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La Vierge de Fatima visite l’Ukraine

En octobre, mois du Rosaire, sur la demande de son évêque, Maxim Riabuha, le père Alexandre Bogomaz a sillonné une partie de l’est de l’Ukraine (Donbass, Zaporijia, Dnipro…) avec la Vierge pélerine de Fatima pour visiter toutes les paroisses grecques-catholiques en leur proposant de se consacrer à son cœur immaculé.

Le père Alexandre Bogomaz, jeune prêtre de 34 ans de Melitopol nous livre à travers cet interview cette expérience de mission, sa vie de prêtre pendant l’occupation, et son sacerdoce en temps de guerre.

 

Le père Alexandre Bogomaz

 

Pouvez-vous nous raconter les circonstances de cette mission et comment s’est-elle déroulée ?

Nous avons reçu la Vierge de Fatima de la paroisse de la Nativité de la Vierge de Lviv qui a été spécialement bénite à Fatima pour l’Ukraine. J’ai passé 4 semaines seul ou avec des jeunes choristes de l’UCU à visiter les paroisses des régions de Donetsk, de Zaporijia, et de Dnipro (environ une trentaine de paroisses).

Le déroulement était simple : sainte liturgie et confessions (très nombreuses), enseignement sur le chapelet, puis récitation du chapelet médité, adoration du St Sacrement et enfin prière de consécration à la Vierge* dite par le prêtre de la paroisse locale (avec promesse de réciter le chapelet chaque jour, de se confesser et de participer à la liturgie chaque premier samedi du mois pendant 5 mois, comme l’a demandé la Vierge à Fatima). Tout cela durait en moyenne 3 heures.

Nous avons été dans des lieux parfois bien isolés. Les personnes rencontrées étaient très touchantes, très simples, portant un grand poids de souffrance : la plupart sont des personnes déplacées (pour certaines cela fait deux fois qu’elles ont perdu leur maison en 2014 puis en 2022), dont les familles sont dispersées (souvent les parents et grands-parents sont encore dans les territoires occupés), ou bien les personnes viennent de ces petites villes ou villages qui ont été entièrement détruits sur la ligne du front. Beaucoup vivent dans l’angoisse des bombardements.

Les gens priaient à genoux, humblement, demandant l’intercession de la Vierge de Fatima, pleuraient parfois (très discrètement, mais on entendait presque les larmes couler) : même une petite fille qui ne devait pas avoir plus de 6 ans pleurait doucement en prononçant le nom de Jésus pendant l’adoration.

 

À Dnipro

 

Il y a presqu’un an vous avez été expulsé par l’armée russe de votre paroisse de Melitopol. Ce départ dramatique a un lien avec votre amour pour La Vierge Marie et le chapelet. Pouvez-vous nous en parler ?

Lorsque pour la première fois, j’ai porté la Vierge de Fatima dans une paroisse, je me suis soudain rappelé la promesse que j’avais faites à la Mère de Dieu en décembre 2022 lors de ma déportation de Melitopol. Les 9 mois d’occupation ont été très difficiles avec les pressions constantes des services spéciaux et des militaires russes, mais j’avais pris la décision de rester pour mes amis, ma paroisse. J’avais même commencé à faire les démarches pour obtenir le passeport russe (condition pour pouvoir rester), ce qui fut une des décisions les plus douloureuses de ma vie. J’avais demandé à mon évêque ce que je devais faire, mais il m’a dit : toi seul peux prendre cette décision. En priant, j’ai eu la certitude que Dieu me disait :  ne crains pas, tu prendras la bonne décision. Deux jours après ces démarches, j’ai été expulsé. Un matin, en voyant les soldats russes arriver, je me suis dit : ça y est, c’est mon tour (auparavant, les 3 seuls prêtres grecs-catholiques qui avaient décidé de rester, l’un avait déjà été expulsé et les deux autres prêtres Rédemptoristes de Berdiansk ont été mis en prison et jusqu’à aujourd’hui nous sommes sans nouvelles d’eux). Les soldats russes m’ont donc embarqué et déposé dans cette zone grise, non loin du front en disant : l’Ukraine, c’est par là. C’est là, traversant à pied la ligne de front que j’ai promis à la Vierge de diffuser la prière du chapelet si je m’en sortais vivant. Et ce fut un miracle : sur mon chemin, j’ai d’abord rencontré un grand-père qui m’a dit où passer pour éviter les mines, puis lorsque le soir tombait après 3, 4 heures de marche (c’était l’hiver) et la détresse de se faire peut-être tuer par les siens, j’ai entendu une voix crier : « Père Sachko ! » C’était un de mes jeunes paroissiens, soldat, qui m’avait reconnu… J’ai ensuite était emmené à Zaporijia où je continue maintenant mon ministère.

 

Père Sachko préparant la sainte Liturgie dans un dispensaire médical près du front

 

J’ai toujours aimé la prière du chapelet mais j’avais oublié cette promesse de faire sa diffusion et lorsque j’ai reçu la statue de Fatima, c’était comme si la Vierge me disait : « Maintenant, c’est l’heure d’accomplir ta promesse ! »

Tout le temps d’occupation a été vécu dans un grand stress et angoisse mais aussi dans un esprit intense de prière et de jeûne, un désir de prière continue. Dès le début de la guerre le 24 février, dans notre paroisse nous avons organisé l’adoration perpétuelle du St Sacrement ainsi que le chapelet et cela durant tout un mois. Puis beaucoup de nos paroissiens sont partis mais d’autres personnes sont arrivées.

Je rends grâce à Dieu d’être catholique, de nous avoir offert la prière du chapelet. J’ai beaucoup d’amis protestants qui n’ont pas la grâce de ce trésor immense et je constate qu’ils vivent ce temps de souffrance plus difficilement.

Je rends grâce à la Vierge pour cette prière qui me soutient tant.

J’ai beaucoup d’amis qui sont morts, beaucoup d’amis soldats sur le front, d’amis qui nous soutiennent de différentes manières. Je suis confronté à la douleur de tous : je l’entends de la part des soldats que je visite sur le front, des déplacés qui ont tout perdu. Par exemple des amis Orikhiv (une ville qui se trouve sur la ligne de front et qui a été détruite) : 3 familles amies avaient toute leur vie construit leur maison et ils ne leur restent plus rien. Ils louent aujourd’hui un appartement à Zaporijia et continuent à tant aimer leur ville détruite.

J’entends tant de douleurs, de souffrance et c’est souvent si éprouvant jusqu’à en perdre le goût de la prière. Mais je demande à la Mère de Dieu : prends-moi par la main et conduit moi à Jésus. J’ai lu que Jean-Paul II parlait de la prière du Rosaire comme la possibilité pour Marie de nous prendre par la main pour nous conduire au Christ et cette pensée m’est si proche.

Comment s’est passé le premier jour de la guerre à Melitopol ?

Je me souviens des premiers bombardements : le premier j’ai pensé que c’était Sacha (un homme qui a passé 15 ans en prison et qui vivait avec nous au 2ème étage de notre maison) qui était tombé de son lit ! Ensuite le bombardement suivant, j’ai compris que la guerre avait commencé.

J’ai reçu l’appel d’un prêtre (qui était en Italie) dont la maman malade se retrouvait seule dans un village à 35 km de Melitopol (sa garde-malade prit par la peur était partie). Il m’a demandé si je pouvais aller la chercher. C’était un jour de panique, de chaos total, les gens fuyaient, il y avait la queue dans les stations essence, les colonnes de chars… J’avais peur mais j’ai décidé d’aller chercher cette vieille dame. Le soir, je me suis dit : « Maintenant, seul Dieu pourra protéger notre ville. »

 

 

Pourquoi le message de Fatima est-il si important aujourd’hui et tellement d’actualité ?

Le message de Fatima parle explicitement de prier pour la conversion de la Russie sinon elle répandra ses erreurs à travers le monde, provoquant des guerres et des persécutions contre l’Église.

Notre peuple ukrainien souffre.

La Russie détruit notre pays et pense qu’elle a raison (elle se présente comme un ange de lumière) et il est douloureux d’entendre parfois des commentaires disant que la Russie fait le bien.

Les personnes en Ukraine n’ont pas accueilli les Russes avec du pain et du sel comme cela se dit parfois mais de simples civils arrêtaient les chars et parfois se sont fait tirer dessus.

Actuellement sous occupation, les gens ne souffrent pas de la faim (car la Russie octroie des retraites), mais ils ne peuvent être eux-mêmes, chrétiens (toutes les églises sont interdites, sauf les églises orthodoxes du patriarcat de Moscou ou les mosquées).

 

 

Beaucoup de paroissiens, mes propres parents vivent sans accès aux sacrements mais ils regardent la liturgie en ligne et se soutiennent beaucoup mutuellement et gardent l’espérance de nous revoir à la maison.

Ils ne peuvent pas dire « je suis ukrainien ou catholique », sinon ils risquent la prison ou d’être expulsés.

On leur confisque leurs biens, (voiture, comme à moi-même, appartement…) ou ils occupent leur maison (comme actuellement ce sont des soldats russes qui vivent dans la maison des prêtres).

Je comprends notre responsabilité de chrétien dans cette guerre comme celle de prier pour la conversion de la Russie, du monde et de notre peuple ukrainien.

Il y a une immense fatigue de la part de tous mais nous devons tenir car Dieu nous a donné cette terre.

Comment est née votre vocation sacerdotale ? Comment un prêtre vit son sacerdoce en temps de guerre ?

Je viens d’une région celle de Melitopol où dans les campagnes la foi chrétienne est pratiquée par 1 à 2% de la population qui est moquée du fait d’aller à l’église. Je rends grâce à Dieu pour ma grand-mère qui a élevé ma mère dans la foi puis qui nous l’a transmise à mon frère et moi-même.

Dans ma jeunesse, j’allais à la liturgie le dimanche mais je ne peux pas dire que je vivais de ma foi quotidiennement. Je ne communiais pas et je ne me confessais pas. J’ai été élevé dans la foi orthodoxe et m’identifiais comme tel. On nous apprenait que les catholiques et gréco-catholiques étaient du diable. Et je le pensais aussi ! Puis est arrivé un prêtre slovaque grec-catholique le père Petro, j’étais contre sa présence mais je voulais « voir ». La première fois que je l’ai vu célébrer la liturgie dans sa maison en présence de 2 ou 3 personnes, je n’en croyais pas mes yeux de voir un prêtre célébrer ainsi avec tant de foi. Petit à petit, je me suis rendu chaque jour à la liturgie et je suis devenu grec-catholique. Je me suis confessé à ce prêtre (auparavant je m’étais confessé peut-être deux ou trois fois dans ma jeunesse mais pas dans la vérité) et ce fut une grâce immense de recevoir ainsi à travers ce sacrement tant de force et d’énergie, de vivre ainsi en Dieu.

Puis petit à petit est né une vocation. J’aime tellement notre peuple ukrainien, notre terre qui a toujours tant souffert que je demandais dans ma prière : « Mon Dieu donne-moi la possibilité de servir mon peuple, montre-moi comment ». J’ai ainsi senti alors que Dieu m’appelait au sacerdoce.

 

 

A l’époque, j’étais professeur d’histoire, j’ai donc quitté mon travail et je suis rentré au séminaire de Kiev à l’âge de 21 ans où j’ai étudié pendant 6 ans et suis devenu prêtre en 2016.

J’ai servi pour l’église de Melitopol et dans les campagnes environnantes auprès et avec le père Petro. Je suis plein de gratitude pour ce prêtre et je me considère comme son disciple.

C’est une douleur aujourd’hui de ne pas être là-bas avec mes amis et paroissiens mais je crois que Dieu nous rassemblera de nouveau.

Nous vivons aujourd’hui un temps de grandes ténèbres où tous les soldats, le peuple sont épuisés et ne voient pas la fin de cette guerre.

Lorsque je vais visiter les soldats je leur dis : « Les gars, c’est vrai il y a beaucoup de ténèbres. Nous ne pouvons globalement résoudre ces questions. Mais ce que nous pouvons faire c’est de prier et que chacun accomplisse son devoir avec soin. »

Je suis heureux de voir que beaucoup de soldats que je rencontre prient le chapelet alors qu’ils ne connaissaient pas cette prière avant. Il y a peu, j’ai revu un soldat qui sert près de Bakhmout que je visite régulièrement et il m’a confié : « Père, comme je vous suis reconnaissant de m’avoir appris la prière du chapelet. C’est d’une telle richesse, elle m’ouvre tant de choses ! » J’étais si heureux de le voir expérimenter la force de la prière de Marie vers Jésus. Ce soldat est un leader non formel au milieu des autres soldats, il les soutient beaucoup moralement. Je vois que lorsqu’une personne commence à prier réellement, autour d’elle les choses commencent à changer.

Je visite certaines unités sur le front où les soldats sont si abattus qu’ils ne parlent pas ou se disputent entre eux.

Dans de telles conditions, je célèbre la sainte Liturgie et c’est toujours difficile de parler, de dire quelque chose tant les ténèbres sont grandes. J’arrive (dans une maison ou dans la forêt) pose la table et je dis : nous allons célébrer la liturgie. Je ne suis qu’un petit prêtre, un petit grain de sable. Mais dans ces conditions, je vis la sainte Liturgie, différemment : je comprends alors, revêtu des vêtements sacerdotaux, que ce n’est plus moi qui célèbre mais le Christ.  Et lorsque je prononce : « Paix à vous ! » c’est le Christ lui-même qui donne sa paix, moi je ne peux la donner.

 

 

De même que le Christ transforme le pain et le vin en son corps et son sang, je vois le cœur, le visage de certains soldats se transformer pendant la Liturgie. Je crois que c’est la grâce de la Liturgie.

Bien sûr certains sont indifférents et passent sans rester.

Mais la liturgie c’est le pain et le vin qui se transforme en corps et sang du Christ, le lieu qui change les cœurs de ceux qui cherchent le Christ, qui veulent être avec le Seigneur et qui le veulent tant ! Et je suis témoin de cela. Pour un prêtre, c’est une grande consolation.

Même lorsque parfois, je me sens vide, que ne sais pas ce que je vais leur dire, je sais qu’il y a la Sainte Liturgie, que je suis en Christ qu’il est là et nous transforme, qu’Il vient à nous.

Je comprends alors dans cette situation que ma mission est celle d’un transporteur : je suis un véhicule de transport ! Cela me réjouit d’être un véhicule de transport pour le Christ !

Pendant ce temps de guerre, je rencontre tant de personnes, d’amis si bons. Je vois des soldats, des médecins militaires se convertir et revenir à Dieu de tout leur cœur. Je confesse des soldats qui ne s’étaient jamais confessés auparavant et je pleure avec eux durant leur confession.

Au milieu de ce mal, de toutes ces souffrances, douleurs, ténèbres, il y a des îlots de l’amour de Dieu, ce sont ces cœurs qui veulent être avec Dieu. J’ai bien sûr des moments de découragement, mais Dieu m’est proche, il me montre les miracles de sa présence surtout à travers la rencontre de personnes qui changent petit à petit, deviennent des personnes bonnes.

 

 

Ces paroles du Christ me sont chères quand Il dit : « De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : “Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir” » Tout comme ces paroles me soutiennent beaucoup : « Serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ». Aujourd’hui, je demande au Seigneur cette fidélité dans les petites choses. De même pendant le temps d’occupation : qu’est-ce que je pouvais faire lorsqu’auparavant ma mission était l’évangélisation des enfants et des jeunes, l’organisation de camps, une vie pastorale et de communauté…

Pendant ces mois d’occupation je demandais au Seigneur, Montre-moi ce que je dois faire. Intérieurement, cette réponse du Seigneur est venue : « Tu es prêtre, sers les sacrements. Accomplis cela avec soin ». J’ai donc continué à servir mes 4 paroisses.

 

 

Tout comme maintenant à Zaporijia, je Lui demande et dans mon cœur je reçois cette réponse : « Sois fidèle. Sers, je te montrerai où. »

Je demande à tous la prière, surtout la prière du chapelet pour la conversion du peuple russe et le soutien de notre peuple ukrainien, pour la victoire du cœur immaculé de Marie.

Elle a tant promis le triomphe de son cœur immaculé que nous devons la croire !

 

*Prière de Consécration

O Vierge immaculée, aujourd’hui notre paroisse toute entière se consacre à ton cœur immaculé.  Nous te confions notre passé, notre présent et notre avenir.

Nous te donnons pour l’expansion du Royaume de ton fils Jésus-Christ, notre paroisse, nos prêtres, nos communautés et nos familles, et de même nos corps, nos âmes et jusqu’à notre liberté, nos désirs et nos rêves.

Cœur maternel et immaculé de Marie, conduit nous au cœur sacré de ton Fils par la confession et la communion fréquentes et la prière quotidienne du chapelet.

 

La Vierge de Fatima reçue dans la paroisse de Zaporijia

Exauçant ton désir, nous promettons de prier pour la conversion des pêcheurs et de nous consacrer tous les premiers samedis du mois en réparation à toutes les offenses et manquements que nous avons causés et pour ceux qui ne te connaissent pas, ne te chérissent pas, ne t’aiment pas.

Nous confions à ton intercession maternelle chacun d’entre nous, notre famille, notre paroisse, l’Ukraine, le monde entier et la sainte Eglise.

Accorde-nous une foi inébranlable, une espérance sans limite et un amour sacrifié.

O Mère de Miséricorde, reine du ciel et de la terre, refuge des pêcheurs, demande pour notre monde une paix juste et durable, pour qu’à travers ton cœur immaculé nous soyons conduits au cœur sacré de ton fils Jésus-Christ notre Seigneur pour le louer ici sur la terre et dans l’éternité avec la sainte Trinité.

Amen

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