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Le samedi 30 septembre, une semaine avant le début tragique de l’embrasement actuel en Terre Sainte, se déroulait à Beyrouth une soirée de présentation de courts-métrages récents réalisés par de jeunes artistes libanais. 

Dans le cadre du festival du film européen à Beyrouth, promu par les ambassades de dix-huit pays européens auxquels s’est jointe la Suisse, entraient ce soir-là en compétition douze films d’une longueur variant de trois à vingt-cinq minutes, dont quatre œuvres d’animation.

 

Les soirées courts-métrages sont toujours un peu risquées. On s’y trouve exposé, sans les avoir choisies soi-même, à une salve d’œuvres qui n’ont pas dû passer par la même quantité de filtres que les productions classiques, de telle sorte que bien des raisins encore verts peuvent y agacer les dents. La quantité même des œuvres cependant et leur fraîcheur procure une coupe transversale de l’âme du pays, une fenêtre sur l’état d’esprit d’une jeunesse dont les artistes sont en quelque sorte le baromètre. Par quoi sont préoccupés les jeunes Libanais, que sont leurs craintes et leurs espoirs ?

Talk To Me

Premier aspect étonnant pour une jeunesse qui se sent littéralement contrainte à l’exil, les œuvres projetées ne dégageaient pas de désespoir, ou cette noirceur cynique qu’on perçoit parfois en Occident. Tout en mettant en jeu un rapport intense au réel, elles transmettaient une charge émotive puissante. D’autre part, les problématiques dites « mainstream » et leurs prétentions parfois envahissantes à la rééducation du public étaient absentes de la sélection. Les douze réalisateurs ont fait un honnête travail d’artiste, allant de la pure esthétique de Sabina Boutros (Refraction) au drame familial de Ribal Chedid (Talk to Me).

 

Tramway Beirut

Deuxième surprise, la forte présence du lien à la famille et à la tradition, soit à travers la nostalgie des grands-parents, la question lancinante de leur départ et de la perpétuation de leur amour (Tramway Beirut, Hawr, For You in Silence), soit à travers la douleur d’un rapport faussé au père (Talk to Me).

Crown Man

 

Si ces derniers films faisaient la part belle au désir d’apprendre à lâcher prise et à faire son deuil, c’était aussi le cas du très intense Crow Man (vainqueur aussi bien d’une récompense officielle que du prix du public), mettant en scène la lutte inégale entre une fillette et la mort venue chercher son grand-père. Il est consolant de voir la victoire de cette petite parabole au style violemment contemporain mais à la conclusion pleine d’espérance, qui exalte l’acceptation de la vie avec ses luttes et ses mystères plutôt que la révolte tous azimuts ou l’activisme en roue libre.

2019

La crise économique et politique bien sûr, qui étrangle le pays depuis maintenant quatre ans, était de la partie. Les deux dessins animés Let’s Go Home et 2019 en rendaient compte d’une manière saisissante, le premier sous la forme d’un voile d’obscurité porteur d’une indicible angoisse, l’autre comme une flamme d’abord guère plus grande qu’une étincelle, qui bientôt se déploie en incendie dans la vie de ceux qu’elle effleure.

Dernière remarque sujet d’étonnement pour ce pays à la foi si vive, le sens religieux n’était, hormis le lien à la mort déjà évoqué, guère présent dans les douze œuvres qu’à travers une profonde nostalgie du contact avec la nature.

Let’s Go Home

Seul l’art pouvait porter un tel regard sur la situation du Liban, témoignant sans parti pris du mélange d’ombre et de lumière, d’angoisse et d’espérance qui saisit sa jeunesse. Voilà qui ranime un peu d’espoir pour le futur, au milieu d’une situation locale et régionale tourmentée.

 

 

S’il est difficile de faire quelque pronostic que ce soit, quelques faits néanmoins sont dignes d’intérêt, donnant des clefs pour la crise actuelle:

  • L’économie du pays est exsangue, le PIB s’étant contracté d’au moins 50% depuis 2018. Cependant, une économie parallèle dollarisée s’est mise en place, et le pays fonctionne tant bien que mal, signe de la capacité d’adaptation phénoménale des Libanais. Le journal « Ici Beyrouth » notait goguenard il y a quelques jours que le marché de change, qui a vu la monnaie locale chuter vertigineusement face au dollar puis faire du yoyo dans les abysses (autour de un à deux pour cents de sa valeur originale), reste maintenant stable au milieu de la tourmente géopolitique qui agite la région. « Only in Lebanon », comme on dit…
  • La crise politique se poursuit, avec l’incapacité du parlement de trouver un consensus pour l’élection du président, prolongeant de facto une situation intenable de vide gouvernemental depuis plus d’un an et demi. L’équipe précédente se borne à expédier les affaires courantes.
  • On estime que presque la moitié de la population actuelle est constituée de réfugiés, la plupart syriens, qui déséquilibrent de manière significative les rapports de force complexes entre confessions, outre à alimenter chez les Libanais un sentiment croissant d’injustice.
  • Le pays continue de servir bien malgré lui de caisse de résonance aux conflits qui déchirent la région, à cause notamment de la présence du Hezbollah et d’autres acteurs politiques subventionnés par des pays du Golfe. Il est à noter aussi que le Sud Liban est enlisé depuis la guerre de 2006 dans un conflit larvé alimenté par des échanges de tirs et différentes échauffourées sour le regard parfois impuissant des 10 000 soldats de la FINUL présents sur place. La peur de l’embrasement de toute la région est omniprésente. La situation Israélo-palestinienne et cette guerre de basse intensité à la frontière de l’état d’Israel replonge le pays dans la triste perspective de bombardements ciblés sur toutes les infrastructures libanaises (ponts, autoroutes, centrale électrique, aéroport) comme ce fut le cas lors de l’incursion éclair de l’aviation israélienne en 2006. À la crise politique et économique pourraient s’ajouter des destructions plongeant définitivement le pays dans le marasme.
  • Comme nous mettons sous presse, le New York Times informe que le Président Biden aurait demandé à Israël d’éviter toute attaque contre le Hezbollah qui pourrait faire basculer le Liban dans la guerre.
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