Il y a 50 ans, Le 7 décembre 1973 Don Henri le Saux s’éteignait paisiblement dans une clinique d’Indore en Inde. Il avait passé les 24 dernières années de sa vie en Inde sans jamais rentrer en Europe.
Don Henri le Saux
Rien ne présageait pourtant d’un tel destin puisqu’il était entré en 1922 à l’âge de 21 ans dans une abbaye bénédictine. Né en Bretagne, il avait choisi naturellement l’abbaye Sainte- Anne de Kergonan. Nul ne sait vraiment comment est né son choix de partir en Inde – qui s’il est né dans les années 30 ne se réalisera qu’en 1948. Sans doute quelque lecture de celui qui était bibliothécaire de son abbaye aura éveillé en lui le désir de faire connaître la vie monastique bénédictine à laquelle il était très attaché aux Indes. Peut-être avait-il pressenti quelque peu la richesse spirituelle de l’Inde et avait-elle fait écho à son propre désir de Dieu. C’est en tous cas pour réaliser ce projet de vie monastique qu’il rejoint un prêtre français bien connu, le Père Montchanin dans le Sud de l’Inde. Ensemble ils veulent lancer un monastère qui cherche au maximum à adopter les coutumes et valeurs religieuses indiennes – dans l’habillement et la nourriture par exemple.
Le Père Le Saux désire transmettre la tradition bénédictine occidentale à une Eglise indienne qui ne la connaît pratiquement pas – alors que l’Inde Hindoue dans sa recherche spirituelle multiforme semble comme appeler une réponse des chrétiens. Cependant au-delà des difficultés matérielles qu’il rencontre, Le Père le Saux pressent qu’il arrive dans une terre qui ne l’attend pas. En effet, peu d’Hindous s’intéressent au Christianisme qu’ils considèrent au même niveau que leurs propres mythes et leurs dévotions. Sa démarche a aussi bien peu d’échos dans l’Eglise qui regarde avec méfiance tout ce qui peut sembler un rapprochement avec les traditions hindoues.
Dans le même temps, alors qu’il découvre les traditions indiennes et rencontre certains de ses maîtres comme Sri Ramana Maharshi, Don Le Saux – qui a pris entre temps le nom Indien de Swami Abishiktananda, sent de plus en plus une correspondance chez ses frères hindous avec sa propre recherche du Mystère divin – cette recherche qui l’a sans doute conduit à rentrer au monastère. Il ne désire aucunement devenir Hindou mais il pressent que Dieu l’appelle à un nouveau pèlerinage : aux sources de l’Être. Alors il se met en marche vers les sources du Ganges où tant d’ascètes et de moines hindous (sannyasi) se rendent sans cesse. Il marche avec ces frères en Humanité qui ont tous laissé famille, maison et jusqu’à leur propre identité pour découvrir le Mystère qui demeure au fond du cœur.
« Trouver le chemin du dedans,
Conduire jusqu’au centre du cœur,
Là où l’homme s’éveillant à soi,
S’éveille à Dieu. »
Comme en témoigne de nombreux écrits du Père Le Saux, l’expérience spirituelle hindoue fait échos en lui, il y entend des harmonies familières : Descendre en soi, au fond du cœur, s’éveiller à ce Mystère qui est toujours là présent. Tous ses enseignements en particulier sur la prière en témoignent.
« Pénètre toi-même en ce dedans
Ta pensée perçante jusqu’en sa source,
Ton esprit plongé en soi,
Souffle et sens au tréfonds recueillis,
Tout de toi en toi fixé
Et là simplement, sois. »
Ayant laissé à partir de 1968 l’ashram fondé au Sud de l’Inde en compagnie du Père Montchanin (mort en 1957), le Père Le Saux s’établit dans un petit ermitage aux bords du Ganges, sur le chemin des sources, à Uttarkashi.
Cependant il descend souvent dans la plaine pour participer à des rencontres en tous genres – en particulier à partir de 1962 au moment du lancement du Concile Vatican II. On lui demande de l’aide notamment pour introduire quelques aspects de la culture indienne dans la célébration de la Messe.
Ses dernières années sont marquées par une nouvelle aventure : un jeune séminariste venu de France, Marc Chaduc le choisit pour son maître – en langue indienne : gourou. Ensemble ils font l’expérience d’être introduit par un autre dans le Mystère de l’Être, dans le Mystère de la prière. Ils découvrent là l’expérience d’une profonde Communion. « Les Ecritures comme le Maître (guru) c’est le miroir en lequel l’homme progressivement se découvre, se reconnaît en sa vérité la plus intime. Le moment vient où la flamme jaillit entre les deux pôles. Il n’y a plus alors que pure lumière en laquelle tout a disparu, Maître, disciple aussi bien qu’Ecriture. » [1]H. Le Saux, Introduction aux Upanishads Anciennes, p.100
Ces années en Inde et sa vie précaire l’ont affaibli et alors qu’il a tout juste 63 ans il fait une crise cardiaque en cherchant à attraper un bus sur le départ. Son corps s’effondre mais dans le même temps quelque chose s’ouvre dans son esprit. Alors qu’il frôle la mort, se faufile l’expérience mystique que l’Inde appelle l’Advaita où l’Ego est comme anéanti, ne laissant de place qu’à la lumière divine.
Swamiji est recueilli par des religieuses et durant les mois de convalescence qui suivent il médite avec bonheur sur cette découverte qui est comme le bout de sa longue quête. Il s’éteint quelques mois après cette expérience d’Advaita.
L’histoire de Don Le Saux en Inde est celle d’un moine Chrétien ancré dans une tradition millénaire – et à laquelle il est resté attaché jusqu’à la fin de sa vie. Venu en Inde, il a fait l’expérience d’une nouvelle liberté, la liberté de l’Esprit « qui souffle où Il veut ». Il fait partie indéniablement de ces pionniers, de ces chercheurs qui marchent en haut des Cîmes et sur les lignes de crête. L’équilibre y est fragile car aucun n’a suivi le chemin avant eux. Cependant, parce que sa recherche était authentique Don Le Saux a laissé de vraies traces dans l’Histoire. Il a certainement aidé l’Eglise à regarder l’Inde sous un jour nouveau comme en témoignent les voyages des Papes Paul VI et Jean Paul II en Inde au cours desquels ils ont rendu un hommage à sa richesse spirituelle. Il aura sans doute aussi aidé l’Inde à mieux réaliser la formidable vocation qui est la sienne : être le témoin de la Présence.
“L’Inde a reçu de l’Esprit la mission de rappeler au monde et de lui transmettre ce message d’intériorité. Non pas pour annoncer à l’homme de nouveaux mythes ou pour lui offrir de nouvelles explications théologiques de son être et de l’univers, mais pour lui indiquer ce centre du moi, au-delà de tout mythe et de toute théologie. Non pas pour lui faire découvrir « ce qu’il est », mais d’abord qu’IL EST.” [2]H. Le Saux, Introduction aux Upanishads anciennes