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La Semaine Sainte ne se comprend pas, elle se vit

Encore une année sans pouvoir sortir le Christ et la Vierge dans les rues. Sans pouvoir vivre la beauté de cette rencontre. Le coronavirus empêche qu’ait lieu cette célébration publique de la Passion, Mort et Résurrection de Jésus, mais cela ne nous empêche pas de faire mémoire.

Les processions de Semaine Sainte inondent d’incontestable beauté les rues et les âmes des lieux où elles passent. Le Jeudi Saint, les occupations habituelles des rues se voient substituées par une multitude de personnes qui les parcourent d’un même pas. Elles se rassemblent autour de splendides figures baroques qui évoquent la Passion de Jésus, le Nazaréen, mort sur la croix et ressuscité. Nous faisons mémoire. Le peuple montre son visage le plus humain, le plus fragile, se montre tel quel il est : dans le dénuement. Il s’identifie avec ce Christ insulté, humilié, injustement condamné à mort ; ou avec Marie douloureuse, qui n’est plus capable d’articuler un mot à cause de la douleur qu’elle porte dans sa poitrine en voyant de quelle façon ils en finissent avec son fils. Le peuple regarde en face la dure réalité que chacun porte et avance ainsi, suivant l’exemple de Marie et de Jésus. Don Carlos Amigo, cardinal et archevêque émérite de Séville, dit : « Ces images feront remémorer la valeur de la famille, l’incompréhensible de la douleur et la grandeur de l’amour. L’amour n’a pas besoin d’explications, en étant amour, il se suffit ».

 

 

 

Ces cruelles scènes de la Passion sont ornées de fleurs, encastrées dans des structures d’or et d’argent, revêtues avec des plus beaux ornements, brodées avec les fils les plus fins, présentées avec une royauté étonnante. Lorsqu’une personne présente quelque chose avec délicatesse et finesse cela signifie qu’elle l’estime particulièrement. Par cette expression artistique, le peuple espagnol manifeste la foi qu’il chérit et dont il vit, et manifeste chaque année de façon particulière durant la Semaine Sainte.

Dom Carlos Amigo dévoile cette expérience avec lucidité : « Plus qu’une simple relation d’évènements et de faits arrivés, il s’agit de personnes dont on se souvient -se souvenir se dit recordar en espagnol, que vient du latin recordare et signifie passer à travers le cœur-,  par le chemin des sens surgissent des sentiments qui frappent le cœur, jusqu’à ce que des larmes coulent ». Pour cela, la célébration ne passe pas inaperçue aux âmes qui laissent entre-ouverte la porte de leur âme. Il y a un aperçu de vérité dans ces processions, dans ce cante jondo [1]Il s’agit d’une mélodie d’exécution libre, au ton dramatique et aux teintes flamenco, liée aux personnages et aux événements de la Passion. C’est un cri du cœur qui invoque à haute … Continue reading et dans ce silence. Il se passe quelque chose ici, comme nous disons en Espagne. Je ne le comprends pas, mais il se passe quelque chose ici. Les enfants regardent passer les mystères de la Passion, écoutent attentivement et dorment paisiblement dans les bras de leurs parents. Les dames chuchotent, prient en silence et méditent avec ferveur sur les mystères. Les messieurs accompagnent leurs épouses, expliquent à leurs enfants qui est le Crucifié, pourquoi ils le traitent si mal, prient….

Ainsi se distinguent dans la scène du Chemin de Croix la mélodie funèbre, la profondeur des chants -avec leurs textes qui parlent au cœur de chaque personne- l’élégance et la distinction des confréries qui évoquent un respect pour la douleur ineffable du prochain. Ceci fait fleurir l’humanité dans le peuple, qui ne fait qu’un et d’où jaillit une capacité d’ouverture et d’accueil. Une fois l’âme apaisée par tant de beauté partagée, les voisins, les amis et les familles s’invitent à prendre un chocolat avec des churros (idéal pour les températures fraîches de la saison) avant de se retirer chez eux. Ils se disent à quel point tel ou tel paso [2]Paso : du latin passus, qui signifie scène, et aussi souffrance, fait allusion à chacune des images qui défilent durant la Semaine Sainte était digne, à quel point cette personne chantait bien, combien la Vierge était belle, combien beau était le Christ attaché à la colonne … Chacun a son paso préféré. Le don mystérieux de la foi, selon les mots de Don Carlos, « devient vie dans le peuple et les valeurs de la beauté esthétique conduisent à expérimenter la cohérence entre la foi et le comportement moral. La Semaine Sainte n’est pas une connaissance, c’est une vie, et la vie ne se comprend pas, elle se vit ».

 

 

References

References
1 Il s’agit d’une mélodie d’exécution libre, au ton dramatique et aux teintes flamenco, liée aux personnages et aux événements de la Passion. C’est un cri du cœur qui invoque à haute voix la Vierge ou Jésus, en demandant une grâce et en les honorant avec la pureté du sentiment devenu chant
2 Paso : du latin passus, qui signifie scène, et aussi souffrance, fait allusion à chacune des images qui défilent durant la Semaine Sainte
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