Les liens et les relations entre les hommes disparaissent, même après la pandémie. Il y a ceux qui souffrent et ceux qui souhaitent ce changement. Ce n’est pas une conspiration, mais un fait.
Photos : Couloirs du “Global village” vs une rue napolitaine – ©Jean-Marie Porté, novembre 2020 / mai 2019
Article écrit par Marco Invernizzi sur le journal Alleanza Cattolica
Il y a quelques semaines, prenant le taxi à Rome, j’ai assisté à la vente de la licence de mon chauffeur, qui y a passé environ une demi-heure au téléphone, juste le temps de la course. Quand il est arrivé à la gare, avant de me quitter, il m’a expliqué qu’il avait accepté un travail pour mille euros par mois dans une grande entreprise de nettoyage parce que conduire un taxi, entre un lockdown et le suivant, avec l’absence de touristes et de professionnels qui se déplacent en Italie, ne permet plus de survivre. Et cela est destiné à empirer. De plus, il suffit de discuter avec certains détaillants non alimentaires pour se rendre compte qu’ils ne pourront pas résister longtemps.
Il n’est pas difficile d’observer comment ces changements sociaux, qui sont en cours en raison de la propagation du virus, produisent des victimes, mais il y a aussi des réalités qui en bénéficieront. Si les commerçants, les artisans, les petites entreprises familiales ferment leurs magasins, leurs clients seront obligés d’utiliser des installations plus grandes, des hyper et des supermarchés, et ceux qui se retrouveront sans travail, s’ils ont de la chance, devront chercher un emploi auprès des grandes entreprises qui ont survécu. En substance, le pays va changer de structure sociale : moins de propriétaires et plus de salariés, moins de petites entreprises et plus de multinationales, moins d’initiative privée et plus de travail grégaire, moins de propriété et plus de concentration de la richesse et du pouvoir entre quelques mains.
Chaque fois que quelqu’un remarque cela, il est soupçonné d’être un comploteur, ou pire, un négationniste de Covid. C’est une grande absurdité. Et si quelqu’un fait remarquer qu’en Chine, il y a eu 5 000 décès dus au virus (156 439 en Asie du Sud-Est, données de l’OMS) contre des centaines de milliers en Europe (359 452 pour être précis, selon les données de l’OMS) et aux États-Unis (686 129 données de l’OMS), c’est-à-dire en Occident, cela ne signifie pas qu’il faille blâmer la Chine pour tous les maux du monde, mais reconnaître un fait, qui ne doit pas être supprimé.
La théorie de la conspiration selon laquelle il existe une secte de conspirateurs essayant de dominer le monde semble avoir été inventée pour discréditer ceux qui s’efforcent de raisonner et d’identifier les forces culturelles et politiques qui tentent d’influencer ou d’acheter le monde, même légalement. Et le fait que la Chine gagne en puissance et en influence dans le monde est un autre fait, tout comme le fait que le relativisme qui domine et divise le monde occidental l’empêche de contrer efficacement cette montée inquiétante, car n’oublions pas que la Chine reste un pays aux mains d’un parti communiste, où il existe des camps de concentration et de travail, un pays dans lequel ceux qui veulent se libérer de l’emprise totalitaire sont contraints de payer de leur vie ou de leur emprisonnement, comme le montre ce qui se passe à Hong Kong.
Je crois que le message à communiquer est simple et direct : regardez, la pandémie change le monde, et ce ne sera pas un monde meilleur. Et encore : il y aura ceux qui porteront les stigmates dramatiques de ce changement, mais aussi ceux qui en profiteront pour accroître leur gain et leur pouvoir. Une conspiration ? Je ne pense pas, mais certainement une transformation radicale des sociétés, surtout occidentales.
Essayez de prendre une matinée de vacances pour faire le tour de votre quartier et voir comment se déroule la vie relationnelle : je ne veux pas dire dans une petite ville, où les relations survivent malgré tout et pourraient durer beaucoup plus longtemps, mais dans une ville comme Milan. Les petits magasins sont toujours l’occasion de relations constantes entre les gens, du laitier à la papeterie en passant par le magasin de vêtements ou de jouets pour les quelques enfants qui sont encore nés. Essayez de faire disparaître tout cela : seuls les grands magasins resteront, là où vous achetez tout dans le plus strict anonymat. La vie relationnelle sera progressivement abolie. Si l’on ajoute ensuite la fermeture d’églises (Dieu merci, non pas en Italie, dans cette deuxième vague du virus, mais en France, par exemple), de stades, de cinémas et de théâtres, même si elle est temporaire, on ne peut pas ne pas se rendre compte que nous sommes confrontés à un changement radical de notre mode de vie.
© Jean-Marie Porté
S’agit-il d’une conspiration ? Je crois que le seul véritable et grand complot a été vaincu grâce au sacrifice de la Croix et à la Résurrection du Christ. Cependant, l’Eglise enseigne que le mal agit dans l’histoire et peut mettre la liberté des hommes à l’épreuve.
C’est pourquoi l’ancienne sagesse chrétienne nous apprend à être vigilants. J’ai souvent l’impression que la rhétorique du complot a été inventée par ceux qui ont quelque chose à cacher et qui ne veulent pas que soient montrées les œuvres de ceux qui portent atteinte à la liberté et à la dignité des hommes, en inventant d’étranges théories du complot pour discréditer ceux qui dénoncent le mal qui opère réellement dans l’histoire.
Non, nous ne sommes pas face à un complot, mais à une révolution environnementale, en ce sens qu’un environnement, c’est-à-dire un mode de vie, sera remplacé par un autre mode de vie, sous la bannière de cet individualisme que le Souverain Pontife condamne dans l’encyclique Fratelli tutti. Et changer d’environnement signifie changer de mode de vie, ce qui a une influence importante sur la vie des hommes, car « le salut des âmes peut dépendre de la forme donnée à la société« , comme l’a dit le pape Pie XII il y a de nombreuses années [1]1er juin 1941 .
A cet article font écho les paroles de l’éditeur de l’Antipresse Slobodan Despot à propos du film « Hold Up ». Il analyse avec finesse, plus que le film, les réactions qu’il a déclenchées, très révélatrices selon lui.
Le film souffre de maladresses, d’approximations et d’irruptions inutiles de mauvais goût, comme cette figure animée du Corona avec sa voix perçante et ses sketches futiles qui ne fait que caricaturer le propos. […] Sa vérité ne tient pas tant dans les faits exposés que dans le ton, le bon sens et l’humanité de ceux qui les exposent.
Par contraste, Hold-Up révèle la pauvreté et le huis clos du débat de grand public. Comment se fait-il qu’à la place de ces gens qui pensent, qui cherchent et qui s’interrogent, pratiquement tout le temps d’antenne soit occupé par de péremptoires semeurs de panique, souvent criblés de conflits d’intérêts, et qui ne font que légitimer sans preuve ni discussion les décisions les plus extrêmes des autorités? Sommes-nous soudain tombés en Union Soviétique, pour que le vrai débat social, philosophique et scientifique doive se faire malgré le système et non plus en son sein ?
Fondamentalement, Hold-Up s’insurge contre la reconstruction idéologique d’une réalité, en l’occurrence sanitaire, qui aurait pu et dû être gérée autrement dans le monde réel. Or les systèmes idéologiques, comme leur nom l’indique, reposent sur la logique d’une idée. Les mots créent la réalité. Lorsque quelqu’un perturbe cette nomenclature en appelant les choses par leur nom, l’hypnose s’écroule et il ne reste pour soutenir l’édifice que l’outil de la coercition, bien plus coûteux.
C’est pourquoi les systèmes totalitaires, toujours fondés sur la « science », n’ont pourtant jamais été réfutés par des preuves scientifiques, mais toujours par des témoignages humains. Une journée d’Ivan Denissovitch, de Soljénitsyne, ou Le Zéro et l’Infini de Koestler, n’ont aucune valeur documentaire ou historique. Aujourd’hui, les vigiles du Parti les étiquetteraient comme fake news. Mais ils ont ouvert les yeux — et le cœur — de millions de gens sur la réalité concrète, psychologique, spirituelle, de la condition totalitaire parce qu’ils leur ont permis d’éprouver cette horreur de l’intérieur. Parce qu’ils ont activé l’empathie. Parce qu’ils ont rétabli la vision juste en remettant les mots à leur place. La masse ne sait pas qu’elle vit dans la tromperie tant qu’on ne le lui dit pas. C’est la parabole des habits neufs du roi : il faut qu’un innocent désigne le mensonge pour que la multitude cesse de le considérer comme normal.
La scène peut-être la plus éclairante, de ce point de vue, est ce passage [2]à 2h16 du début du documentaire, NdR où l’on montre à une sage-femme un discours de l’omniprésent transhumaniste, le Dr Laurent Alexandre [3]dans une conférence tenue à des élèves de Centrale, Supélec et Polytechnique le 12 février 2019, NdR , parlant de l’âge d’or qui vient pour les intellectuels, les winners, les dieux, par opposition aux inutiles, aux losers, à la masse humaine larguée par la révolution technologique. « Je pense que Hitler ne disait pas les choses aussi directement », conclut Nathalie Derivaux, effarée. En un mot, l’élite dirigeante s’arroge un droit de vie et de mort sur les esclaves attardés. Comme elle dit, « c’est absolument effrayant », et pourtant cela a pignon sur rue. C’est enseigné aux futurs cadres ! Et soudain, certains mots qu’on emploie par automatisme retrouvent tout le poids d’horreur qu’ils avaient perdu. Ainsi l’« espérance de vie résiduelle » des aînés dans les asiles, décimés par cette pandémie et par l’euthanasie tacite.
L’éditorial de l’Antipresse n°259 de Slobodan Despot, publié le 15 novembre 2020
Comme l’affirme monsieur Despot, il s’agit de mettre des mots sur des faits. La réflexion, en France, sur la grande quantité de décès dans les EHPAD et sur l’utilisation du Rivotril dans ces circonstances (voir l’enquête récente sur France3) devrait être une bonne occasion pour mettre des mots réels sur une situation dramatique évoquée par des euphémismes et des sigles pasteurisés.
Peut-être tout cela nous montre-t-il combien la vérité est une chose fragile. Elle procède en effet d’un acte moral, personnel, libre, celui qui consiste à se laisser atteindre par le réel et à le nommer. Quand l’état commence à décréter ce que sont les choses, c’est sans doute signe que l’amour de la liberté de chacun de ses citoyens a atteint un creux historique.
Deux articles de grande qualité. Le commentaire le plus pertinent que je lis depuis le début de cette pandémie.
Un article passionnant!
Cette réflexion mériterait d’être diffusée.
Cependant, je pense que tout le monde s’en rend compte, sans nommer les choses: Amazone et les gafas assoient sans cesse leur puissance insolante, tandis que les relations humaines, déjà réduites à des écrans deviennent totalement inexistantes.
Il nous reste les circuits courts à la campagne: comment reconstituer des écosystèmes locaux loin des tentacules de la finance?
Espérons qu’elle finisse par s’écrouler d’elle même, avec ses automatismes technologiques reléguant l’espèce humaine à des consommateurs inutiles, face à une nature qui rappelle sa réalité!!