Après plus de quatorze semaines de manifestations, Hong Kong a disparu des gros titres. Le chef du gouvernement Carry Lam a en effet finalement retiré son projet de loi controversé, qui portait sur l’extradition possible des citoyens de la place financière. Nous voulons cependant publier deux témoignages de protagonistes de ces événements, qui montrent l’état d’âme de la plus grande partie de la population. Un état d’âme qui est loin d’être apaisé. L’un est le cardinal Zen, déjà présenté dans nos colonnes, l’autre un jeune professeur natif de la ville, qui a participé à plusieurs marches et fréquente l’une des communautés protestantes actives dans le mouvement.
« C’est vous qui m’avez enseigné que les marches pacifiques ne servent à rien. »
1. K.W., habitant de Hong Kong, étudiant en politologie et professeur de lycée
Le journal du Parti communiste a annoncé récemment que « notre mouvement n’existerait plus à l’époque des fêtes de la mi-automne » (une des plus grandes festivités chinoises).
Ce qui révolte les habitants de la ville est non seulement de voir leur gouvernement tomber le masque si impudiquement, se révélant simple exécuteur de la politique du Parti, mais aussi la violence gratuite de la police. Elle qualifie les manifestants de « cafards », a assisté passivement à des passages à tabac de jeunes manifestants par des membres des triades [1]les fameuses sociétés secrètes de la pègre chinoise, NdT, a arrêté plus d’un millier de personnes, la majorité des jeunes gens, parfois des lycéens, dont certains ont reçu des peines allant jusqu’à dix ans de prison. Trois ont perdu un œil, certains ont été molestés sexuellement, nombreux sont ceux qui se sont retrouvés à l’hôpital avec un membre cassé. Pas un seul policier n’a été suspendu ou a fait l’objet d’une enquête.
Mes contemporains ont l’impression d’assister, impuissants, à la suppression de l’état de droit et du pluralisme au profit de la société moniste de la Chine continentale. Le rouleau compresseur. Hong Kong est si petit, la Chine continentale si massivement grande. Ils souffrent de ce déséquilibre monstrueux et plongent dans le désespoir. Sous ce régime de violence arbitraire, la vie semble soudain si nue et fragile.
Maintenant que la loi a de fait été retirée, les manifestants veulent continuer jusqu’à se voir garanties leur quatre autres revendications :
- La remise en liberté sans conditions de tous les manifestants arrêtés
- La renonciation à qualifier les événements du 12 juin comme « soulèvement » (ce qui a des conséquences juridiques graves pour toutes les personnes arrêtées ou même identifiées ce jour-là)
- la mise en place d’une commission d’enquête indépendante sur les violences policières
- la mise en place d’un mode de scrutin démocratique
Mais quoiqu’il en soit, Hong Kong semble être dans une impasse. La position de force du Parti est si écrasante. Le futur est sombre. La seule chose à laquelle les manifestants s’accrochent est la ferme décision de ne pas se laisser régir par la haine. Pourquoi devons-nous tant souffrir ? Est-ce simplement parce que nous n’acceptons pas ce que veut faire de nous le Parti ?
2. Cardinal Zen
Puis-je ne faire que regarder, puis-je ne faire que prier ? [2]Article paru sur le blog du cardinal à l’adresse … Continue reading
Le Cardinal Zen
Carrie Lam et les partis au pouvoir ont réussi à susciter la haine entre la police et le peuple. Le comportement de la police n’a plus rien à voir avec le maintien de l’ordre en vue de protéger la loi, et la violence utilisée est excessive.
Les manifestants descendent maintenant à n’importe quel prix dans la rue, se sentent comme des « œufs qui ne craignent plus de défier le mur », selon l’expression de Murakami. La « marche des deux millions » (manifestation du 16 juin, NdT) et les autres marches non-violentes n’ont eu aucun écho auprès du gouvernement. Si bien que les manifestants pensent maintenant : « Allons en découdre ! », « Nous sommes face à l’ennemi ! ».
Certaines personnes disent que tout cela est un complot de Carrie Lam et des partis au pouvoir. Ce serait terrible ! Mais ce n’est pas difficile à croire ! Si le premier à mourir est un policier, le gouvernement organisera certainement de grandes obsèques (pour célébrer le succès du complot !). Comment le public réagirait-il ? Si en revanche le premier tué est un manifestant, n’y aurait-il pas trois millions de personnes qui sortiraient pour marcher ? Mais que se passerait-il après le défilé ?
Peu importe l’évolution de cette folle situation, je crains que le gouvernement ne soit pas en mesure de la contrôler. Tôt ou tard il déclarera l’état d’urgence, pour demander à l’Armée de Libération du Peuple (l’armée chinoise) de « faire respecter la loi ». Ce sera la fin de notre bien-aimé Hong Kong ! Cela n’affecterait-t-il pas la grande célébration de la décennie (les 70 ans de la Chine communiste)? Le président Xi Jinping laissera-t-il cela se produire ?
Peut-on arrêter cette tragédie ?
Croyons en la prière, la prière peut dénouer la langue de Lin Zheng et lui faire dire « je retire la loi ». Les prières peuvent faire en sorte que les gens « méchants », qui pactisent avec l’injustice, acceptent la création d’un « comité d’enquête indépendant », ne serait-ce qu’en vue de leur propre avenir.
En plus de prier, nous continuerons à soutenir les « défilés de l’harmonie » (les manifestations non-violentes, NdT). Mais j’exhorte ces « hommes justes », les courageux manifestants, à faire attention : « Veillez sur vous, vous manqueriez si vous tombez dans les pièges tendus par l’ennemi. Il y a des attaques et des parades dans l’art de la guerre ! Il y a des avancées et des retraites ! »
L’ancien juge en chef très respecté a affirmé que l’amnistie ne fonctionnerait pas (une des revendications des manifestants, NdT). Je ne comprend pas. N’y a-t-il pas une chose dans le monde qui s’appelle amnistie ? Dans ces folles circonstances, il semble que ce soit le diable à embrigader les hommes. La 70ème fête nationale ne constituerait-elle pas une excellente occasion pour le président Xi de tracer une ligne de démarcation claire avec le diable ? Seigneur, j’ai bien peur d’avoir parlé un peu à tort et à travers, mais n’as-Tu pas parlé par la bouche d’un âne? [3]se réfèrant à l’histoire de l’âne de Balaam, dans le livre des Nombres, chapitre 22
[Laissez-moi ajouter encore un mot]
La police est-elle devenue notre ennemie ?
Je me souviens qu’un matin de septembre d’il y a quelques années, passant l’Amirauté, j’ai vu un groupe d’étudiants sur la place du peuple, au pied de la hampe du drapeau, entouré par la police. Quelqu’un m’a dit que les étudiants n’avaient pas mangé depuis la veille. Pas d’eau, pas d’accès aux toilettes.
J’ai rassemblé un « public bruyant » et j’ai dit à la police : « Vous frères, sœurs, n’oubliez pas que vous êtes entourés de vos frères et sœurs, n’abusez pas d’eux. N’avez-vous jamais lu le catéchisme ? Avez-vous entendu parler des dix commandements de Dieu ? Si nous écoutons Dieu, nous devons aimer nos prochains comme nous-mêmes. S’il vous plaît, s’il vous plaît. » J’ai prononcé ces mots. Plusieurs journalistes ont remis de l’eau aux étudiants et la police a fait semblant de ne pas les voir.
J’ai souvent dit que les policiers qui utilisaient une violence excessive devait être une minorité de moutons noirs, mais il semble qu’il y en ait beaucoup récemment. Est-ce que maintenant seuls les « rubans bleus » (les soutiens du gouvernement pro-chinois, qui arborent un ruban bleu dans la rue) sont acceptés dans la police ? Ou bien sont-ce les « rubans bleus » eux-mêmes qui se portent volontaires pour aller casser du « voyou » ?
Selon la « théorie du complot », ces policiers seraient un outil du régime. Je crains de fait que certaines personnes n’utilisent le pouvoir de la police (comme elles utiliseraient également la justice) pour résoudre les problèmes politiques qu’elles ont causés. Il semble que la « théorie du complot » n’ait été que trop confirmée par les événements du « Parlement vide » [4] Les manifestants ayant déclaré vouloir occuper pacifiquement le Parlement le premier juillet, le gouvernement l’avait fait cerner d’un cordon de police durant la nuit. Or ce cordon se retira … Continue reading et de la « Rixe au centre commercial » [5]Une manifestation non violente se déroulait dans le quartier de Sha Tin le 14 juillet. De nombreux manifestants se sont arrêtés dans un centre commercial voisin pour se reposer. La police les … Continue reading . Dans ce cas, la police n’est pas notre ennemie, elle est aussi une victime. Pour peu que mes mots manifestent mon souci pour le salut de mes frères et sœurs policiers, je ne regrette pas le moins du monde qu’ils puissent être utilisés contre moi à l’avenir comme preuve d’ « incitation à la violence envers la police ».
La discipline au sein des forces armées est bien sûr importante, mais la voix de la conscience vient de Dieu. Je me souviens que lors du procès du dernier policier qui avait tiré sur un fuyard qui tentait de franchir le mur de Berlin, l’avocat de la défense avait déclaré: « Il n’est pas coupable, il ne fait qu’appliquer les ordres de ses supérieurs. » Ce à quoi le président du tribunal avait répondu : « Si vous écoutez la voix de votre conscience, vous pouvez tirer deux pouces plus haut. »
References
↑1 | les fameuses sociétés secrètes de la pègre chinoise, NdT |
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↑2 | Article paru sur le blog du cardinal à l’adresse https://china.ucanews.com/2019/07/18/【博文】陳日君樞機:我祇能旁觀,祇能祈禱嗎?/?fbclid=IwAR2RdJvn9XhDOGt8WPeKhWcWXQUE17ypKwqZZwali6w7yEY3HFB2p96_Vtg |
↑3 | se réfèrant à l’histoire de l’âne de Balaam, dans le livre des Nombres, chapitre 22 |
↑4 | Les manifestants ayant déclaré vouloir occuper pacifiquement le Parlement le premier juillet, le gouvernement l’avait fait cerner d’un cordon de police durant la nuit. Or ce cordon se retira à l’improviste vers midi, et par la suite les portes de verre du bâtiment furent réduites en miette par certains manifestants. Certaines voix affirment que le retrait des policiers au milieu d’une foule si nombreuse et dans une situation si tendue était délibéré, pour pouvoir accuser les manifestants de vandalisme. |
↑5 | Une manifestation non violente se déroulait dans le quartier de Sha Tin le 14 juillet. De nombreux manifestants se sont arrêtés dans un centre commercial voisin pour se reposer. La police les encercla et commença à les arrêter, ce qui provoqua une réaction et de violentes altercations entre manifestants et policiers. Il n’a pas encore été déterminé si les policiers ont été appelés par les employés du centre commercial, ou bien s’ils ont agi de leur propre chef, profitant du confinement involontaire des manifestants. |
Il y a bien des années, le président de Gaulle conseillait au dirigeant de la Pologne communiste Wladislaw Gomulka de s’émanciper de l’URSS. Ce à quoi le dirigeant polonais répondait que son pays, enclavé géographiquement dans le bloc communiste, n’était pas libre comme l’Australie .On pourrait dire la même chose de Hong-Kong . Maintenant qu’ils ont obtenu l’abrogation de la loi qu’ils contestaient, ses habitants ne feraient-ils pas mieux de profiter de la relative autonomie qui leur est concédée jusqu’en 2047 ? D’ici là, bien des choses peuvent changer, y compris en Chine .
Merci pour cet article, et particulièrement pour le témoignage du Cardinal Zen, qui en faisant l’éloge de la voix de la conscience, manifeste la possibilité ultime de toujours être libre pour choisir la vérité.
« La discipline au sein des forces armées est bien sûr importante, mais la voix de la conscience vient de Dieu. Je me souviens que lors du procès du dernier policier qui avait tiré sur un fuyard qui tentait de franchir le mur de Berlin, l’avocat de la défense avait déclaré: « Il n’est pas coupable, il ne fait qu’appliquer les ordres de ses supérieurs. » Ce à quoi le président du tribunal avait répondu : « Si vous écoutez la voix de votre conscience, vous pouvez tirer deux pouces plus haut. »
Ce paragraphe illustre parfaitement les propos suivants du Cardinal Joseph Ratzinger, extraits d’un enseignement sur le Cardinal John Henry Newman donné à Turin en 1991 (cf l’article « éloge de la conscience », paru sur Terre de Compassion ) :
« La conscience ne signifie pas pour Newman la norme du sujet vis-à-vis des exigences de l’autorité dans un monde dépourvu de vérité et vivant de compromis entre les prérogatives du sujet et celle de l’ordre social. Bien au contraire, c’est la présence intelligible et impérative de la voix de la vérité dans le sujet lui-même. La conscience, c’est l’abolition de la subjectivité pure par le contact de l’homme intérieur avec la vérité divine. » […]
« Un homme de conscience est quelqu’un qui n’achète jamais, au prix de la renonciation à la vérité, le consensus, le bien-être, le succès, la considération sociale et l’approbation de la part de l’opinion dominante. »
Si de tels hommes existent, alors, l’espoir n’est-il pas toujours à l’ordre du jour ?