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Eido Alhussein, sculpteur de la compassion

Invité d’honneur à une exposition locale, je vais installer mes toiles. La superficie à couvrir est importante et je me mets au travail. Comme de coutume pour cette exposition, un sculpteur est également à l’honneur, un certain Eido Alhussein. J’ai presque fini ma mise en place, lui, à ce que j’apprends, n’est pas encore parti de son atelier. Le vernissage est pour bientôt…

Quelques heures plus tard, traversant le parc pour rejoindre la salle et les invités, je suis hélé par deux hommes qui sont assis sous un portique en bois. « Viens avec nous, viens boire un café… » Je ne les connais pas, j’accepte cependant l’invitation. Le café maison encore chaud sort d’une bouteille, la fumée embue les verres et aussitôt, les conversations fusent. Le ton est chaleureux, fraternel, les propos à la fois simples et profonds. Nous rions et sourions. Je viens de faire la connaissance de Eido et son ami fidèle, le peintre Inayat.

D’autres rencontres suivront, d’autres expositions également. Plus qu’avec beaucoup d’autres d’artistes rencontrés ces dernières années, j’avoue m’être senti « sur la même longueur d’onde » avec Eido et ses amis. Lorsqu’il a quitté Angers, un ami s’éloignait. Je suis heureux de le retrouver et de pouvoir vous le présenter à l’occasion de cette interview.

 

Eido Alhussein

 

Bonjour Eido, pourrais-tu brièvement te présenter?

Je suis sculpteur kurde portant la nationalité syrienne. J’habite en France avec ma famille depuis 2016. Nous avons quitté notre pays, la Syrie, en raison de la guerre, vers la Turquie, en 2013 et nous y sommes restés jusqu’à notre venue en France. Je suis titulaire d’une licence en droit et j’ai exercé le métier d’avocat en Syrie pendant 16 ans environ. J’ai étudié l’art à l’Institut de Fathi MOHAMMAD à Alep. J’ai participé à un grand nombre d’expositions collectives dans plusieurs villes syriennes, mais ma première exposition individuelle avait été organisée à la Salle d’Al-Khanji en 2010.

Je suis arrivé en France à la fin de 2016. Je me suis installé à Angers, à l’Ouest de la France, pendant trois ans au cours desquels j’ai participé à plusieurs expositions collectives et j’ai reçu plusieurs Prix, j’ai été hôte d’honneur dans plusieurs expositions et mon travail a été exposé dans quelques galeries. J’ai ensuite déménagé à Mulhouse, à l’Est de la France où j’habite actuellement. J’y ai organisé ma dernière exposition individuelle au mois de juin 2021 et c’est là qu’actuellement je continue mes activités artistiques.

 

 

Comment en es-tu arrivé à la sculpture?

Moi, depuis mon enfance, j’aime la sculpture plus que la peinture. Mon histoire avec la sculpture a effectivement et pratiquement commencé à Efrine en 2009 lorsque j’ai découvert les pierres d’Efrine qui est une petite ville kurde, située au Nord de Syrie et qui appartient au gouvernorat d’Alep. Les pierres de cette région m’ont impressionné avec leur forme naturelle attirante et leur suggestivité spontanée. C’est ce qui a créé en moi ces sentiments et cette passion envers la sculpture. Cette envie s’est approfondie de plus en plus quand j’ai commencé à les travailler. J’ai été surpris par leur beauté, leurs couleurs et leur nervosité. Leur harmonie, avec tous les ajouts que je faisais sur elles, (telles que les idées, les actions et les émotions) m’a également étonné.

Le peuple kurde a vécu et vit un destin tragique. Toi-même, tu as dû quitter ton pays et en traverser plusieurs avant de venir en France. Peux-tu nous parler de cette expérience?

Oui, être kurde signifie que la tragédie et la tristesse constitueront ta carte d’identité et que tu seras accompagné par la frustration et le racisme et cela sans aucune faute commise. En plus et avant tout, tu dois te renier rien que pour pouvoir vivre dans ton pays natal. Oui, depuis la nuit des temps, on exerce à notre encontre les moyens d’exclusion et de répression les plus abominables. Le peuple kurde qui compte plus de 50 millions d’habitants, fait partie des peuples dont les droits sont les plus bafoués sur cette terre. De cela, le monde entier est témoin muet. Tout le monde sait et voit ce qui se passe actuellement dans la ville d’Efrine et dans ses villages qui sont tous soumis à l’occupation et au changement démographique. On applique contre les habitants autochtones tous les moyens de tuerie, de pillage et d’expulsion coercitifs parce qu’ils sont des kurdes, c’est tout.

 

Femme Kurde

 

Au fur et à mesure de nos rencontres, mais aussi de celles avec ta famille, tes amis, j’ai été frappé par le naturel avec lequel l’art s’exprime chez vous, que ce soit le chant, la poésie, le dessin etc. L’expression de la beauté semble pouvoir s’inviter de manière simple à chaque instant de la vie. Pourrais-tu me dire qu’elle est la place de l’art dans l’âme kurde?

C’est vrai mon ami. Dans la question précédente, nous avons parlé du côté obscur et tragique exercé contre les droits des Kurdes, mais le côté spirituel et humain chez les Kurdes est très profond. C’est un peuple qui aime beaucoup la vie et il y est très attaché, mais il ne craint pas la mort et ses actes héroïques sont connus par le monde entier. Il possède une culture pleine de beauté, riche et très profonde. Cet esprit est dû à la beauté de l’environnement dans lequel il se trouve et ils sont connus comme habitants des montagnes. Cela se reflète dans l’art kurde en général. Par exemple, il y a les couleurs éclatantes et magnifiques dues aux broderies de fil d’or et d’argent dans les vêtements kurdes ainsi que dans les tapis et les nattes très réputées des Kurdes. Ce peuple a la passion de la musique, du chant et notamment la poésie lyrique où l’on trouve les épopées et les poèmes kurdes connus aussi. Il y a également la peinture et la sculpture qui montent très loin dans la civilisation du pays de la Mésopotamie.

Tu sculptes toute sorte de matériaux, comme le bois, la pierre, le fer et même le verre. As-tu une préférence pour l’un de ces matériaux?

C’est tout à fait vrai. Je travaille presque sur tous les matériaux, comme la pierre, le bois et les produits mixtes et même le verre, mais j’ai une préférence pour la pierre et j’adore la sculpter. Ce qui m’impressionne c’est la découverte de ses couleurs et ses belles veines cachées, surtout lorsque celles-ci se mélangent avec l’esprit qu’on y plante lors du travail, ce qui lui donne une vie et en fait une œuvre qui impose sa présence, sa grandeur et son immortalité à travers l’histoire et le temps.

 

 

De chacune de tes œuvres émane une certaine douceur, une tendresse. Peux-tu nous parler de cela?

Chaque œuvre travaillée constitue un état de fait et une entité indépendante en elle-même. Elle porte des caractéristiques et des aspects personnels et uniques qui sont pleins de traits de beauté et d’expression sur les deux plans fond et forme. C’est ce que je cherche toujours dans mes œuvres. Elles doivent porter en elles-mêmes toutes sortes de caractéristiques et d’effets qui imposent une présence belle et attirante et qui leur donnent la capacité de créer un dialogue et une communication avec le spectateur. Je crois que ta question prouve que je réussis largement à réaliser ce à quoi je pense et j’aspire.

 

 

Les visages de tes sculptures ont la caractéristique de « tourner sur eux-mêmes », (un peu comme ceux de Marc Chaggal en peinture), peux-tu nous dire quelque chose de cela? Quelle est la source de ton travail, d’où puises-tu l’inspiration?

Je comprends de ton expression « tourner sur eux-mêmes » que mes visages se révèlent et montrent de manière claire et lisible ce qu’il y a en eux comme les sentiments, les émotions latentes et profondes qui parlent de certaine vies humaines de manière bizarre et surréaliste. C’est ce qui fait qu’elles se rencontrent avec les visages du peintre Marc Chaggal. Je suis d’accord avec toi et je te remercie pour cette lecture, mon ami.

Quant à la deuxième partie de la question, bien entendu, le stockage culturel et optique en plus des sentiments et des émotions humaines, agissent sur moi et m’inspirent. En plus, il y a ma vision, ma lecture de la vie et de l’homme, et les développements scientifiques et techniques impressionnants de l’humanité jusqu’à présent jouent un rôle. C’est du côté positif et lumineux, mais il y a parfois un aspect négatif, inconnu et catastrophique de cette évolution et qui suscitent beaucoup de craintes et soulèvent beaucoup de question. L’homme a récemment commencé à en tenir compte et à vivre cela de manière claire. Ces aspects négatifs menacent la vie et l’existence humaine en entier.

Toutes ces affaires qui touchent la vie de l’homme m’inspirent, me poussent à travailler et à créer des œuvres artistiques qui les reflètent et qui méritent de recevoir leur influence.

 

 

J’ai eu la chance d’assister à plusieurs de tes expositions, et j’ai vu l’intérêt du public pour ton travail, un peu comme si ta sculpture exprimait quelque chose en quoi ils se reconnaissaient, une sorte de proximité avec ce que tu exprimes. Qu’en penses-tu? Tu as reçu de nombreux prix de sculpture, est-ce important pour toi que ton travail soit apprécié, reconnu?

En plus de ce que j’avais déjà dit, je peux affirmer que les sentiments, les questions et les états de fait suscités et soulevés par mes œuvres et mes visages sculptés ainsi que les valeurs optiques et esthétiques de celles-ci, sont des cas humains communs autour desquels beaucoup de gens et de spectateurs se rencontrent. Cela ouvre la porte à l’influence et à la communication entre l’œuvre et le spectateur de manière directe et efficace. C’est ce que je constatais et je regardais lors de mes expositions. Toi aussi, tu es d’accord avec cet avis et tu étais témoin de tout cela.

Il est sûr et certain que toute œuvre artistique qui n’arrive pas à s’approcher des gens et à attirer leur intérêt est une œuvre non réussie et n’a pas de valeur, d’autant plus que le public et les gens intéressés par l’art en France et en Europe en général sont porteurs d’une culture artistique et optique et sont capables de faire la distinction entre une bonne œuvre et une œuvre ordinaire et traditionnelle.

Merci Eido pour tes réponses amicales à mes questions. J’espère que la vie nous donnera d’autres rencontres et que beaucoup pourront découvrir ton travail.
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