Home > Arts plastiques > Le « divin » Raffaello

Tout le monde l’a appelé « divin » au fil des siècles. Ses œuvres se trouvent dans les plus importants musées des capitales du monde et ont été des butins de guerre pour les Espagnols, les Français, les Allemands et les Russes. En cette année 2020, nous commémorons les 500 ans de sa mort, c’est l’occasion de plusieurs expositions pour nous faire redécouvrir le peintre d’Urbino, qui depuis 1520 est enterré au Panthéon romain.

 

Autoportrait de Raffaello – Musée du Louvre

 

Une courte vie, 27 ans, passée entre sa ville natale d’Urbino, Florence et Rome où il a travaillé pour le pape et les nobles de l’époque. Ses œuvres étaient recherchées et estimées par ses admirateurs et aussi par ses détracteurs, qui le critiquaient mais en même temps étaient conquis par ses personnages pleins de tendresse et de sérénité. De sa façon de peindre et de ses personnages sacrés est né son surnom de « divin ».

Mais l’histoire de ses œuvres n’est pas si divine. Beaucoup de ces dernières, après la mort de l’artiste, ont été vendues, volées et étaient des butins de guerre comme dans le cas de la « Madonna Sistina » que nous connaissons tous grâce aux anges qui sont à ses pieds et qui sont l’exemple le plus connu de la Renaissance italienne. Marcos Carminati, pour le journal « 24 ore », a écrit une série d’articles qui relatent les péripéties et les vicissitudes de certains tableaux de Raffaello. Ces histoires sont pleines d’intrigues et de rebondissements inattendus qui ont conduit ces tableaux à traverser les frontières la nuit dans d’énormes camions, à disparaître pendant des décennies jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus être cachés, à survivre en mille morceaux dans les inondations et les tremblements de terre. De toutes ces histoires, celle de la « Madonna di Foligno » est l’une des plus impressionnantes, et elle mérite d’être connue, car dans l’histoire de l’art, c’est une grande énigme : la fameuse « targa » que l’ange tient dans ses mains et qui est vide, et le « rayon » qui apparaît au dos du tableau.

La Madonne de Foligno

Giorgio Vasari, connu pour être plus un critique qu’un admirateur du peintre, était aux anges lorsqu’il est entré dans l’église de Santa Maria in Aracoeli à Rome. Vasari a pu contempler ce tableau dans le lieu original où, Sigismondo de Conti, a demandé qu’il soit placé. Il a été ébloui de voir cette Vierge sur un trône avec saint Jean-Baptiste, saint François et saint Jérôme qui la contemplent avec un enfant Jésus jouant avec le manteau de la Vierge.

Entre 1511 et 1512, ce sont les années de la plus grande production de Raffaello : tout en décorant les « stanze Vaticane » [1]chambres du Vatican il réalise divers portraits, peintures et « pala d’altare » [2]retable d’autel pour les différentes églises de Rome et de Pérouse. L’artiste avait découvert la couleur auprès des peintres de la région de Venise et, influencé par le clair-obscur des peintres de la région de Ferrare, il a pu créer des œuvres d’une grande intensité et d’une grande force, comme la Madonna di Foligno.

 

Madonna di Foligno

 

Une première lecture iconographique du tableau révèle clairement une image de dévotion du XVIe siècle, mais il faut remonter dans l’histoire de cette œuvre pour comprendre qu’elle n’est pas une parmi tant d’autres, mais qu’elle a toute une histoire à raconter. La première chose à savoir est que ce tableau n’est pas un simple tableau, mais un « ex-voto » : Sigismondo de Conti, secrétaire du pape Jules II, demande qu’il soit réalisé afin de remercier la Vierge d’un miracle : sa maison qui se trouve dans la ville de Foligno subit les conséquences d’un coup de foudre ou d’une bombe incendiaire et la famille est sauvée.

 

Madonna di Foligno – détail

 

Raffaello cherche l’inspiration pour son travail dans la légende de la Sibylle du Campidoglio. On dit que l’empereur Auguste, le jour exact de la naissance du Christ, fait appel à la Sibillia (une voyante de l’époque romaine) pour l’aider à légitimer, avec une vision divine, l’idée du Sénat de vénérer les empereurs comme des dieux. Lorsque la Sibylle écoutait l’empereur, elle a eu une vision : une femme qui a le soleil derrière elle et qui porte un enfant dans ses bras, en expliquant la vision à Auguste, la Sibylle dira : « cet enfant est plus grand et plus puissant que toi, c’est pourquoi tu dois le vénérer ». L’empereur renonça à l’idée d’être vénéré comme un dieu et ordonna la construction d’un autel pour vénérer cet enfant dans le Campidoglio, où se trouve aujourd’hui l’église de Santa Maria in Aracoeli.

Les saints qui accompagnent la Vierge dans cette « palla d’altare » sont connus de Raffaello : saint Jérôme étant le premier secrétaire apostolique de l’histoire est le patron du maître d’ouvrage qui demande le tableau. Saint François est le patron de l’Ordre franciscain auquel la garde de l’église a été confiée et Saint Jean-Baptiste en est le précurseur et nous introduit, en nous regardant, au mystère qui se développe dans le tableau. Une particularité de ces personnages qui sont aux pieds de la Vierge est dans le personnage de Sigismondo de Conti que l’on voit presque squelettique dans la représentation de l’artiste. On pense que Raffaello a terminé son travail après 1512, l’année de la mort du secrétaire papal qui a été enterré à quelques pas du maître-autel où Vasari contemplait ce tableau.

Mais l’énigme principale de cette œuvre n’est pas tellement l’apparition à la Sibylle ou le visage squelettique de Sigismondo, le mystère de cette peinture est centré sur l’ange qui possède une tablette sans aucune écriture. Les hypothèses sont nombreuses, mais celle qui émerge le plus souvent en ces 500 ans de la mort de Raffaello, est celle d’un texte d’action de grâce pour le miracle reçu et pour la vie qui lui a été donnée malgré que la foudre ou une bombe détruisent la maison. Le problème est qu’en mourant avant la fin de l’œuvre, il n’a pas pu dicter les mots de remerciement qui accompagnent normalement l’ex-voto et il reste dans le tableau comme une « tabula ansata », ces tableaux sculptés dans les mausolées romains, signes du silence de la vie éternelle.

 

Madonna di Foligno – détail

 

Mais si l’on peut comprendre l’œuvre, presque dans sa totalité, l’histoire de ce tableau est surprenante : après que le chœur de l’église d’Araceli ait été modifié pour respecter les canons baroques, le tableau sera déplacé au couvent  » des Comtesses  » de Foligno où vivait la nièce de Sigismondo et sera appelé, à partir de ce moment « Madonna di Foligno ». Malgré toute la pression exercée sur les religieuses, le tableau ne fut jamais vendu (parmi les intéressés se trouvaient le peintre Rubens, l’empereur Auguste III et bien d’autres), mais la guerre et Napoléon furent plus forts que la volonté du Supérieur du couvent et le tableau fut transféré à Paris en 1797. Ce n’est qu’en 1816 que le tableau reviendra en Italie, grâce au sculpteur Canova, mais il ne reviendra pas dans la ville de Foligno mais fera partie de l’exposition permanente du musée du Vatican, avec d’autres tableaux qui étaient le butin de guerre de Napoléon.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là, car en plus d’être transféré du bois à la toile, le tableau de Raffaello souffre d’un attentat le 27 janvier 1989. Un visiteur du musée, en fauteuil roulant, décide d’y mettre le feu en jetant un liquide infâme sur l’ange et le pauvre Sigismondo. Grâce à un membre de la sécurité du musée qui réagit rapidement avec sa veste pour l’éteindre, il ne parvient pas à endommager l’œuvre. Depuis 2014, le tableau est visible à travers une vitrine de Goppion. Ils sont les producteurs des meilleures vitrines d’œuvres d’art au monde et ont assuré qu’avec cette nouvelle protection : « la Madonna di Foligno » peut résister à la foudre et même à la chute d’une météorite ».

References

References
1 chambres du Vatican
2 retable d’autel
Vous aimerez aussi
Noël, la crèche, une évidence
Giorgia Meloni: un épiphénomène italien ?
Renaissance et Modernité, de l’imitation au mercantilisme
Georgia o’Keeffe : une femme libre, très libre