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Le Purgatoire et l’attrait de la hauteur

« Pour courir meilleure eau elle hisse les voiles
à présent la nacelle de mon génie
qui laisse derrière soi mer si cruelle :
et je chanterai le second royaume
où l’esprit humain se purifie
et devient plus digne de monter au ciel. »

(Purgatoire, I, v. 1-6)

Sur la plage qui marque l’entrée du Purgatoire, où Dante a échoué avec Virgile comme par miracle, tout invite à lever les yeux ; et malgré sa hauteur la montagne purificatrice – née de la masse de terre propulsée par Satan lorsqu’il s’est enfoncé dans la Terre – parait attrayante.
L’ascension qui petit-à-petit s’annonce n’en sera pas moins difficile ; mais au contraire des châtiments de l’Enfer, les souffrances par lesquelles passent les âmes sont ici libératrices, sources progressives de « plus » d’être.

C’est donc avec une certaine légèreté que Dante prend conscience de la nouvelle réalité qui l’entoure. L’air y est pur et agréable à respirer, et le ciel, à la « douce couleur de saphir oriental » [1]Purgatoire, I, v. 13 , réjouit le cœur. Surtout, « la belle planète qui invite à aimer / faisait sourire tout l’Orient » [2]Purgatoire, I, v. 19-20 . Loin de la noire forêt des débuts, la nature ici n’est plus hostile – même, c’est elle qui réveille l’âme à elle-même.

Quatre étoiles pour guides

« Je me tournai à main droite, attentif
à l’autre pôle, et je vis quatre étoiles
jamais vues, sinon par les premiers regards

(Purgatoire, I, v. 22-24)

 

Symboles des vertus cardinales (prudence, justice, force et tempérance), les quatre astres attirent ainsi sans effort le regard, comme pour indiquer qu’elles sont des mouvements naturels de l’âme, que rien ici ne sera demandé qui n’est pas pour servir la vérité de l’existence. Elles luisent à l’horizon comme pour rappeler que la destinée est belle, et qu’il n’y a qu’à s’éprendre de cette beauté pour entreprendre le chemin véritable de la vie. Elles évoquent l’invisible – le Paradis du ciel – mais elles sont visibles – signes discrets du divin qui se fait présent. Par leur attrait, elles créent déjà dans l’âme les premiers effets du salut.

L’aube du Dimanche de Pâques

De fait, c’est au matin du jour de la Résurrection que se situe la scène, indiquant que le Purgatoire est déjà l’expérience de la Rédemption, qu’il ne s’agit pas d’un « entre-deux » pour se préparer à être dignes du salut, mais d’une participation à l’œuvre de la grâce qui, déjà, a saisi Dante. Ainsi est-il au plus près de l’essence de la condition humaine.

Un petit groupe d’âmes insolite

« Telle m’apparut, et je la vois encore
une lumière venant si vite sur la mer
que nul vol n’est égal à sa course (…)
Puis autour d’elle, de tous côtés, m’apparut
je ne sais quoi de blanc, et peu à peu
un autre blanc en sortit par-dessous (…)
(…) plus s’approchait de nous
l’oiseau divin, plus il brillait (…)
(…) et il vint au rivage
sur un bateau si svelte et si léger
que l’eau n’en couvrait pas la coque.
A la poupe se tenait le céleste nocher,
tout rayonnant de béatitude,
et plus de cent esprits y étaient assis ».

(Purgatoire, II, v. 16-18 ; 22-24, 37-38 ; 40-45)

 

 

C’est là le premier groupe d’âmes que rencontre Dante : elles arrivent tout juste sur les rives du Purgatoire pour commencer leur expiation. En voyant l’Ange qui les guide à la proue de leur navire, et en distinguant qu’elles ne se déplacent étonnamment qu’ensemble, naissent dans son cœur deux certitudes : le Purgatoire est une affaire de prise en charge, et il est aussi une affaire de compagnie.
Une troisième intuition lui vient doucement lorsqu’il les entend chanter le Psaume CXIII, qui évoque la libération d’Égypte du peuple d’Israël : la musique et la liturgie auront, sur cette montagne, une place bien particulière.

 

Photos: Gustave Doré, Illustrations de la Divine Comédie, 1868, Purgatoire

References

References
1 Purgatoire, I, v. 13
2 Purgatoire, I, v. 19-20