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« Ce que le peuple Ukrainien a semé en moi », témoignage d’une volontaire

Martha Mamani, volontaire avec l’Association Point-Cœur en Roumanie depuis 15 ans, partage à travers cet interview son expérience de volontariat à la frontière ukrainienne.

 

 

Depuis combien de temps habites-tu en Roumanie ? Comment as-tu connu cette association avec laquelle tu as travaillé en Ukraine ?

Je m’appelle Martha, je suis Argentine et j’habite en Roumanie depuis 2007, en tant que volontaire de l’œuvre Point-Cœur qui existe à Deva depuis 1994. Il y a quatre ans, nous sommes arrivées avec une jeune volontaire roumaine pour offrir un lieu d’amitié pour les étudiants universitaires de la ville de Cluj. Pendant les trois mois de confinement, sachant qu’il y avait beaucoup de personnes âgées qui étaient seules sans pouvoir sortir à cause de leurs problèmes de santé, nous avons décidé d’aller à leur rencontre via un ami qui travaille dans l’Ordre de Malte. Ainsi, chaque jour nous allions distribuer des repas et chaque fois nous découvrions le nombre de personnes qui étaient seules dans cette ville, et que le plus difficile pour elles n’était pas vraiment la Covid-19, mais le fait qu’elles n’avaient aucun contact avec qui que ce soit. L’année dernière, j’ai commencé à travailler avec l’Ordre de Malte en tant qu’animatrice socio-éducative pour former un groupe de jeunes volontaires.

Pourquoi es-tu partie à la frontière pour vivre cette expérience ? Suite à des rencontres, à des besoins… ?

En Février, lorsque la guerre a commencé, l’Ordre de Malte a été l’une des premières associations à arriver à la frontière ukrainienne, constatant le nombre d’Ukrainiens qui traversaient la frontière et le besoin de volontaires pour organiser leur séjour et les accueillir 24 heures sur 24 . C’est ainsi que je suis arrivée les premiers jours de Mars. D’abord à Sighet, où la plupart des Ukrainiens sont passés à pied après de longues files d’attente pour quitter leur pays, ils sont venus en train ou en bus jusqu’au village qui se trouve à la frontière roumaine et ont ensuite marché quelques kilomètres pour passer. Puis, je suis allée de l’autre côté de la Roumanie, à Siret, la frontière plus proche de la zone de guerre, où encore plus de gens sont arrivés avec des bus de transport longue distance.

Quelle expérience t’a le plus marquée pendant ce travail ? Quels visages gardes-tu en toi de ce séjour?

Je me souviens d’une mère ukrainienne qui est venue avec deux petits enfants et un bébé dans les bras après la longue file d’attente pour quitter son pays avec ses enfants en laissant son mari. L’enfant de 6 ans n’en pouvait plus, il pleurait d’épuisement. Avec les jeunes qui étaient là pour les accueillir, nous avons offert à l’enfant de la compote de fruits, un chocolat Kinder et un petit jouet, l’enfant s’est arrêté de pleurer et a souri à son frère de deux ans, à ce moment-là la maman a commencé à pleurer en tournant le dos à ses enfants, et en nous confiant son bébé.

Quelques-uns des jeunes ont commencé à jouer avec les enfants et je suis restée avec la maman, nous ne parlions pas la même langue, mais elle m’a regardée, a pleuré et a raconté en ukrainien ce qu’elle vivait. Je l’ai simplement regardée, lui ai pris la main et lui ai offert une chaise pour qu’elle s’assoit et pour écouter sa souffrance jusqu’à la fin. Elle s’est levée pour faire les démarches que nous devions entreprendre ensemble pour obtenir un transport et un endroit où dormir. Quand nous nous sommes séparées, elle a dit merci beaucoup en ukrainien.

 

 

Comme elle, il y avait beaucoup de mères célibataires qui passaient par là et il était presque impossible de prendre du temps pour chacune d’entre elles. Beaucoup d’entre elles étaient très courageuses pour toutes les formalités administratives qu’elles devaient remplir, mais ensuite, dans l’attente du transport, alors que nous leur offrions un thé chaud, elles se sont mises à pleurer.

Une autre rencontre qui m’a beaucoup touchée est celle où, pendant la nuit, un policier des frontières est venu nous demander de la soupe chaude et du thé chaud, sa façon de demander était très pressante. Nous nous sommes donc dépêchés de faire chauffer la soupe et de servir le thé et nous sommes partis à la recherche de ce policier, il nous a indiqué une tente, nous a fait entrer et il y avait deux hommes, un jeune et un plus adulte. Nous avons commencé à parler un peu en roumain/italien/anglais … l’important étant que nous puissions communiquer. Ils nous disent qu’ils ont traversé la rivière à la nage et que plusieurs ont été abattus par la police des frontières. Les hommes âgés de 18 à 60 ans ne sont pas autorisés à quitter le pays.

Mais le plus jeune des hommes nous a dit que sa mère et sa femme avaient déjà quitté le pays il y a quelques mois et que sa femme était sur le point d’accoucher et qu’il voulait être proche d’elle, c’était son premier enfant. Mais il avait peur de traverser la frontière, alors il a demandé à son père de l’accompagner, et ils ont pris le risque ensemble de traverser la frontière. Le père a été blessé, mais Dieu merci rien de grave, les yeux pleins de peur et en même temps reconnaissants d’être en vie. Nous essayons de les calmer en leur disant qu’ils recevront toute l’aide nécessaire pour pouvoir rejoindre leur famille. Ils ont très froid car les températures sont encore très basses et surtout la rivière Tisa est très froide. Ils passeront la nuit dans un centre pour obtenir des passeports. Le jour suivant, ils retournent à la frontière pour le transport vers Bucarest, c’est le moment où ils nous ont vus, ils étaient si heureux de nous revoir, alors nous avons passé du temps ensemble. C’était comme si nous nous connaissions depuis toujours.

Ce qui m’a le plus marquée, c’est l’humanité et la générosité du peuple roumain. De nombreux volontaires passent des journées sans dormir pour pouvoir aider à la frontière et beaucoup de familles viennent et laissent des pots pleins de sarmales [1]mets traditionnel roumain ou de soupe chaude pour que nous puissions les offrir à tous ceux qui arrivent. Au fil des mois, nous sommes devenus une famille avec ceux qui travaillaient et avec les bénévoles des différentes associations. Nous étions tous là pour aider et nous soutenir mutuellement. Ce fut une expérience extraordinaire d’unité et d’amitié. Une autre chose qui m’a beaucoup marqué, ce sont les visages des Ukrainiens, qui étaient très surpris par la générosité et l’accueil.

Ayant vécu cette expérience auprès du peuple ukrainien, de quoi penses-tu que ce peuple ait le plus besoin en ce temps d’épreuve ?

Le peuple ukrainien a besoin d’être écouté, d’être reconnu dans toute sa dignité. Les regarder avec tout ce qu’ils sont et pas seulement comme des gens dans le besoin. Leur donner la possibilité de se prendre en charge et d’aider ceux qui arrivent, où ils peuvent participer à la préparation des repas ou dans les dortoirs où d’autres personnes arriveront, en reconnaissant les dons de chacun pour les mettre au service des autres.

 

 

Qu’est-ce que tu as appris du peuple Ukrainien, quelle est sa grâce ? Comment vit-il cette épreuve ?

Ce que le peuple Ukrainien a semé en moi, c’est un amour toujours plus grand pour sa terre et ses habitants. Je pense que la grâce qu’il me laisse c’est la dignité avec laquelle il reçoit et vit tout ce qui lui est donné.

 

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1 mets traditionnel roumain
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