Contrairement aux stars du ballon rond et autres disciplines populaires, les grands noms de la tauromachie restent souvent inconnus du grand public. La France compte pourtant, dans l’ignorance de tous, l’une des plus grandes stars des arènes, la jeune Léa Vicens, qui révolutionne sa discipline, la corrida de rejón (corrida à cheval), par sa grâce et son talent en cherchant à marier l’esthétique du dressage et la tradition de la corrida. Cette jeune femme porte avec une aura exceptionnelle l’amour de la beauté, les valeurs de courage et de panache, la communion avec le cheval, le respect pour le taureau et l’esprit de fête et de famille que cette tradition millénaire véhiculent dans tant de régions du sud de la France et de l’Espagne. Ce n’est donc pas un hasard si cette icône qui tant à rendre le monde de la tauromachie sympathique aux yeux du public est devenue la cible privilégiée des associations de défense des animaux. Léa est en effet citée à comparaître devant le tribunal correctionnel de Nîmes par la Société protectrice des animaux (SPA) pour « actes de cruauté envers les animaux ».
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Née le 22 février 1985 à Nîmes de parents cavaliers, Léa Vicens baigne depuis toute petite dans la tradition camarguaise de la tauromachie sans pour autant avoir le désir d’en faire sa profession. Lors de son année de terminale, elle est placeuse dans les arènes de Nîmes pour se faire de l’argent de poche. Elle est alors saisie par l’esthétisme de la corrida et se trouve travaillée par l’idée d’en faire sa vie. Dans un milieu restreint et fermé, elle entre en contact par un concours de circonstances, de rencontres et de hasards, avec Angel Peralta (1926-2018) et son frêre Rafael, pionniers et véritables maîtres de la discipline. Ceux-ci voyant Léa monter à cheval n’ont pas hésité à l’engager dans leur finca familiale en Andalousie pour s’occuper des chevaux. Devant son désir de toréer, ils la décourage dans un premier temps, la mettant face aux exigences économiques que cela représente (un cheval de rejoneo coûte des millions et il en faut une dizaine pour se présenter à une feria). Elle s’achète en secret un poulain qu’elle dresse dans la même discrétion et devant les résultats plus que prometteurs qu’elle obtient, elle se constitue petit à petit, en y mettant toutes ses économies et un travail acharné (une quinzaine d’heures par jour) une écurie de chevaux aux aptitudes exceptionnelles : quiebro (cadrage-débordement), pas de côté, détournements de charge, reculer… Léa n’a de cesse d’introduire des figures de la haute école dans ses combats, lui permettant de dominer la discipline les trois années précédant la pandémie de COVID.
Mise devant la contradiction que constitue le fait de tant aimer les chevaux et de les mettre en danger, elle répond que le cheval, herbivore, est naturellement une proie et possède instinctivement l’art de la fuite et de l’évitement. Le rejoneo n’est finalement que la mise en scène dans une arène de ce qu’il se passe dans une prairie lorsque le mâle d’un troupeau dispute un territoire à la manade. De même le dressage consiste à potentialiser des qualités que possède naturellement le cheval en lui donnant un surplus de confiance et de courage ; qualités que la sélection des lignés parachèvent. Léa témoigne, et cela semble évident en la voyant toréer, de la grande communion qui existe avec le cheval, cette expérience de ne « faire qu’un » face au danger permanent du taureau.
Et quel danger! Les taureaux qui participent à la corrida sont spécialement sélectionnés pour leur agressivité et leur violence. Leur passage près des palissades fait toujours passer un frisson dans les gradins. Ces animaux élevés en liberté, auxquels aucun attribut n’a été ôté, ont profité, leur vie durant de tout ce qu’un « état de nature » leur aurait donné. Or la nature est parfois violente. Léa montre un immense respect pour ces bêtes, en les affrontant, elle les regarde dans les yeux, les frôle, les touche. Elle s’émerveille de leur puissance et de leur vaillance et humblement leur offre une mort héroïque. De fait, le taureau qui a bien combattu est célébré autant que le torero et il n’est pas rare que le nom de certains d’entre eux reste dans le souvenir d’une arène pour de longues années. Le mot respect prend ici tout son sens. Trop souvent limité à la tolérance humaniste, à la bienveillance, on oublie son caractère de crainte mêlée d’amour, comme un marin respecte la mer et le montagnard, la montagne ; comme une équipe de rugby respecte son adversaire et le peuple hébreux craint son Dieu. Il est à noter que le taureau ne sort pas toujours perdant, Léa en a plusieurs fois fait les frais en chutant à plusieurs reprises et en souffrant une blessure aux cotes et au pied, renversée par un taureau en 2016 à Saragosse. Chaque fois, elle se relève plus inquiète pour la santé de son cheval que pour la sienne.
Pour les opposants à la corrida Léa Vicens est dangereuse parce qu’elle est charmante. Elle bat en brèche tous les préjugés d’un monde brutal, d’un spectacle de domination dopé à la testostérone, où pour les détracteurs plus raffinés et psychologisant, de la mise en scène d’une tragédie cathartique, sublimant le traumatisme de la mort. Or Léa n’a jamais été attirée par la corrida par un besoin exutoire, ce qui l’attire c’est de transformer l’extrême violence du taureau en douceur, comme en une danse.
Notre société est devenue sensible, sur ce sujet comme sur tant d’autres, peut être parce que, nous affranchissant de l’injonction du Plutarque, nous ne tuons plus jamais nous-même les animaux que nous mangeons. Bien-sur personne ne nie que la vision de la mise à mort d’un animal soit triste, tous nous y avons été sensible, mais personne ne le fait par plaisir, par sadisme ou par une cruauté maladive, personne dans le monde de la tauromachie dans tous les cas.
Non, Léa Vicens n’est pas une tortionnaire cruelle mais bien une amoureuse qui donne le meilleur d’elle par amour du cheval et par respect du taureau. Cela restera peut-être mystérieux pour nous, pauvres béotiens des villes, qui ne saurons jamais exulter devant une sortie triomphante a hombros (sur les épaules) par la puerta grande, et qui ne verrons qu’horreur moyenâgeuse dans les hommages des oreilles et des queues que collectionne désormais l’héroïne qui porte haut les couleurs de notre pays dans ce monde si festif et haut en couleur de la tauromachie.
Le tribunal a mis sont jugement en délibéré au 26 juillet. La SPA reproche « des blessures intentionnelles et graves volontairement infligées à un animal et des sévices qui ont entrainé la mort des taureaux. »