Home > Arts plastiques > Caravaggio Napoli

Le 12 avril 2019, l’exposition du « Caravaggio Napoli » a été ouverte au public au Musée Royal de Capodimonte à Naples. Une exposition qui nous permet pour la première fois de contempler les œuvres napolitaines de l’artiste et de les comparer avec celles des différents disciples qui ont copié ou se sont inspirés de sa peinture. A travers ses œuvres et des peintures de certains contemporains de l’artiste qui se sont inspirés par sa manière révolutionnaire de représenter les thèmes religieux, on peut suivre les deux périodes qu’il a passées dans la ville de parthénope.

 

De Rome à Naples

Quand Michel-Ange Merisi, surnommé le Caravage, jouait au « pallacorda » à Campo Marzio à Rome, il ne savait pas que ce serait la fin d’une étape et qu’il en commencerait une nouvelle, qui le mènerait à Naples. Au milieu du jeu commença une dispute qui se termina avec la mort de son rival, Ranuccio Tommasoni, pour une histoire de dettes de jeu et pour défendre la dignité de l’un des modèles les plus aimés du peintre : Filide Melandroni qui devint la Vierge Marie dans beaucoup de ses peintures lors de sa période romaine. Mais le port d’armes n’est pas autorisé à Rome pour un peintre et immédiatement une condamnation sévère est prononcée contre le Caravage: la décapitation qui peut être effectuée non seulement par la garde papale, mais par toute personne qui l’aurait reconnu dans la rue. Il se réfugia immédiatement dans la famille Colonna, qui l’avait connu dès sa naissance à Milan, qui le cacha d’abord dans leurs domaines de Frosinone, jusqu’à son arrivée à Naples vers la fin de l’année 1606.

1606 – 1610

Un condamné à mort arrive dans la ville et immédiatement tous les nobles de cette ville soutiennent son originalité artistique. Une ville de domination espagnole, qui regarde avec haine Rome qui est philo-Française, fait du peintre un nouvel exposant de qualité, de sorte que diverses commandes d’œuvres arrivent : retables, portraits et diverses représentations pour chapelles privées.

Sa renommée l’avait précédé. Il est connu pour ses personnages hors du commun, pour la faible acceptation de nombreuses congrégations romaines de ses œuvres (par exemple la Sainte Anne pour Saint Pierre). Grâce à la présence de gens simples et populaires dans ses tableaux, nombreux sont ceux qui souhaitent le recruter. Sous les auspices des Espagnols et des Napolitains, il commence sa production artistique et sera surtout un exemple à suivre pour de nombreux artistes qui ont également été à Naples et parmi eux le flamand Louis Finson et Battistello Carracciolo.

C’est une période heureuse et productive. Ses œuvres sont faites pour de grandes familles, et ce sera le Marquez Pedro Alvares de Toledo qui le fera connaître internationalement en envoyant certaines de ses œuvres dans la capitale du royaume, Madrid. Ses deux œuvres les plus importantes pour l’Église de San Domenico Maggiore sont de cette période-là : la crucifixion de Saint André et la flagellation du Christ. Le premier tableau, aujourd’hui au Cleveland Art Museum, est connu comme un Saint André âgé qui accepte la mort sur la croix. Caravage ne le représente pas crucifié « à la Saint André » , comme nous sommes habitués à le voir, mais plutôt un Saint André crucifié comme le Christ. Beaucoup disent que l’auteur s’est inspiré pour son travail de l’œuvre trouvée dans la chapelle Brancaccio et où l’apôtre est crucifié de la même manière que dans la peinture du Merisi.

Mais le plus impressionnant c’est le tableau représentant la flagellation du Christ. Cette œuvre, après le tremblement de terre de 1980 à Naples a été déposée dans le Musée de Capodimonte, et dans cette exposition est présentée pour la première fois à côté de l’autre flagellation conservée au Musée des Beaux-Arts de Rouen. Ces deux tableaux ont été peints avec un an d’écart.
La flagellation du Christ, portrait vertical pour le tableau napolitain et horizontal pour le français, montre clairement l’originalité du traitement des thèmes, qui sont des classiques de la peinture religieuse du XVIIe siècle.
Alors que dans la première, la figure du Christ est debout, au centre de la toile, le visage tourné vers le sol et où la lumière est concentrée dans sa figure, la seconde est totalement décentrée pour donner une plus grande dramatisation au geste du Christ qui regarde déjà un point hors de notre portée, hors de notre capacité de compréhension, mission qui ne nous appartient pas, qui est seulement sienne.

Mais dans les œuvres il y a la même certitude : le Christ ne fait aucun effort pour échapper à ceux qui le préparent à la flagellation. Les gestes sont lents, mais en même temps on peut voir la tension dans les muscles des bras et des jambes. Une tension pour le travail qu’ils ont à faire et une tension pour voir qu’ils sont devant Quelqu’un qui non seulement est conscient de ce qui va arriver, mais qui l’accepte sans s’y opposer.

Les Sept Œuvres de Miséricorde

« Les sept œuvres de Miséricorde » est l’œuvre centrale de cette première étape napolitaine du Caravage. La Congrégation du « Pio Monte della Misericordia » demande à travers la famille Colonna que les Merisi réalisent le tableau pour l’autel de la Chapelle qu’ils construisaient à deux pas de la Cathédrale de Naples. Le Pio Monte della Misericordia est né comme une institution caritative laïque, fondée par sept jeunes de familles nobles de la ville de Naples. Sa mission est d’aider avec ses propres moyens diverses œuvres sociales. En 1602, la construction de son siège social a commencé.

En accord avec la ville et la mission de Pio Monte, Caravaggio parvient à réaliser un « chef d’oeuvre » défini par beaucoup comme l’une des œuvres les plus dramatiques et impressionnantes de l’artiste dans une église napolitaine. Au centre de la chapelle octogonale, où la Sainte Messe est célébrée chaque jour, cette œuvre est exposée depuis plus de 400 ans. Dans la partie supérieure, on peut voir deux anges qui, en ouvrant leurs mains et leurs ailes, forment un cadre au buste de la Vierge Marie qui regarde vers la ville et qui a l’Enfant Jésus dans ses bras. C’est là que tout le génie de l’artiste s’inspire du napolitain « i vicoli » (petites rues napolitaines) pour montrer les sept œuvres de Miséricorde. Les personnages sont comme surpris au milieu du mouvement de la ville, et au milieu d’eux ils accomplissent les gestes de miséricorde sous le regard attentif de la Mère de la Miséricorde. Pèlerins, soldats, prêtres, mendiants, seigneurs et même personnages mythologiques sont dépeints pour montrer comment on peut vivre au quotidien les différentes œuvres de miséricorde, une miséricorde qui s’incarne dans des gestes concrets, car c’est la fonction principale de Pio Monte. Ce tableau marquera un point cardinal dans la peinture du sud de l’Italie, et sera une étape obligatoire pour tous les peintres baroques qui le voient comme la première étape d’une peinture baroque décentralisée et dramatique.

1609 – 1610

Après une période sur l’île de Malte, où Merisi obtient et perd ensuite l’immunité pour faire partie de l’ordre des chevaliers de Saint-Jean, il retourne à Naples où il est toujours sous la protection de la famille Colonna. Il demande la grâce du Pape et espère la recevoir pour pouvoir retourner à Rome, non seulement là où il espère poursuivre la carrière qu’il a commencée, mais là où il souhaite et aspire à vivre et à travailler. Cette deuxième période dans la ville de Naples est marquée par une production inlassable d’œuvres, notamment pour l’église « Sant’Anna dei Lombardi « , qui sera détruite lors du séisme de 1805.

A ce stade, ses œuvres sont marquées par une plus grande simplicité et une réduction des personnages représentés, atteignant un minimalisme presque représentatif. Les personnages principaux sont toujours décentrés dans la composition et la seule touche de couleur est un tissu rouge, qui est représenté sur le corps ou à côté du personnage principal.

Au Musée de Madrid, et exposé pour la première fois à Naples, est conservé le deuxième Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste (1610), tableau qu’il avait commencé à peindre avant son départ pour Malte. Un Salomé qui n’est pas une jeune femme, ni une fille, mais une femme qui comprend et sait ce qu’elle fait. Seule, elle reçoit la tête du Baptiste sur un plateau d’argent, tandis que derrière elle se trouve une vieille femme qui reçoit l’épée avec laquelle un personnage masculin vient de couper la tête de Saint Jean. Des gestes presque banals, comme la suite normale d’un fait sans conséquence, mais que dans le visage de Salomé on peut contempler un point de constriction. Ce n’est pas comme dans sa première Salomé représentée avec le regard hors de la réalité, répondant à la demande de sa mère. Le visage de la Salomé de Madrid est une femme qui souffre déjà des conséquences de sa danse à la fête d’Hérode.

C’est à la fin de la composition de ces œuvres que la grâce papale de Paulo V parvient aux oreilles du Caravage, et il décide de s’embarquer avec ses derniers tableaux pour Porto Ercole pour rejoindre plus tard sa Rome tant désirée mais il mourut avant d’atteindre la ville éternelle, avec une fièvre élevée qui pourrait être la conséquence de blessures reçues dans un combat ou d’une infection urinaire mal soignée.

Parmi les œuvres qu’il a emportées avec lui pour remercier la grâce papale se trouvait la dernière œuvre exposée au Musée de Capodimonte : le martyre de Sainte Ursule. Tout dans ce tableau est dans le geste de la sainte qui regarde la flèche qui vient d’être lancée par le roi barbare Attila. Dans son visage presque transparent, il y a une acceptation totale de son martyre et de son destin. Un regard qui descend vers la flèche qui est entrée dans sa chair et qui est, comme une chose toujours attendue.
Parmi les personnages représentés, Caravage lui-même est présent avec son visage dans le personnage qui ouvre la bouche, surpris par la violence d’Attila.

En 2019, l’occasion nous est donnée de nous plonger dans la peinture et le regard du Caravage, regard qui, à l’époque napolitaine, ne pouvait échapper de représenter dans ses toiles et ses œuvres le dynamisme et l’idiosyncrasie de cette ville, unique en Europe.

Vidéo de l’exposition et du Caravage

[embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=9IMTBpsSy5k[/embedyt]

Vous aimerez aussi
Renaissance et Modernité, de l’imitation au mercantilisme
Georgia o’Keeffe : une femme libre, très libre
« Jardin de Verre »
La vie dans un trait

1 Commentaire