La libération du Père Pierluigi Maccalli (missionnaire italien ancien otage au Niger puis au Mali Madignano) a constitué l’un des signes les plus vivants que le Seigneur a envoyé en ce temps de souffrance et au cours de ce Mois missionnaire. Nous publions ci-dessous une traduction de l’entretien que l’Agence Fides a eu avec lui le 15 octobre.
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Dans quel état d’esprit avez-vous vécu ce temps de captivité et qu’est-ce que cela signifiera pour votre vie de missionnaire ?
Résister pour exister ! Telle est la devise qui m’a accompagné et donné du courage pour aller de l’avant jour après jour. Ils m’ont enlevé en pyjama et pantoufles. Je n’avais rien et j’étais vu comme un néant par ces zélotes musulmans djihadistes qui me considéraient un « kéfir » impur et condamné à l’enfer. Mon seul soutien a été la prière simple du matin et du soir que j’ai appris en famille grâce à ma mère et le chapelet comme prière contemplative. Le désert a été un temps de grand silence, de purification, de retour aux origines et à l’essentiel. Il a constitué une opportunité pour revoir le film de ma vie qui entre désormais dans le troisième âge. Nombreuses sont les questions que je me suis posées et j’ai crié avec fougue et plainte vers Dieu : où es-Tu ? Pourquoi m’as-Tu abandonné ? Jusqu’à quand Seigneur ? Je savais et je sais que Lui existe mais je sais que Dieu peut être vu de dos. Maintenant que je suis libre, revenu chez moi, je commence à comprendre. J’ai le témoignage de tous ceux qui ont prié, fait des marches et des veillées pour demander ma libération… J’en suis surpris et étonné. Ce que cela signifiera pour ma vie de missionnaire, je ne le sais pas pour le moment. J’ai besoin de temps…
Votre rapport avec Jésus a-t-il grandi bien que n’ayant pas l’Eucharistie, le réconfort de la Parole et de vos confrères ?
Chaque jour et en particulier chaque Dimanche, je récitais les paroles de la Consécration « ceci est Mon corps livré », pain rompu pour le monde et pour l’Afrique en particulier ! Dans la prière du matin, je priais une hymne française « un jour nouveau commence, un jour reçu de toi … nous le remettons d’avance entre tes mains tel qu’il sera… » et en achevant j’ajoutais : « je n’ai pas d’autre offrande que l’offrande de ma vie ! ». J’ai demandé une Bible mais elle ne m’a pas été accordée… Chaque Dimanche, je m’attribuais un passage de l’Évangile à méditer, en particulier durant les temps forts de l’Avent et de Noël et du Carême et de Pâques. Cependant, à partir du 20 mai, jour où m’a été portée une petite radio à ondes courtes que j’avais demandé plusieurs fois pour écouter au moins les nouvelles du monde (RFI, BBC), j’ai pu écouter chaque samedi le commentaire de l’Evangile du Dimanche sur Radio Vatican. Une fois, j’ai pu aussi écouter la Messe en direct, le jour de la Pentecôte 2020. Ce matin-là, après avoir écouté les informations sur RFI, en changeant de fréquence, à ma grande surprise, j’ai écouté en italien le Pape François. J’approche l’oreille et je règle mieux la radio et je me retrouve au début de la Messe de Pentecôte en communion avec le Pape, l’Eglise et le monde. Je me dis : « Aujourd’hui, je suis dans la Basilique Saint-Pierre de Rome et dans le même temps en mission en Afrique. J’écoute avec un peu d’émotion les lectures et l’Evangile qui me rappellent la devise de mon ordination sacerdotale (Jn 20) : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. Recevez l’Esprit Saint ». Est-ce une coïncidence ? L’homélie du Pape François a été une bouffée d’oxygène. Après deux ans d’aridité spirituelle et d’absence de la Parole de Dieu, je me sens renaître et accueille ce don comme un souffle de l’Esprit Saint qui a voulu pousser les ondes radio jusque dans le Sahara. L’Evangile et les paroles du Pape, je les ai goûtées comme jamais auparavant. Ils avaient une saveur et un goût spécial dans ce contexte.
Combien a changé votre rapport à la possibilité de la mort et quel rapport pensez-vous avoir à partir de maintenant avec la missio ad gentes ?
Dans la première vidéo qu’ils (mes ravisseurs NDT) m’ont faite faire le 28 octobre 2018, ils disaient que le gouvernement italien voulait une preuve que j’étais en vie. Ils m’ont dit de m’adresser librement au gouvernement, au Pape et à ma famille. J’ai commencé par la famille pour leur dire « Soyez forts, priez pour moi. Je suis prêt à tout » et au Pape François auquel j’ai demandé « souvenez-vous de prier pour moi ». Une seule fois, j’ai reçu expressément une menace qui était plus une promesse de la part d’un moudjahid, à savoir celle de me retrouver avec une balle plantée dans le front à la première occasion. Il s’était énervé à cause d’un qui pro quo que je ne raconterai pas ici. A ses yeux, j’étais un sale infidèle et par ailleurs un prédicateur d’une foi hérétique et condamnée par le coran qui se permettait, selon lui, de le discréditer. Ce jour-là, j’ai vu une épée de Damoclès pendre menaçante sur ma tête. Cependant, plus les jours et les mois passaient et moins je craignais une conclusion tragique. Nous constituions une marchandise précieuse pour eux et c’est pour cela qu’ils nous ont toujours bien traité dans l’ensemble.
Je me suis toujours senti missionnaire même avec les pieds enchaînés. Je dirais, missionnaire du plus profond de mon cœur, comme avait l’habitude de le dire notre Fondateur (le Vénérable Melchior de Marion Bresillac, fondateur de la S.M.A.). Souvent, je marchais sur les pistes de Bomoanga-Niger (la mission de laquelle j’avais été arraché). Mon corps était prisonnier des dunes d sable mais mon esprit allait dans les villages que je nommais dans ma prière et je répétais aussi les noms de mes collaborateurs et de tant de personnes et de jeunes que je porte dans mon cœur, en particulier les enfants malnutris et malades dont je me suis occupé et… les très nombreux visages qui sont une présence vivante dans mon cœur blessé. Je me suis rendu compte que la mission ne consiste pas seulement à faire mais qu’elle est silence et fondamentalement Missio Dei. L’activisme forcené qui caractérisait mes journées maintenant n’est autre que souvenir et prière. Cependant la mission continue et elle est toujours entre de bonnes mains, celles de Dieu. C’est la Missio Dei. Les témoignages de personnes, amis et inconnus qui ont participé aux veillées de prière, aux marches et à tout le reste pour implorer ma libération, que je reçois ces jours-ci comme un écho, me confirment combien la Missio Dei est puissante. Tous me disent ces jours-ci avoir beaucoup prié. Quelqu’un a même dit que « vous avez rempli les églises » mais ce n’est pas moi, c’est l’oeuvre de Dieu !
Quel a été votre rapport et quels sont vos sentiments aujourd’hui envers vos ravisseurs et vos geôliers ?
Ils m’ont toujours respecté en général. Ma longue barbe blanche devait avoir prise sur ces jeunes imberbes qui me gardaient. Ils m’appelaient en arabe ou tamasheq « shebani » (l’ancien). J’éprouve encore beaucoup de tristesse pour ces jeunes, endoctrinés par des vidéos de propagande qu’ils écoutaient toute la journée. Ils ne savent pas ce qu’ils font ! Je n’ai pas de rancœur envers mes ravisseurs et mes geôliers. J’ai prié pour eux et je continue à le faire. J’ai également souhaité à celui qui a géré ma dernière année de captivité, alors qu’il nous emmenait au rendez-vous de la libération, le 8 octobre dernier, « que Dieu nous donne de comprendre un jour que nous sommes tous frères ».
Quels sont vos désirs et vos intentions pour l’avenir ?
Ces deux ans ont été une école de présent. Je désirais que cela finisse rapidement. A chaque coucher de soleil, je disais : espérons demain… Puis, au lever du soleil, je reprenais mon chapelet et je continuais à rythmer ma journée avec les gestes quotidiens jour après jour. L’avenir appartient à Dieu. Maintenant, je profite du retour à la maison. Ceci est mon présent ! L’avenir proche consiste à rencontrer les confrères de Gênes et de Padoue que je n’ai pas encore embrassé physiquement et puis les monastères de clôture qui ont prié inlassablement pour moi et des visites aux nombreux amis en Italie et ailleurs. L’avenir sera ce que Dieu voudra !.