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L’exil : cette expérience qui coupe la personne en deux

Ces dernières semaines, deux interventions d’autorités dans des pays ayant connu de fortes émigrations, parlent à leur peuple. Emigrer est-ce toujours une solution ?

 

 

Exil, cette expérience de souffrance universelle 

Toutes les époques ont été témoin de l’Exil. Cette douloureuse expérience, beaucoup de nos contemporains la font, qui sont contraints à quitter leur terre. Il suffit de regarder les nouvelles pour voir le nombre de personnes qui fuient quotidiennement la souffrance de leur pays, affrontant la mer, le désert, tous les dangers des attaques du chemin… Le peuple africain cherchant le continent européen par la côte italienne, la « caravane humaine » de 5000 migrants honduriens traversant à pieds le Guatemala, puis le Mexique, dans les rudes conditions du désert, cherchant dans les terres du Nord l’Eldorado américain ; les peuples syriens et Irakiens [1]Dans un Irak de plus de 30 millions d’habitants, vivaient 1,3 million de chrétiens au début du siècle, estime-t-on. Aujourd’hui, ils ne seraient plus que 250 000 qui, ces 6 dernières années, se retrouvent éparpillés aux quatre coins de la terre.

Dans cette première vidéo intitulée « The Border », nous voyons à travers les yeux d’une artiste syrienne à quel point cette expérience de traverser The Border, de quitter son pays, peut être profondément destructrice pour l'homme.

 

 [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=9XQI_cqHhx4[/embedyt]

The Border

 

L’artiste Nohad Halabi révèle la nature profonde de cette souffrance 

Nohad à travers ses œuvres en argile, raconte cette souffrance d’une façon poignante et réaliste, sans pour autant tomber dans une analyse politique de l’exil ou dans un certain débat qui risquerait d’être moraliste (faut-il ou non partir en exil ?). Mais elle approche la souffrance des personnes avec beaucoup de respect, comme à genoux. Le cri qui anime ses statues d’argile semble révéler le cri de son peuple syrien et de son expérience d’exil d’un point de vue existentiel. Et l’exil semble être une souffrance en plus qui se rajoute à la souffrance originelle, plutôt qu’un soulagement. La fuite semble ouvrir encore plus la plaie de la souffrance qu’on voulait fuir au départ.

Dans un article précédent publié sur Terre de Compassion (voir ici l’intégralité de l’article), Nohad commente ses œuvres avec ces mots : « La souffrance coupe en deux celui qui la reçoit. Dans cette figure coupée en deux, la souffrance retient celui qui souffre d’une façon impitoyable : elle coupe, sépare et éloigne les membres d’un même corps, d’une même famille, d’une même maison, d’un même quartier. Elle coupe une société qui normalement est censée être unie. Cette réalité de la rude séparation, à un point de non-retour, est exprimée dans les œuvres par la coupure " lisse et raide". J’ai voulu utiliser cet instrument pour exprimer l’état de séparation radicale et injuste à tout niveau … l’état d’immigration et de morcellement humain qui marquent profondément cet aspect de « non-retour » dans le sentiment et l’esprit des syriens et de tous les nobles de cette terre, à jamais. »

Nohad nous montre à travers ses paroles et ses œuvres la double souffrance à laquelle sont confrontées toutes ces personnes qui, d’abord fuyant les souffrances propres de leur terre (guerre, violence des gangs, manque de travail, ou tout simplement pour suivre leur rêve d’un Eldorado hollywoodien…) s’infligent en fuyant une souffrance beaucoup plus profonde qui marque leur vie à jamais. Leur personne est comme coupée en deux, déracinée de sa culture propre, de sa langue, des lieux où elle a grandi …  Face à cette double souffrance, il est inévitable de nous poser la question : Emigrer, cela reste-t-il la meilleure solution ? Est-il possible de trouver une voie qui correspondrait plus à notre nature humaine, même si cette voie demeurerait plus étroite et difficile à entreprendre mais qui déboucherait peut-être sur une paix et lumière véritable ?

 

 

Dans la deuxième vidéo nous voyons une petite fille que l’on imaginerait à l’école, se retrouvant dans un nouveau pays, fuyant la guerre en Syrie. Nous sommes saisis par l’expression de son visage à la fois émerveillé de découvrir ce qui l’entoure (ce qui caractérise le regard d’un enfant), et son regard perdu, nostalgique de sa terre natale, cherchant ses amis, prise par le drame qui l’habite profondément, celui de son peuple.

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At School

 

La Théologie du retour et de la reconstruction :

Il y a un mois, le Cardinal Sako (Patriarche des Chaldéens en Irak), qui a lui-même été confronté à cette crise de l’émigration dans son pays, illumine cette expérience par son regard saisi de compassion envers ses brebis dispersées. Il propose une voie qui pourrait paraitre à première vue originale et inattendue, invitant ainsi à un pas dans la foi, parlant de la  « Théologie du retour et de la reconstruction ». A travers sa voix de pasteur, il rappelle son peuple éparpillé à un retour, à insérer leur histoire dans l’Histoire Sainte du peuple de Dieu qui a toujours été marquée par ces expériences d’exil, mais aussi de retour et de reconstruction de leur propre terre, lieu de leur véritable appartenance. Faisant mémoire des prophètes, surtout Ezéchiel, il propose d’encourager et de soutenir ; plutôt que de proposer aux gens de fuir la souffrance, il leur propose d’assumer la tragédie et le drame de leur pays, de ne pas avoir peur de l’embrasser jusqu’au bout, d’aimer leur terre et de revenir la reconstruire de nouveau. Il n’a pas hésité à rappeler à ses compatriotes que plus ils fuient les difficultés de leur pays en partant, même si cela peut certes être légitime, plus les problèmes de leur pays s’accentuent avec leur départ, et plus ils seront affrontés à cette double souffrance que Nohad Halabi a si bien révélée.

Un appel de même nature a été lancé par le Patriarche Maronite, le Cardinal Béchara Rai, lors d’une veillée de prière dans la cathédrale chaldéenne Saint Joseph à Bagdad, s’adressant aux jeunes irakiens avec ces mots : « Fonder des familles, résister à la tentation du départ, compter sur la présence de Dieu dans l’histoire, décider d’être des témoins du Christ. (…) Plus que jamais, l’Orient a besoin d’une présence chrétienne, pour porter à ce monde les valeurs de l’Évangile. Les difficultés que nous rencontrons ne justifient pas que nous quittions notre terre. Notre histoire, notre civilisation et notre culture sont plus grandes que cela (…), et ceci implique que nous sachions avec nos pasteurs et nos institutions, grâce aussi à votre créativité, renouveler notre enracinement et fonder des familles chrétiennes.

La situation va certainement changer et le changement vient (…) le sang des martyrs et les larmes des innocents ne sauraient être versés en vain ; ils porteront certainement des fruits de vie nouvelle dans l’État et la société. Nous ne savons pas comment Dieu intervient dans nos vies, mais nous savons qu’il est le compagnon de route toujours présent, qui nous aide à faire le chemin en dépit de tous les obstacles. »

 

References

References
1 Dans un Irak de plus de 30 millions d’habitants, vivaient 1,3 million de chrétiens au début du siècle, estime-t-on. Aujourd’hui, ils ne seraient plus que 250 000
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