De tous temps, les cendres ont représenté la mort. Elles sont le signe de notre condition humaine, un rappel de notre péché. Elles se sont aussi éparpillées tout au long de mon chemin. Dès mon enfance, je me souviens de l’odeur suffocante du maquis provençal en feu. Les cendres virevoltaient à tout vent. Un paysage de désolation s’offrait à mes yeux. C’est de cet enfer qu’est née ma vocation de pompier. La lecture du livre Au nom de tous les miens avait aussi laissé une forte impression en moi. Le destin tragique de Martin Gray, dont toute la famille avait été déportée et péri dans les chambres à gaz de l’holocauste juif, et la perte des années plus tard de sa femme et de ses enfants, encerclés par les flammes dans le sud de la France, donnaient à sa vie un goût d’absurdité. Longtemps, je me suis demandé comment il avait pu survivre à tous ces drames. Lui était-il possible de renaître de ces cendres?
Enfin, me revient en mémoire le jour où ma mère fut incinérée, jour de deuil, jour de vide. La voilà réduite en cendres, celle qui m’a donné la vie. “Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière”. Les cendres, nées d’un feu dévorant, brûlant tout sur son passage. Et pourtant, de ce foyer ardent peuvent jaillir des étincelles d’Espérance ; les cendres deviendront le terreau sur lequel la vie reprendra racine. Alors que je trouvais illusoire d’imaginer la poussière porter du fruit, la vie et l’exemple de Takashi Nagaï ont converti mon regard.
Ce médecin japonais, converti à la lecture des Pensées de Pascal, survivant de la bombe atomique lancée sur Nagasaki, témoigne d’une espérance intacte : « De l’hôpital, il entend des plaintes s’élever de partout et il voit la cathédrale Sainte-Marie en feu ainsi que le quartier d’Urakami qui est le quartier des chrétiens où se trouve sa maison. Il pense à Midori, il sait qu’elle l’a quitté. Deux jours après la destruction de Nagasaki, le 11 août, enfin le Docteur Nagaï retourne chez lui. Au milieu des tuiles brisées et d’un amoncellement de cendres, il retrouve dans la cuisine quelques restes carbonisés de Midori. Ramassant un seau tordu par la chaleur, il s’agenouille pour rassembler ses os et prie en sanglotant, lui demandant pardon de n’être pas venu tout de suite. Il aperçoit les restes d’un chapelet dans la main droite de sa femme » . [1]https://www.notrehistoireavecmarie.com/fr/esc/docteur-takashi-nagai-un-appel-a-la-paix/
Il écrira dans Les cloches de Nagasaki : « Mon Dieu, je vous remercie de lui avoir permis de mourir en priant. Marie, mère des douleurs, merci de l’avoir accompagnée à l’heure de la mort. Jésus, tu as porté la lourde croix jusqu’à y être crucifié. Maintenant, tu viens de répandre une lumière de paix sur le mystère de la souffrance et de la mort, celle de Midori et la mienne. Étrange destinée : j’avais tant cru que ce serait Midori qui me conduirait au tombeau. Maintenant ses pauvres restes reposent dans mes bras. Sa voix semble murmurer : pardonne, pardonne ». [2]https://terredecompassion.com/2015/08/09/nagasaki-de-la-tourmente-a-lesperance/
À Takashi Nagaï ont été révélées grâce, miséricorde et salut, trois réalités encore inconnues pour la plupart des japonais ; la traduction de ces mots en langue nippone n’existe même pas. À Nagaï a été donné de découvrir le sens profond des cendres. Tout autour de lui ne régnait que terreur. Le voilà au seuil de l’enfer, jusqu’à découvrir le corps de son épouse Midori, calciné par les effets de la bombe atomique. Elle, fidèle jusqu’au bout, instrument de la conversion de son mari, ne flancha jamais. De même que la vie du Christ ne peut se contempler sans le visage de la Vierge Marie, de même Nagaï puise tout ce qu’il est dans l’exemple de la vie donnée de sa femme. C’est sa prière qui l’a accompagné, son intercession qui l’a soutenu, son amour qui l’a porté. Le oui de Midori a éclairé toutes les tragédies de leurs vies. Comme le jour où son mari lui annonce être malade :
« Bientôt, il commence à voir des signes inquiétants sur ses mains et à souffrir d’épuisement. Le résultat de ses radios est effrayant. Annoncer à Midori cette leucémie, qui, médicalement ne lui donne que trois ans de vie, le déprime. Mais Midori réagit avec une telle grandeur d’âme qu’il repart le lendemain à son département de radiologie rempli de force. « Je m’y attendais, lui dit-elle, nous vivons et nous mourons pour la gloire de Dieu. » [3]https://www.notrehistoireavecmarie.com/fr/esc/docteur-takashi-nagai-un-appel-a-la-paix/
Par le sacrifice de celle qui l’a toujours aimé, il peut se tenir au pied de sa croix et recueillir les cendres de sa bien-aimée. À son tour, sans flancher.
Ce qui ne meurt jamais : voilà le sens que revêtent les cendres qui seront déposées aujourd’hui sur nos fronts. Pour que la mémoire perdure. Comme une semence d’Espérance. Signe que l’Amour et la Miséricorde sont les seules réponses pour convertir totalement nos cœurs.
Le sacrifice des époux Nagaï a transformé l’horreur de Nagasaki en sacrifice pour la paix. Un procès de béatification vient de s’ouvrir. Pour en savoir plus