« Plus on monte, et moindre est la fatigue » [1]Purgatoire, IV, v. 90
En ce bref encouragement, donné par Virgile à Dante au chant IV, se résume presque toute la beauté du Purgatoire. Une beauté paradoxale – car elle semble aller contre les lois de la nature (la fatigue ne devrait que croître avec l’ascension) mais aussi contre la loi du mérite (quelle est cette grâce qui miraculeusement me redonne force, alors que je m’épuise à monter ?).
Une beauté qui se manifeste petit-à-petit avec le formidable déploiement des trois clés de la montagne, dont Dante avait reçu comme un avant-goût au Chant II : la prise en charge, la liturgie, et la compagnie. Une beauté qui transparaît aussi dans la nouvelle relation qui semble s’être instaurée entre lui et son guide – désormais devenu un père, qui l’appelle « mon enfant » (Purgatoire, I, v. 112).
La montée
Les « négligents » qui se trouvent dans l’Anti-purgatoire, donnent rapidement le ton de celle-ci à Dante. Il faudra s’armer de patience (eux-mêmes, qui sont tous ceux qui se sont convertis in extremis avant de mourir, doivent attendre jusqu’à trente fois le temps de leur vie pour être dignes de commencer l’ascension). C’est presque à une certaine passivité, un abandon qu’ils sont appelés. Surtout, ils savent que leur sort dépend de la prière des vivants, et ils implorent sans fin la communion des saints.
« O frère, monter là-haut, qu’importe ?
Il ne me laisserait pas aller aux martyres,
L’ange de Dieu qui siège sur le seuil.
Le ciel doit d’abord tourner autant de fois
Autour de moi qu’il a fait dans ma vie,
(…)
A moins qu’une prière ne m’aide auparavant,
Venue d’un cœur qui vive dans la grâce »
(Purgatoire, IV, v. 127-131, 133-134)
De fait, au fil des sept corniches qui constituent la montagne, les peines visent à transformer petit-à-petit l’être des pénitents, qui doivent ainsi accepter de se laisser faire. Leur tourment est leur participation à leur purification, mais il n’en est pas la source. Celle-ci vient de la pure grâce divine.
La fatigue
A la première corniche, les orgueilleux doivent porter d’énormes pierres qui leur font baisser la tête. A la deuxième, les envieux, qui ont toujours péché par leurs yeux, sont aveugles et purifiés par l’écoute incessante de la liturgie. Puis viennent les coléreux, qui contemplent des exemples de douceur (St Etienne par exemple). Les avares sont contraints de ne voir que ce qui est terrestre ; les gourmands sont condamnés à faire l’expérience de la faim et de la soif ; ceux qui se sont adonnés à la luxure doivent courir les uns vers les autres en un chaste enlacement.
A la corniche du milieu, la quatrième, se trouve l’essence de la fatigue : l’acédie, c’est-à-dire la répugnance du charnel au spirituel, l’incapacité de diriger la volonté vers ce que nous voyons être le bien. C’est de cette fatigue que, peu à peu, la purification vient libérer, pour rendre « plus léger ».
« Moindre est la fatigue »
Moindre est la fatigue car peu à peu, l’être devient en adéquation avec ce qu’il est censé être, l’abîme entre la volonté et la destinée se réduit, et l’âme devient légère, de la légèreté que donne la liberté. Cette libération s’opère par la liturgie et le chant des Psaumes qui jalonne la montagne, et que les Anges servent de leur discrète et forte présence.
Tout ceci, Dante le contemple mais aussi se le voit expliquer par Virgile. Une chose lui reste cependant : faire lui-même l’expérience de la purification définitive. Ainsi, le reste, « je le tairai afin que tu le cherches » (Purgatoire, XVII, v. 139) lui dit son guide.
Illustrations: Gustave Doré, Illustrations de la Divine Comédie, 1868, Purgatoire ( La section des rives du purgatoire et la section troupe insolite)
References
↑1 | Purgatoire, IV, v. 90 |
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