À nous-mêmes, nous devons confronter l'idéal absolu sans aucun compromis, car nous ne connaissons pas les limites de notre propre force naturelle (+ de la grâce) et si nous ne visons pas le plus haut, nous passerons certainement bien loin du maximum que nous pourrions réaliser. Aux autres, en tout cas sur qui nous savons suffisamment pour former un jugement, nous devons appliquer une échelle tempérée par la “miséricorde” : à savoir, puisque nous pouvons le faire avec bonne volonté sans les préjugés inévitables dans les jugements portés sur nous-mêmes, nous devons estimer les limites de la force d'autrui et les comparer à la force de circonstances particulières.

Je ne crois pas que l'échec de Frodon ait été un échec moral. Au dernier moment, la pression exercée par l'Anneau devait atteindre son paroxysme – impossible, aurais-je dû dire, pour quiconque de résister, encore moins après l'avoir longtemps possédé, après des mois de tourments croissants, et alors qu'il était épuisé et affamé. Frodon avait fait ce qu'il pouvait et s'était donné totalement (comme instrument de la Providence), et avait créé une situation dans laquelle l'objectif de sa quête pouvait être atteint. Son humilité (qu'il avait manifestée dès le début) et ses souffrances ont été récompensées avec justice par les plus grands honneurs ; et son exercice de la patience et de la miséricorde envers Gollum lui a valu la Miséricorde ; son échec a été corrigé » [3]J.R.R. TOLKIEN, Lettres, Christian Bourgois éditeur, Paris, 2005, 709 pages. .

Bienvenue en Terre du Milieu, terre d’espérance

Pour les simples lecteurs que nous sommes, personnes ordinaires et menant une vie bien ordinaire, l’invitation à entrer dans la Terre du Milieu, et à nous laisser entraîner dans l’aventure de Frodon et de ses amis, si nous l’entendons, est une vraie grâce. Cette lecture produit un fruit surprenant de bonté et d’espérance. Alors que nous suivons, haletant, le relief de l’immense fresque, notre cœur ne se fatigue pas, bien au contraire ! Pour nous-mêmes, mais aussi pour tous ceux qui nous entourent, nous devenons toujours plus capables de croire que les ténèbres seront vaincues, que la victoire finale est acquise, « que l’espérance ne nous décevra jamais ! » (Rm 5, 5)

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References

References
1 J.R.R. Tolkien et quelques-uns de ses amis avaient coutume de se retrouver régulièrement pour lire ensemble ce qu’ils avaient écrit, et se corriger mutuellement. Le Seigneur des Anneaux a ainsi d’abord été conçu pour ce cercle d’amis appelé les Inklings. C.S. Lewis en faisait notamment partie. Le présent article, s’il est signé d’un seul nom, n’en demeure pas moins le fruit d’une expérience similaire. Une sorte de Inklings picard a été suscité pour l’occasion. L’auteur voudrait adresser à ses membres éminents son humble reconnaissance pour ce qu’il leur doit.
2 C. S. FORESTER, Capitaine Hornblower, t. 1, t. 2, Omnibus éd., 2005, 2256 pages.
3 J.R.R. TOLKIEN, Lettres, Christian Bourgois éditeur, Paris, 2005, 709 pages.
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