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L’homme qui regardait les étoiles

Comme chaque année à quelques jours du grand saut dans le nouvel an, le Time magazine vient de dévoiler sa « Personne de l’Année » : Elon Musk. Le milliardaire Américain, dont la « fortune » est actuellement estimée à près de 300 milliards de dollars [1]Ce qui ne signifie pas que Elon Musk, tel Smaug sur son trésor, est assis sur cette fortune. Ce chiffre est la valeur estimée des parts que Musk possède dans un certain nombre de compagnie, et en … Continue reading , figure parmi les personnalités actuelles les plus controversées. Visionnaire, philanthrope et gourou pour les uns, monstre capitaliste et mégalomane pour les autres, on le connaît comme l’homme qui, avec Tesla, a fait passer la voiture électrique du rêve à la réalité et qui, avec SpaceX, a tourné à nouveau nos regards vers les étoiles. Ces dernières années, son influence est devenue telle que d’un seul tweet, comme autrefois les empereurs d’un geste de la main, il peut ruiner ou sauver une entreprise. Qui est vraiment Elon Musk ? Faut-il l’admirer ou le craindre ?

 

 

De Tesla à SpaceX en passant par PayPal, Solar City, The Boring Company et Neurolink, une telle nébuleuse d’entreprises gravitent autour du nom d’Elon Musk qu’il est parfois difficile de comprendre la trajectoire de sa carrière. Commençons donc… par la fin, puisque c’est la cause finale, nous rappelle Saint Thomas, qui est la première de toutes les causes. Quelle est la finalité de Musk ? Une chose est certaine (quoique surprenante et pour le moins paradoxale), ce n’est pas l’argent, pour lequel il n’a jamais montré un intérêt particulier. On le compare à Jeff Bezos qui est deuxième sur la liste des grandes fortunes et qui, comme Musk, est parti de rien pour créer un empire commercial qui n’en finit pas de s’étendre. Cependant, là où l’empire de Bezos s’étend horizontalement, la croissance d’Amazon écrasant ou absorbant peu à peu ses concurrents, celui de Musk s’étend… verticalement.

En effet, sa ligne d’horizon, si elle est bien de ce monde, n’est cependant de cette terre. Dans les bureaux de SpaceX (abréviation de « Space Exploration »), Elon Musk a trouvé le moyen de maintenir cette finalité constamment sous les yeux de ses quelques dix mille employés sous la forme de deux immenses « photographies ». La première représente Mars telle qu’elle est aujourd’hui : la planète rouge. La seconde représente Mars telle qu’elle pourrait devenir si l’on parvient à la réchauffer et ainsi à faire fondre la glace qui la recouvre : c’est une terre semblable à la nôtre, avec ses continents, ses forêts et ses déserts, ses océans. Pour beaucoup, cela semblera une utopie digne de la science fiction la plus fantaisiste. Pour Elon Musk, c’est un objectif auquel il a voué sa vie et pour la réalisation duquel il est décidé a jouer un rôle décisif.

 

 

Une question se pose inévitablement. Pourquoi ? Elon Musk donne plusieurs réponses à cette question. Tout d’abord, explique-t-il, si l’humanité, déclenchant son arsenal nucléaire, détruit son habitat naturel, il lui faudra une solution de repli. Un tel raisonnement peut paraître abstrait, mais il ne l’est pas pour Elon Musk, qui parle de ces choses avec le plus grand sérieux. D’une part, il semble doué d’un cerveau qui n’hésite pas, dans ses raisonnements, à s’aventurer dans le futur, à 20, 40, 60 ans de notre époque. De l’autre, il se montre assez réaliste, hélas, sur la nature humaine et sa capacité d’autodestruction. Pour autant, il n’est pas pessimiste, et c’est la seconde raison, la plus importante, qui sous-tend son projet de colonisation de la planète rouge : il faut y aller, simplement parce que nous sommes humains et que c’est dans la nature de l’intelligence humaine de chercher toujours plus loin, plus haut, et d’explorer toutes les « terra incognita » du réel. C’est peut-être l’aspect le plus frappant de l’entrepreneur Elon Musk : il n’est poussé ni par la recherche du profit, ni par un développement aveugle des technologies, mais par son appréciation de la nature humaine.

Rien ne prédestinait Elon à la position qui est la sienne aujourd’hui. Né en 1971 à Pretoria, en Afrique du Sud, Elon reçoit de son père, pilote et ingénieur, ses premières expériences formatrices. Autiste et introverti, Elon est le souffre-douleur de sa classe. Si ses résultats scolaires ne sont pas particulièrement brillants, malgré une mémoire capable de retenir virtuellement tout ce qu’il lit, c’est que Elon se montre très tôt extrêmement sélectif, investissant tous ses efforts dans la physique et les mathématiques, se contentant pour les autres matières des notes minimums requises pour passer de niveau. Il se passionne pour la lecture (notamment pour Le Seigneur des Anneaux – il s’essaye même à l’écriture d’un roman de fantasy !) ainsi que pour les jeux vidéos et la programmation (domaine dans lequel il se fait un nom alors qu’il n’a encore que 12 ans). On retrouvera l’influence de ses premières passions dans l’imagination extraordinaire qu’il déploiera plus tard au service de ses objectifs – avec cette étonnante capacité qui est la sienne de s’aventurer dans le futur sans perdre pied avec la réalité. En 1989, il part pour le Canada (d’où sa mère est originaire) dans le but de se rapprocher des Etats-Unis. Il arrive sans le sous et pendant plusieurs années il enchaîne les petits boulots.

 

 

En 1995, en pleine « gonflée » de la bulle internet, il fonde, avec quelques amis, sa première compagnie, Zip2, un service qui tient à la fois de Google Map et de Yelp et qui permettait aux vendeurs d’être listés sur Internet. Le démarrage est lent, difficile, mais Elon Musk est fort de deux atouts qui lui réussiront à chaque entreprise : d’une part il est riche d’une imagination qui lui permet de se projeter dans l’avenir et d’entrevoir le potentiel des nouvelles technologies, d’autre part il n’en reste pas au concept mais, ingénieur de profession et de passion, il s’implique jusque dans les détails les plus techniques des produits qu’il conçoit. Après quelques années houleuses, Zip2 décolle et la compagnie est rachetée par CompaQ pour 300 millions de dollars. Cette somme, qu’il partage avec les autres membres de la compagnie, est aussitôt réinvestie par Elon Musk dans sa deuxième fondation : le premier système bancaire intégralement sur Internet, X.com (qui deviendra PayPal). A nouveau, son entreprise fait d’abord sourire le monde de la finance. Tous les géants bancaires se tiennent sur sa route, ainsi qu’une montagne de régulations, mais Elon et une poignée d’amis ne se laissent pas intimider, et avec le temps leur détermination paye : fondée en 99, la boite est rachetée 3 ans plus tard par eBay pour 1.5 milliards de dollars.

C’est alors que commence pour Elon l’étape décisive. Bien que sa première passion fût le jeu vidéo, il écarte rapidement l’idée d’investir son temps et son argent dans ce domaine. Il lui importe en effet que son travail ait du sens, qu’il contribue positivement au monde et à la culture. Il se désole de voir le pessimisme gagner tous les esprits. L’exploration de l’espace lui semble un domaine laissé en friche au lendemain de la guerre froide et qui, cependant, est à même de rallumer une curiosité, voire un enthousiasme pour l’avenir. Personne ne prend alors au sérieux ce millionnaire sympathique, certes, mais solitaire et excentrique, et qui prétend faire son trou dans une industrie contrôlée alors par trois géants derrière lesquels se tiennent les gouvernements américains, russes et chinois. Cependant, même les géants ont leur talon d’Achille, que Elon découvrira rapidement : les entreprises d’état telles que la Nasa s’alourdissent avec les années d’une bureaucratie qui tue l’innovation, et de coûts de production exorbitants que leurs budgets virtuellement illimités ne les ont jamais forcés à diminuer. SpaceX (fondé en 2002) rentre dans le monde de l’exploration spatiale par la petite porte et, d’année en année, l’entreprise se taille la part du lion en manufacturant elle-même, en Californie, la quasi intégralité de ses fusées (ce qui leur permet de réduire de moitié les coûts de production).

Si le CV s’arrêtait-là, il serait déjà assez impressionnant, mais il faut ajouter que c’est à la même époque (2003) que Elon se lance dans la voiture électrique avec la fondation de Tesla Motors. À nouveau, il s’attaque, avec une poignée d’amis, ingénieurs et informaticiens aussi passionnés que lui, à une industrie que dominent des géants, en l’occurrence Ford et General Motors. À nouveau, il ignore les critiques et il avance. Comme pour SpaceX, la motivation qui l’anime tient à la fois de sa passion pour la mécanique et la technologie, avec le désir de pousser toujours plus loin les limites du possible, et de son désir, non pas de prendre le contrôle d’une industrie, mais de la transformer pour le mieux. Notre planète toute entière marche à l’énergie solaire, remarque-t-il souvent. Il est temps que nous nous libérions de notre dépendance au pétrole et au gaz (qui ne sont pas inépuisables) pour tirer le meilleur parti de cette ressource. La logique de Musk est simple : puisque la conversion devra se faire tôt ou tard, autant orienter nos efforts dans cette direction dès aujourd’hui. Et lorsqu’il affirme que son désir est de faciliter cette conversion, et non de créer un empire à la Jeff Bezos, ce ne sont pas que des mots : Elon Musk a pris l’étonnante décision, d’un point de vue strictement commercial, de mettre en accès libre et gratuit toutes les technologies qui entrent dans la conception de ses voitures, afin que les ingénieurs dans le monde entier puissent bénéficier des découvertes et innovations de Tesla.

 

 

Bref, il serait impossible de dessiner, en si peu de lignes, le portrait de cet homme qui, en cinq décennies, a déjà tant accompli. Il faudrait encore ajouter qu’il est père de sept enfants (dont le premier est mort en 2008 de la « mort subite du nourrisson »). D’une exigence souvent épuisante pour ses collaborateurs, il est à la fois admiré et redouté de ses employés. Il ne supporte pas les réunions inutiles, et peut répondre par un « OK » laconique à un email portant à son attention plusieurs mois de travail intense. Lorsqu’on lui demande ce qui, selon lui, est le plus important dans la vie, il répond : « Apprendre à se tenir en face de la réalité en posant de bonnes questions. » Quelle est la chose dont il se méfie le plus ? « Le wishful thinking, qui consiste à considérer une chose vraie simplement parce qu’on veut qu’elle le soit. » À côté de cela, tous ceux qui le connaissent sont unanimes à saluer son humour bon-enfant, sa sensibilité et son humilité — qualités qu’ont sans doute contribué à ancrer et à sauver en lui une enfance difficile, le handicap d’une certaine forme d’autisme et surtout une famille dont il est toujours resté proche et des amis auquel il garde une grande loyauté. Si l’on se demande après cela pourquoi il a tant de détracteurs (chose d’autant plus surprenante que ceux-ci se rencontrent surtout, aux Etats-Unis, dans les rangs de ceux qui font de l’écologie une véritable religion) c’est, entre autres, parce qu’il refuse à jouer le jeu de l’idéologie et garde ses distances avec la politique et notamment avec l’idéologie « woke » — dont il se moque avec une grande liberté. Son interview pour le Time, à l’occasion de sa nomination pour « Person of the Year », a fait une fois de plus grincer les dents lorsqu’il a affirmé être en faveur du vaccin mais résolument contre son imposition par la force.

Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, il est difficile de rester indifférent face à Elon Musk, cet enfant de cinquante ans qui parle de la colonisation de Mars comme d’autres parlent de leurs projets de vacances. A la question de savoir s’il serait prêt lui-même à entreprendre le grand voyage, Elon répond avec son humour habituel : « Bien sûr, j’aimerais bien mourir sur mars – à condition que ce ne soit pas au moment de l’impact ! »

 

Pour un bref portrait du personnage, de ses accomplissements et sa philosophie :

 

Pour un entretien plus général sur Elon Musk et les raisons qui l’ont poussé à fonder Tesla, SpaceX, etc.

References

References
1 Ce qui ne signifie pas que Elon Musk, tel Smaug sur son trésor, est assis sur cette fortune. Ce chiffre est la valeur estimée des parts que Musk possède dans un certain nombre de compagnie, et en particulier Tesla, dont il est le fondateur et qui emploient plusieurs dizaines de milliers de personnes. Ce n’est pas une valeur qu’il a amassée mais qu’il a créée
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