Lorsqu’il créa le monde, générant toute vie,
Il lui donna un souffle, une cadence régulière.
Ce demain, cet hier et l’instant éphémère.
Un rythme de marée, un ronflement discret:
Le temps qui s’égrène, s’épaissit, disparaît,
Édifie toute histoire, lui confère son prix.
Les minutes qui coulent en flots imperturbables.
Les heures qui se succèdent en cycles mécaniques.
Il les fit toutes égales, semblables, mathématiques,
Mais s’inquiétant que l’homme qui arpente son cours,
Ne trouve le temps fade, n’y pleure sa finitude,
Il couronna chaque heure d’une unique auréole.
Par des liens invisibles, il suspendit le temps
A la solaire marche d’un astre majestueux
Qui survole le monde du levant au couchant,
Réchauffe ses recoins et le couvre des yeux.
Paternelle figure et dont l’éclat vermeil
Sertis chaque heure du jour d’un éclat sans pareil.
Depuis lors il n’est de ressemblance aucune
Et chaque heure est gravée d’un sceau particulier,
D’une unique parure, selon que la lumière s’incline
Ou bien s’élève, s’épanche dans le soir ainsi qu’une lagune,
Se dresse avec l’aurore, bruissement singulier,
Se fonde lentement et la nuit, se résigne.
S’effaçant lorsque l’ombre règne au firmament
Sa clarté cependant jamais ne disparaît.
Immensité trempée à l’encre bleue, la nuit,
Offre son étendue, granuleuse pénombre,
Aux astres domestiques des foyers somnolents,
Baignant les environs d’un clair manteau de cuivre.
Une aurore pâle et blanche précède sa naissance,
Comme au fond du foyer la fumée en volutes
Survole un tas de cendres, tièdes, que l’on ranime.
Clarté diffuse et floue dont la fraîche fragrance
Éveille les yeux clos, balaye tous les doutes :
Un jour nouveau s’apprête, l’horizon se dessine.
Le matin radieux qui surgit soudain neuf
– immensité laiteuse du ciel déplié –
Pluie de rayons obliques, comme une épiphanie
Traverse la surface qui vient juste d’éclore,
Secoue les édredons qui coulent des travées,
Plane en souple fumet sur des cafés noircis.
Et lorsque le soleil au zénith déploie
Sa fière incandescence, une chaude torpeur
S’empare des fronts noueux qui laissent leur labeur
Un instant pour s’étendre à l’ombre, harassés,
En la plate et liquide fraîcheur bleutée ou ploient
Les bras chargés de fruits des généreux noyers.
C’est aussi l’heure brûlante des fronts victorieux;
De ces fronts qui se lèvent, arborant avec fièvre
Leurs ambitions, leurs rêves, leurs fières aspirations
Et qui dans le midi entrevoient, glorieux,
Les conquêtes prochaines, les sommets à gravir.
Heure verticale chassant les noires appréhensions.
Puis vient l’heure dorée, onction des tourmentés.
Suave baume apaisant les pesantes angoisses,
Pareil à l’onde pure, aux reflets mordorés,
Elle inonde foyers, campagnes, et la détresse
Vaincue, elle, se résigne quand tinte l’espérance.
La nuit rougeoie au loin ainsi qu’un tiède repos.
Les âmes délicates, foutues, désespérées,
Contemplent, enflammée, sur l’horizon ardent
La défaite du jour ; et tandis qu’il s’abaisse
Pleurent sur leur faiblesse et leurs larmes aiguisées
S’apprêtent car demain, la bataille reprend
Dès l’aube qui contient le jour comme une promesse.
Et pour être bien sûr que cette partition
De lumière qui ondoie sur la ligne du temps
Mesure ce qu’il faut, sans maintes répétitions,
Il ajouta une voix, choisit quelque instrument :
Les orages, le vent, de belles intempéries.
Soudaines harmonies. Imprédictibles accords.
Photos : © Hermine Pillet